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Wikipédia : quand la "wikiréputation" part en spirale

Publié le 05 janvier 2011 par Pierrotlechroniqueur

J'avais évoqué le sujet ici, et promis d'en faire un beau billet. Donc je me lance. Pour un billet, en tout cas. Beau, nous verrons. Le sujet, c'est l'étude de la spirale sur Wikipédia. Pas celle-ci, mais celle dans laquelle sont entraînés quelques utilisateurs, négative et pleine de blocages communautaires voire d'arbitrages. À cause d'une mauvaise "wikiréputation", enfin au moins aux yeux de certains contributeurs influents, comme nous allons le voir. C'est sans doute inévitable : comme je l'ai dit à plusieurs reprises, Wikipédia est non seulement, et avant tout, un projet collectif d'encyclopédie, mais aussi une communauté. Avec des interactions entre ses membres, des luttes d'influence et des avis de tous sur chacun. Qui est donc plus ou moins populaire (j'appelle cela "wikiréputation").

Selon la page idoine, il existe sur Wikipédia deux types de blocages :

  • Le blocage administratif, destiné à protéger l'encyclopédie en combattant le vandalisme1. Il est unilatéralement décidé par un seul administrateur dans le cadre d'une maintenance quotidienne2 
  • Le blocage communautaire, destiné à sanctionner des "fautes de comportement de façon récurrente". L'urgence n'étant pas de mise, et les implications communautaires évidentes, la règle est la discussion sur le Bulletin des administrateurs3. Il est de plus en plus fréquent, à mesure que les capacités du Comité d'arbitrage à simplement remplir son rôle déclinent4. D'où l'entrée en scène de variables comme les relations entre les uns et les autres, ou encore la "wikiréputation" du contributeur concerné. Les observations et commentaires qui suivent auront donc trait à ce genre de blocages.

Un élément important réside dans le caractère collectif de la décision de blocage, qui a tendance à le légitimer5 malgré les défauts dont il pourrait souffrir. Ainsi, des cas similaires peuvent être traités différemment selon les sensibilités des administrateurs qui s'expriment (car ce n'est pas forcément les mêmes) ; autrement dit, il n'y a pas de jurisprudence en matière de blocage. C'est possiblement problématique, mais atténué par le fait qu'un blocage doit donc être consensuel. Plus gênants, et c'est le principal sujet de ce billet, sont les blocages à la tête du client : dans ce cas, les divergences ne s'expliquent pas par des différences d'analyse, mais bel et bien par la personnalité du bloqué. C'est là que survient la notion de "wikiréputation" : dans certains cas, la mauvaise popularité de l'utilisateur avec éventuellement, en prime, des inimitiés durables avec quelques administrateurs, priment sur toute autre considération. La nature de l'acte et son analyse par les administrateurs passent donc au second plan, alors que ces élément devraient évidemment être primordiaux. Pire encore, il peut maintenant arriver que la simple exaspération que procure un contributeur suffise ouvertement à justifier un blocage, sans même qu'ait été commise une action susceptible d'entraîner sanction ou mettant en péril l'encyclopédie. À tel point, petite provocation, que j'en viens parfois à me demander si tous les administrateurs s'exprimant sur un blocage ont au moins fait l'effort de lire de quoi il retourne. En témoigne le récent blocage de Vi..Cult..., simplement coupable de ne pas être assez pertinent sur le Bistro6. C'est sûr qu'il est pénible, sans doute pour de nombreux contributeurs, mais il faut faire avec. Et ce n'est pas l'explication métaphysique de Dereckson sur de supposées aspirations secrètes de la communauté qui me convaincront du contraire. Starus, bref et percutant, a, à mon sens, mis le doigt sur un vrai problème. Et qui peut fonctionner dans les deux sens : certains non-blocages apparaissent parfois tout aussi saugrenus.

