Soumission des pistolets à impulsion électrique (”PIE”) au régime des armes de 4ème catégorie compte tenu de leur dangerosité
par Serge Slama
Après avoir écarté les différents moyens de légalité externe, le Conseil d’Etat écarte l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre de l’article 2 du décret du 6 mai 1995 en confirmant qu’il appartient au pouvoir réglementaire, en vertu des dispositions législatives applicables, « de classer dans la 4ème catégorie les armes et munitions dont l’acquisition et la détention doivent, en raison de leur dangerosité, être soumises à un régime d’autorisation » (v. sur cette législation CE 17 décembre 2008, Association de tireurs et autres, n° 305300 : AJDA 2009. 446 et Philippe Grimaud, « Le mouvement de restriction des possibilités de détention d’armes pour les particuliers illustré par un nouveau recours contre une modification du décret du 6 mai 1995 », AJDA 2009 p. 1780). Or, en l’espèce, il estime que le pouvoir réglementaire « a pu légalement décider de ranger dans les armes de 4ème catégorie celles des « armes dont le projectile est propulsé par des gaz ou de l’air comprimé » » qui en raison « de leur dangerosité » sont assimilables aux « armes à feu dites de défense et leurs munitions » au sens de l’article L. 2331-1 du code de la défense. Il n’était tenu pour cette classification « ni par la définition des armes à feu résultant de la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, ni par celle de la directive n°91/477/CEE du Conseil du 18 juin 1991 relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes ». Après avoir décrit les propriétés des pistolets à impulsion électrique commercialisés par Taser, le juge administratif constate leur dangerosité en rejetant la nécessité « d’ordonner une expertise sur ce point ». Prolongeant une précédente décision (CE, 2 septembre 2009 ASSOCIATION RAIDH, N°318584, 321715 - ADL du 6 octobre 2009. Voir catégorie “traitement inhumain et dégradant” ), il estime en effet que leur emploi comporte « des dangers sérieux pour la santé » et que « ces dangers sont susceptibles, dans certaines conditions, de provoquer directement ou indirectement la mort des personnes visées ». Les ministres ont donc valablement pu classer les pistolets en question parmi les armes de la 4ème catégorie sans méconnaître les articles 2, 5, 7, 9 de la CEDH ni l’article 1er de son protocole additionnel.
Néanmoins, il relève aussi qu’il existait effectivement, sur le marché, des armes présentant des caractéristiques équivalentes à ces trois produits. Dès lors compte tenu tant « [d]es impératifs de la sauvegarde de l’ordre public » que « [du] respect du principe d’égalité devant la loi et [d]es règles de concurrence » les ministres auraient dû s’assurer « que la mesure de classement litigieuse s’applique dans les mêmes conditions à toutes les sociétés commercialisant des pistolets à impulsion électrique présentant des caractéristiques équivalentes ». L’arrêté est donc annulé mais seulement en tant qu’il n’a pas appliqué le même classement à des armes présentant des caractéristiques équivalentes. Concrètement, comme l’explique le communiqué de presse du Conseil d’Etat, les effets de l’arrêté subsistent, ce qui signifie que les trois modèles de Taser restent classés en 4e catégorie, mais les produits équivalents des autres marques devront recevoir le même classement pour continuer à être commercialisés. Dans un communiqué du 4 décembre 2010, le ministère de l’intérieur a d’ailleurs indiqué que « sans attendre cette décision, le ministre (…) avait engagé une mise en cohérence de la réglementation. Le 27 octobre 2010, il a transmis au Conseil d’État, pour avis, un projet de décret classant l’ensemble des pistolets à impulsion électrique dans la 4e catégorie».
On remarquera que la décision intervient quelques jours après le décès, le 29 novembre 2010, de Mahamadou Marega, Malien sans-papier de 38 ans, qui s’était rebellé. Il est décédé après avoir été touché par deux tirs d’un pistolet électrique de marque Taser lors d’une intervention policière à Colombes (Hauts-de-Seine). Une information judiciaire contre X pour homicide involontaire a été ouverte par le Parquet de Nanterre le 28 décembre 2010. L’utilisation du pistolet à impulsion électrique par les forces de l’ordre en France a été dénoncée aussi bien par la CNCDH (Avis 15 avril 2010), la CNDS (v. par exemple Saisine n°2009-1 du 14 décembre 2009 et le rapport 2009) que par le Comité contre la torture des nations unies (examen rapport présenté par la France, 44ème session des 27-29 avril 2010 à Genève) et probablement dans le prochain rapport de visite du CPT ou encore par les ONG (RAIDH, Amnesty international ou la FIACAT v. aussi pour l’ACAT France - ADL du 20 décembre 2010).Le directeur de Taser France, Antoine di Zazzo, a pourtant déclaré qu’« à ce jour, dans le monde, le Taser n’a jamais tué quelqu’un »… (Franck Johannès, « Premier mort en France après une décharge de Taser », Libertés surveillées, 01 décembre 2010). Serait-il prêt à recevoir deux décharges consécutives pour nous l’assurer?
CE 3 déc. 2010, Sté SMP Technologie, Association de tireurs et a., N° 332540
Actualités droits-libertés du 4 janvier 2011 par Serge SLAMA
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