Un lecteur distrait pourrait ne connaître de Romanès que le cirque, et ne pas s’être laissé aller à découvrir le suc si pauvre en sucre des poèmes d’Alexandre Romanès, mais qui colore les joues de la pensée, et emplit le cœur d’une énergie neuve. Néanmoins, il ne faudrait pas considérer le cirque Romanès par-dessus la jambe. Pénétrons plutôt, ne serait-ce que pour un instant, sous le chapiteau. « Contrebasse, accordéon, clarinette, tapis des Mille et Une Nuits, bougies, accueil en fanfare et ce clown postmoderne au visage lassé qui assure sans un sourire les transitions géniales. Pas de numéros, chez Romanès, jamais d'exploit (la vulgarité même), simple syntaxe des entrées, des expressions et le plaisir de bien faire. Les garçons arborent des falzars rayés et des chemises à paillettes dont on se demande qui les fabrique. (…) Les filles jouent leurs rôles : femme boa, femme du feu, trapéziste non conforme, contorsionniste au sourire inquiétant. (…) Au final, l'orchestre passe la surmultipliée. Romanès s'agite toujours debout, calme, tendant une liane ici, un tapis là. Délia, sa chérie, chante des mélopées poignantes ou des airs du diable. Personne ne sait si l'on a démarré à l'heure, ni quand cela finira. Les numéros se précipitent devant l'ensemble de la troupe. La femme boa tricote, une imposante grand-mère tient sur ses genoux un enfant en bas âge. Beignets et vin chaud pour tous. 1»
On le voit, le cirque de Romanès se tient loin de tout effort de composition, loin de tout ce qui n’est pas la poésie la plus simple, l’élan le plus sauf de l’âme. L’on retrouve ainsi en ce cirque si particulier un esprit tsigane, lequel est partout présent dans les poèmes d’Alexandre Romanès, ou, plus exactement, cet esprit est lisible dans les aphorismes poétiques (car ici aucune nécessité intérieure ne motive le découpage en vers) malgré la littérature, à laquelle ils appartiennent de facto, laquelle littérature suppose construction, ouvrage…, et ainsi n’est pas faite que de la spontanéité nue du cœur – et vise même à contraindre cette spontanéité à adopter la pose du littéraire : du beau, du tendre (c'est-à-dire de l’euphonie, de l’abouti formellement), et ainsi à s’annihiler dans ce qui n’est pas elle et qui revêt, au fond, si peu d’importance. Aussi, ce qui vient du cœur n’est-il pas tendre, mais au contraire c’est là le plus brut, et donc le plus dur. « (…) [L]e cœur est la chose la plus dure du monde, contrairement à l’opinion courante qui dit que le cœur est tendre.2»
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Téléchargement Matthieu Gosztola, Etude sur la poésie d'Alexandre Romanès
Matthieu Gosztola
Alexandre Romanès, Sur l’épaule de l’ange, Gallimard
1. « Romanès, cirque tsigane », article de Francis Marmande paru dans la « Chronique culture », in Le Monde du 06/12/07.
2 Christian Bobin, La lumière du monde, Paris, Gallimard, Folio, p. 121.