Un cas particulièrement édifiant est celui du blocage pour "attaque personnelle". Le moins qu'on puisse dire, mais ce n'est pas si nouveau, est que la notion d'attaque personnelle est très fluctuante dans le temps. Et surtout selon les personnes qui la profèrent (ou non). Voire même en fonction des "victimes"7. Un contributeur ayant mauvaise réputation, on sera davantage enclin à le sanctionner, à l'inverse de celui qui est apprécié. Ou semble apprécié. Celui-là bénéficiera d'une certaine indulgence. C'est, je le répète, assez humain. Et ce serait anecdotique si ces variations restaient dans une modulation raisonnable. Le problème est justement qu'on n'est pas (plus) dans le raisonnable. Les fluctuations sont dorénavant importantes : certains peuvent se retrouver bloqués au moindre pet légèrement de travers, tandis que d'autres ont l'air de pouvoir tout se permettre. En toute impunité. Différences parfois renforcées en fonction de la popularité de la "victime" : si le magnifique A, héros de Wikipédia, qualifie B, qui énerve beaucoup de monde, de *BIP*, il ne se passera rien. Si, on envisagera peut-être le blocage de B car il a dû faire quelque chose de pas bien (on ne sait pas quoi mais il a dû) pour ainsi énerver le merveilleux A. Je sais, je caricature un peu. Et j'ai surtout l'air, à mon corps défendant, de donner dans un ton très proche d'un certain wiki pourtant sans aucune intelligence ni consistance. Mais je n'aurais sans doute pas dit cela il y a encore un an à peine. Ces problèmes que je pointe me semblent assez récents8. Ou en tout cas s'être accentués, en dépassant désormais les limites de ce qui est acceptable. Et ce constat n'est clairement pas étranger aux multiples revendications que l'on voit fleurir à propos du contrôle des activités administratives. 

Ceci étant posé, comment se construit cette wikiréputation ? Déjà, il faut y mettre (au moins un peu) du sien. Avoir un ton désagréable, par exemple, n'aide pas beaucoup. Troller en permanence sur le Bistro, de même qu'écrire des phrases incompréhensibles pour le commun des mortels, non plus. Il est également mal vu, soyons clairs, d'avoir un peu trop d'idées dissidentes sur Wikipédia et son fonctionnement. Une de temps en temps, pourquoi pas, mais au-delà on doit être une brebis galeuse. En revanche, faire régulièrement n'importe quoi dans l'espace principal semble avoir peu d'impact9. Ensuite, et surtout, se déroule un phénomène de masse. C'est-à-dire qu'un contributeur qui, lui, est bien vu, va se plaindre une fois ou deux — sur IRC, Twitter, voire le Bistro ou le BA — d'un autre utilisateur (avec lequel il s'est accroché ou même qui se contente de l'agacer). Puis un peu plus régulièrement. D'autres, également agacés, vont ensuite reprendre la même antienne. Conséquence logique : les spectateurs ont maintenant du contributeur visé un a priori défavorable. Et s'ils voient de sa part une action ou un commentaire peu approprié, ils ne manqueront pas de se dire : "Ah oui, on me l'avait bien dit : quel pénible, celui-la". Et ainsi de suite, jusqu'à ce que la simple mention du contributeur s'accompagne de commentaires sarcastiques entre initiés ou de soupirs ("ah, encore lui !") désobligeants. Le tout sans intention maligne : c'est un phénomène de masse, avec des comportements inconscients10. Le recul, alors, n'existe plus. Il y a tout de même un bémol à apporter à cette description : c'est que le circuit est plutôt fermé. La circulation de "l'opinion commune" à propos de tel ou tel utilisateur ne se fait pas à l'échelle de la communauté, bien évidemment. Et il y aura toujours des avis divergents, ainsi que des groupes (par exemple, sur un projet) où le contributeur sera apprécié. C'est donc de l'auto-oxygénation circonscrite aux groupes concernés. Cela semble aller de soi, mais le problème est que, habituellement, le groupe en question est souvent le même, avec quelques variations, moins de ponctuels avis différents : celui des utilisateurs particulièrement investis dans Wikipédia, donc suivant les pages de l'espace meta, se trouvant sur IRC, voire sur Twitter, là où les remarques sont les plus simples à faire. Et que, par autoentretien là encore, ces personnes, finalement, semblent de fait incarner la communauté puisqu'elles sont les seules ou presque à agir au quotidien11. Et le savent bien. Pour continuer la digression, je vais prendre un exemple qui a fait couler pas mal d'encre il n'y a pas si longtemps, mais sur lequel je ne ferai aucun commentaire sur le fond (d'ailleurs, je ne suis même pas sûr d'avoir un avis) : l'arbitrage Moyg-Gustave Graetzlin, déclaré recevable à titre communautaire (et non pour régler un litige individuel entre les parties). Ce qui ne m'a pas tant surpris que cela, vu ce que j'avais pu voir ici ou là à propos de Gustave Graetzlin (y compris, et je dirais surtout, sur le Bistro. Pas de paranoïa excessive, merci). La surprise est venue de la page de témoignages : de nombreux contributeurs, régulièrement et fortement présents sur Wikipédia d'après leur editcount, mais que je n'avais presque jamais vu sur les pages meta — J'ai même découvert le pseudo d'un d'entre eux qui, après rapide enquête, n'était pourtant pas le perdreau de l'année. Ce qui est un comble pour le chroniqueur que je m'efforce d'être ! — et qui, à ma connaissance, ne vont pas sur IRC et ne sont pas présents sur les réseaux sociaux, sont exceptionnellement sortis du bois pour dire combien ils trouvaient cet arbitrage choquant et injustifié. Comme quoi la communauté est loin d'être homogène, mais on le savait déjà. Et surtout, surtout, que les utilisateurs les plus visibles ne l'incarnent pas totalement. Juste une partie. Parmi d'autres. Une partie qui fonctionne peut-être un peu en vase clos, ce qui est paradoxal puisque c'est celle qu'on voit partout. Mais j'ai expliqué le mécanisme.

