La durée du temps de travail

Il y a sans doute plusieurs choses à rappeler :

- La durée hebdomadaire moyenne du travail a toujours été plus élevée en France qu’en Allemagne et dans les autres pays européens. En 2009, dernière année disponible dans les statistiques de l’OCDE, la durée hebdomadaire moyenne du travail de l’ensemble des actifs s’élevait à 38 heures dans notre pays, nettement supérieure à celle de nos voisins, Allemands (35,7 h), Suédois (36,3 h), Britanniques (36,6 h), Suisses (35,1 h), Norvégiens (33,9 h), Danois (33,7 h), et a fortiori Néerlandais qui, champions du temps partiel choisi, ont une durée hebdomadaire moyenne de 30,6 heures.

- Rappelons que la première loi de réduction importante du temps de travail pour lutter contre le chômage date de 1996 avec la loi Robien qui prévoyait 32 heures avec fortes réductions de cotisations en échange de création d’emploi ou maintenance de l’emploi pour éviter un plan de licenciement. Aujourd’hui, il semble qu’environ 400PME/TPE sont toujours à 4 jours par semaine (comme Mamie Nova et Fleury Michon) et fonctionnent tout à fait bien ainsi. Au moment de leur passage à la semaine de 4 jours, les entreprises concernées par cette loi ont créé ou préservé environ 15 000 emplois à temps plein et en CDI. Le passage aux lois Aubry a entraîné la non-reconduction des accords Robien.

- Même lorsque l’on prend en compte les congés annuels, le Français travaille toujours plus que l’Allemand : 1555 heures en moyenne en 2009 contre 1390 de l’autre côté du Rhin. La durée du travail a diminué en Allemagne après 2002, alors qu’elle augmentait à nouveau en France.

- À l’inverse de ce qu’affirme Nicolas Sarkozy, les pays qui ont le plus réduit leur temps de travail (volontairement ou non : temps partiel) sont ceux qui ont le taux de chômage le plus faible : les Pays-Bas (4,4 %), la Norvège (3,5 %), l’Allemagne (6,7 %), le Danemark et la Suède (7,8 %), alors que le taux de chômage harmonisé est de 9,8 % en France.

- On évoque souvent la nécessité d’améliorer notre compétitivité. Notons que la notre s’est améliorée de 1997 à 2002. Pendant toutes ces années la France avait un excédent extérieur compris entre 20 et 30 milliards d’euros. Depuis 2003, le solde extérieur n’a cessé de fondre, pour se transformer en un déficit croissant à partir de 2005, atteignant plus de 40 milliards en 2009. Si cela ne signifie pas que les 35 h ont forcément favorisé la compétitivité (cela était plus dû à la conjoncture économique, encore que les 35 h ont sans doute favorisé la productivité), cela signifie en tout cas qu’elles ne la détériorent pas.

- La France a une des meilleures productivité (horaire et par tête) au monde (entre la 1ère et la 4ème place selon les études).

- Toutes les études concluent à un impact des 35 heures compris entre 300.000 et 400.000 emplois créés.

- Toute l’histoire du développement économique depuis la révolution industrielle est une augmentation continue de la productivité du travail conjuguée à une baisse tout aussi continue de la durée annuelle du travail. On produit en une heure de travail 20 fois plus qu’en 1870 et on travaille 2 fois moins longtemps. C’est dans les pays les plus développés que la durée hebdomadaire du travail est la plus faible et dans les moins développés qu’elle est la plus longue.

- Même avec une négociation pour une hausse des salaires, il y aurait baisse de salaire pour ceux qui travaillent déjà plus de 35 h, seuil actuel du déclenchement des heures supplémentaires (payées 25% de plus, 10% de plus minimum dans certaines TPE/PME).

- Le vrai débat n’est sans doute pas celui des 35 h, il est multiple et ailleurs :

* Celui de la subvention absurde des heures supplémentaires : comme l’a rappelé récemment Pierre-Alain Muet, favoriser la réduction du temps de travail ou au contraire les heures supplémentaires n’est pas une question idéologique, mais une question de  situation conjoncturelle. Quand une économie est au plein emploi avec des fortes pénuries de main-d’œuvre, comme l’était la France dans les années 50, le recours aux heures supplémentaires est évidemment pertinent. Dans une situation de chômage massif comme c’était le cas dans les années qui ont précédé la mise en œuvre des 35 heures ou à nouveau aujourd’hui, c’est naturellement la réduction du temps de travail la solution adéquate.

* Celui de la répartition du travail au cours du cycle de vie : le travail est concentré dans notre pays entre 25 et 55 ans, alors que l’augmentation de la durée de vie appellerait une interpénétration plus forte des différents temps de la vie et non comme aujourd’hui leur succession brutale.

* Celui de la négociation sociale : c’est elle qui permettra d’avancer réellement vers le temps choisi et de résoudre, par exemple, cette particularité française qu’une part importante des salariés à temps partiel le sont contre leur gré, alors qu’un nombre aussi élevé de salariés à temps plein souhaiteraient  travailler à temps partiel choisi.

* Celui du temps partiel et de la flexibilité : depuis 2007, nous savons que le temps partiel (le plus souvent subi) augmente fortement du fait d’une flexibilité accrue. De plus, cette flexibilité (qui a pour conséquence une hausse des changements de postes professionnels) augmente les périodes sans travail entre deux emplois. Les politiques de Nicolas Sarkozy vont donc sans doute baisser la durée du travail, à l’inverse des déclarations de campagne de l’actuel chef de l’État.

- Pour finir, on pourrait regarder à nouveau François Mitterrand parler des 35 heures qui rappelait (le 16 mars 1981) notamment : « La lutte des socialistes a toujours été de conquérir le temps de vivre pour les travailleurs. Si bien que les 35 heures n’ont pas simplement une vertu économique et sociale par la création de centaines de milliers d’emplois, elle a également une vertu par rapport à l’idée que nous nous faisons de la vie, à savoir que la vie n’est pas simplement une petite annexe du travail mais que le travail est une réalité de la vie sans pouvoir cependant la dominer. »

C’est ici :
http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/I04349047/francois-mitterrand-et-les-35-heures.fr.html