Janvier 2011, il est l’heure de faire un petit bilan de l’année musicale écoulée. Attention, qu’on s’entende bien : il ne s’agit pas (que) des sorties de 2010, mais tout simplement de ce que j’ai découvert ou redécouvert cette année. Bien entendu, la nouveauté y a souvent sa place, mais pas seulement. Et d’ailleurs, je commence avec un style né dans les années 90, dont la plupart des groupes phares ont cessé leur activité : je parle du shoegazing, bien sûr.
Shoegazing, qu’est-ce que ce terme ? Comme souvent dans la musique, il est né sous la plume d’un journaliste qui cherchait à décrire le jeu de scène des groupes de l’époque : statiques et absents, et les yeux rivé sur leurs chaussures pour activer de multiples pédales d’effet. Car le shoegazing est une musique pleine de distortion, de guitares aériennes, dont le but est de créer un mur de son cotonneux et rose, idéal pour les âmes mélancoliques et sensibles. Et les musiciens devaient donc jouer de ces pédales pour interpréter leurs morceaux, ce qui ajoutait à leur côté soi-disant mou et timide. Péjoratif à la base, le terme a fini par être fièrement revendiqué par toute une bande de fans qui vouent un culte à cette période fugace. Car qu’est-ce qu’on s’en branle au final, tant le shoegaze est beau, merveilleux, cosmique, et je vais vous en apporter la preuve.
Commençons par My Bloody Valentine, groupe anglais (comme tous les autres), auteur de l’album culte du mouvement, Loveless (1991). Avant lui, c’était encore assez pop rock, mais dès qu’Only Shallow arrive, le changement est clair : effets omniprésents, chant caressant, le shoegazing est né, et le label du groupe sort ruiné par un enregistrement interminable. Des années après sa sortie, l’album continue à exister et s’est vu plaqué sur Lost in Translation de Sofia Coppola, ce qui n’est pas étonnant vu que Sofia est une vraie réalisatrice shoegaze. En 2008 et 2009, le groupe s’est reformé le temps de quelques concerts, le son poussé à fond et au-delà des limites des salles ; une petite vidéo ne peut malheureusement pas retranscrire la transe qui devait se produire dans ces salles…
Autre groupe anglais, Slowdive ont eux aussi leur part de culte avec l’album Souvlaki (1993), mais Just for a day et Pygmalion sont tout aussi exceptionnels. A mon sens, Slowdive pousse encore plus loin le côté enveloppant du shoegaze, ce n’est plus juste cotonneux, c’est carrément une mer d’oreillers recouverte d’un lit de barbapapa. Avec quelques vidéos de l’époque, on comprend mieux : Ballad of sister Sue, Catch the breeze (Just for a day), Alison, When the sun hits (Souvlaki)… Je pense que vous avez compris. Les anglais sont également célèbres pour leur dernier album, Pygmalion, qui a surpris tout le monde par son côté extrêmement épuré et limite ambient. Aujourd’hui, on le trouve incroyable, mais à l’époque, il leur a valu de perdre leur label… Décidément…
Et avec Slowdive, mon groupe le plus écouté en 2010 fut Lush, groupe dream pop puis britpop stoppé net par le suicide de son batteur en 1996. Lush était emmené par l’incroyable, la délicieuse, la divine Miki Berenyi, chanteuse aux cheveux rouges et à la voix d’ange qui illuminait les Sweetness & Light et Nothing Natural, avec l’aide de sa collègue Emma Anderson. Sweetness and light, c’est d’ailleurs la meilleure définition qu’on puisse donner du shoegazing et de la dream pop (en y ajoutant même les Milk and kisses de Cocteau Twins). A l’époque, le groupe sort trois albums, Spooky (1992), Split (1994) et Lovelife (1996), et une compil, Gala, en 1990. La particularité de Lush est d’avoir été signé sur 4AD, le label gothique qui hébergeait Dead Can Dance, The Birthday Party, Cocteau Twins, This Mortal Coil, Bauhaus… Leur musique était variée, tantôt dream pop à la Heaven or Las Vegas comme plus haut, mais aussi mélancolique avec Desire Lines (Split), et plus rock avec Single Girl sur le dernier album. Les vidéos live sont nombreuses et de bonne qualité, comme ce délicieux Lit Up à Tokyo. Ne vous en privez surtout pas.
Je termine avec un groupe un peu à part, puisque leur musique n’a pas de rapport avec les Slowdive et compagnie ; c’est surtout la voix unique de sa chanteuse qui a marqué les esprits. Je parle bien sûr des Cranes et d’Alison Shaw, la chanteuse venue d’ailleurs, fée sous hélium à la voix éternellement bloquée à six ans. Je considère qu’elle a sa place dans cet article car cette voix fait un effet similaire aux groupes de shoegaze, elle vous fera sentir la même chose qu’une fée posant sa baguette sur vous. Quelques vidéos, encore : Adoration, Tomorrow’s Tears (Wings of Joy, 1991), Inescapable (EP, 1990), et un morceau assez récent, Vanishing Point (Particles and Waves, 2004), en tous cas plus récent que les derniers morceaux de tous les autres groupes cités au-dessus. Les Cranes ont d’ailleur sorti un dernier album en 2008.
Voilà pour le shoegaze. Si vous voulez creuser un peu, je vous conseille l’excellent Blog du mouvement shoegaze, la référence française sur le sujet. Et je vous dis à très bientôt pour la suite de ce bilan.