Pour finir, il me reste à évoquer la conséquence extrême de ces phénomènes, de la mauvaise "wikiréputation" : la spirale. Là où le contributeur est pris dans l'engrenage des blocages ou même des arbitrages. Pour arriver à ce stade, il faut tout de même avoir commis des fautes. Ou au moins des maladresses. Il n'en demeure pas moins vrai que le moteur principal reste plus que jamais les sentiments négatifs qu'inspire le contributeur concerné. Qui, victime de sa réputation, et ayant désormais un passif visible dans ses logs de blocage, ne suscitera plus seulement des commentaires excédés au moindre de ses petits dérapages. Mais de nouveaux blocages motivés par le statut de récidiviste. Le tout peut aller jusqu'au bannissement. Et en remarquant bien qu'il se trouvera alors toujours quelqu'un pour scruter ses contributions, et demander, avec la satisfaction du devoir accompli, que des mesures soient prises. Ce processus en spirale est le même que pour un vandale de quelques contributions au compteur. Un premier vandalisme pur et dur, on bloque. On scrute ensuite pour voir si, à son retour, il ne détériore pas l'encyclopédie. Et on rebloque graduellement. Surveillance et blocages, c'est la spirale. La différence réside dans le fondement des opérations : dans le second cas, il s'agit de lutter contre des vandalismes clairs et nets, et donc de protéger l'encyclopédie. Dans le premier, qui ne peut concerner que des contributeurs de longue date, la motivation est bel et bien punitive, et est clairement lié à la mauvaise "wikiréputation", au mauvais karma, combinés au passif. Réputation qui peut être justifiée, mais parfois (souvent) construite avec ambiguïté, selon le processus que j'ai décrit. Justifiée ou non, la méthode en elle-même invite à se poser des questions, surtout quand le contenu encyclopédique n'est pas en péril.

1. Par exemple, un administrateur qui bloque une IP vandale en faisant des RC.

2. Éventuellement, un second administrateur peut être amené à se prononcer : si le bloqué demande son déblocage.

3. Par les seuls administrateurs, ce qui limite le champ "communautaire". Ce n'est pourtant pas une règle, mais une coutume. Décidée par les administrateurs... Pourtant, et comme je l'ai déjà dit, leur élection pour exercer certaines fonctions techniques n'est pas un justificatif à cet état de fait. Car elle n'en fait pas des représentants de la communauté.

4. Corrélation logique car le blocage communautaire fait doublon avec les prérogatives du CAr.

5. À moins que la conclusion de la discussion ne soit pas conforme à ce qui s'y est dit. Le blocage communautaire nécessite un consensus autour de son principe avant d'examiner la durée (en retenant la médiane des propositions, en principe). La précision pourrait sembler superflue, mais j'ai pourtant observé à plusieurs reprises ces derniers mois que quelques administrateurs estiment que, en cas de simple majorité — et non consensus — pour un blocage, les avis négatifs sont simplement à prendre en compte dans le calcul de la médiane. J'ai même déjà vu écrit que ce serait le déblocage, grande nouveauté, qui doit être consensuel. Visiblement, les simples rappels que je fais ici pourraient bénéficier à certains... 

6. C'est certain : il est le seul...

7. Et en plus, je fais volontairement l'impasse sur le fonctionnement clanique auquel on assiste parfois sur ces débats. Et qui est de nature à encore complexifier les constats que je vais faire dans le paragraphe.

8. Dans le passé, il l'a souvent rappelé, Darkoneko a été bloqué 48 heures pour avoir insulté une contributrice tellement utile et populaire qu'elle a rapidement fini bannie. Pas sûr qu'il aurait le même tarif aujourd'hui. Ceci dit, je ne lui reproche rien. 

9. Après tout, on a le sens des priorités ou on ne l'a pas.

10. En règle générale. Certains, à mon avis, savent très bien ce qu'ils font et doser leurs petits commentaires. Pas de nom, et c'est juste un avis en passant.

11. Et je ne suis, comme beaucoup d'autres, probablement pas exempt de tout reproche. 


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