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La Seconde Proposition

Publié le 05 janvier 2011 par Robocup555


images.jpegPartout en Europe, et en Occident de façon générale, les partis populistes et/ou d’extrême droite, ont le vent en poupe. Election après élection, votation après votation, ils gagnent du terrain et réussissent à capitaliser des victoires en jouant sur les peurs, l’insécurité et, surtout, l’absence de discours politiques clairs de leurs opposants. Tous les partis d’extrême droite, qui sont xénophobes, racistes, avec des revendications fascisantes, sont populistes mais toutes les tendances populistes ne sont pas d’extrême droite. Ou, en tous les cas, pas clairement et pas sur tous les sujets. Leur objectif essentiel, dans la quête du pouvoir, est de répandre la peur et le sentiment d’insécurité afin de les instrumentaliser en ciblant un coupable, cause simplifiée de tous les problèmes. On peut mettre en évidence les caractéristiques du discours et de l’engagement populistes :

  • a. Entretenir « une politique des sentiments populaires » (peur, insécurité, doutes, etc.), une politique d’abord émotionnelle ;
  • b. Présenter de façon simplifiée et simpliste les causes des problèmes (visibles et immédiatement ressenties comme telles par le citoyen ordinaire) ;
  • c. Désigner un coupable émotionnellement consensuel (l’étranger, l’autre, l’immigré ou celle et celui qui est perçu comme tel) ;
  • d. Présenter la nation, et le mouvement populiste lui-même quand il attaqué, comme une victime de ce coupable désigné, de l’autre, de l’étranger, de l’ épouvantail, ou plus largement de tous ceux qui s’opposent à ses thèses.

Politique émotionnelle, simplification et simplisme, désignation d’un coupable identifiable et entretien du sentiment victimaire sont les quatre caractéristiques des mouvements populistes contemporains qui progressent très rapidement : si on y ajoute le nationalisme aveugle, la haine de l’autre, la préférence nationale raciste, on verse alors dans les thèses d’extrême droite.

Il importe donc d’identifier et de déterminer la dangerosité des thèses et non pas seulement de qualifier les acteurs ou les partis. Dans les paysages politiques européen, nord-américain ou australien, on voit aujourd’hui des partis dits traditionnels, de gauche comme de droite, s’en prendre à certains autres partis ou mouvements en les qualifiant d’ « extrême droite » mais ceux-là ne développent aucun discours clair quant aux thèses véhiculées par ceux-ci. Nous assistons parfois au phénomène exactement opposé (profondément inquiétant pour l’avenir de nos sociétés occidentales) : certains partis ou courants politiques – qui se targuent de n’avoir rien d’extrême – n’ont de cesse de diaboliser « les partis d’extrême droite » alors que dans les faits ils normalisent leurs thèses populistes : comme si ces dernières n’étaient pas dangereuses en elles-mêmes (et non pas parce qu’elles sont les prémisses des dérives fascisantes) ! Les partis populistes, face à l’absence de vision et de courage politiques de leurs adversaires, ont effectivement le vent en poupe : le sentiment d’insécurité gagne et les réponses les plus simplistes sont les plus entendues. Sans compter que les medias sont pris au piège d’un cercle très vicieux : en parlant de l’insécurité et des faits divers qui intéressent forcément le public (et font donc de l’audimat) et en rendant compte des thèses controversées des populistes (qui, à dessein, jouent de la provocation et de l’excès avec des affiches ou des phrases chocs), les medias diffusent leurs positions, leur donne une exposition à nulle autre pareille et leur permet une pénétration très large au sein de public. Les élections et les votations se suivent de surcroît : le temps politique est un temps court, presque immédiat, il faut parler vite, simple, au sentiment des peuples davantage qu’à l’intelligence des nations.

Le phénomène se généralise, notre époque est dangereuse. A l’heure où les partis populistes ciblent l’étranger, l’immigré, et désormais, trans-nationalement, le « musulman » et sa visibilité (qui après cinq, quatre, trois ou deux générations est, et demeure, « l’autre », ce colonisateur silencieux et dangereux dont l’Occident serait « la victime ») ; à cet heure, qu’entend-on des partis traditionnels, des acteurs politiques avocats du pluralisme, des droits de l’homme et de la tolérance ?! Trop souvent des discours creux, des contorsions intellectuelles, voire des démissions coupables et complices. Des réponses en demi-teinte comme le regrettait récemment Jürgen Habermas, dans un article publié dans le New York Times, en relation avec les récentes controverses en Allemagne et en Europe.

Lors du référendum suisse contre la construction des minarets lancé par le parti populiste de l’Union Démocratique du Centre (UDC), on a pu relever des postures politiques très étranges. La quasi-totalité des partis suisses s’étaient opposés à cette initiative interdisant la construction des minarets et pourtant 57% des Suisses l’ont soutenue (à la surprise de l’UDC lui-même). Or à l’analyse des thèses des opposants à l’UDC, on constate que leur propos n’est ni clair ni rassurant. J’ai pu prendre part à de nombreux débats (universités, meetings politiques, etc.) et chaque fois qu’un opposant à l’UDC (partis socialiste, radical, démocrate-chrétien, libéral, travailliste, etc.) prenait la parole, elle/il commençait sa phrase (complexe, à deux propositions) en dénonçant les positions intolérables de l’UDC en ajoutant, dans la seconde proposition, qu’elle/il ne démissionnait néanmoins pas face aux critiques nécessaires et aux questionnements concernant l’islam, la « charia », la violence, les droits des femmes, l’homosexualité, le « voile », la burqa, etc. Ce positionnement tenait autant de la prudence que du calcul politicien : il acceptait, et entretenait, la confusion entre des principes inaliénables qu’il faut octroyer à tous égalitairement (et qu’il faut avoir le courage de défendre jusqu’au bout, même contre le sentiment populaire) et des questions, toujours les mêmes, nourrissant la peur (certaines peuvent bien sûr être légitimes et l’on peut/doit les adresser à certains musulmans étant entendu que la plupart des occidentaux musulmans respectent les lois et deviennent chaque jour davantage des citoyens ordinaires). Le représentant du parti populiste avait beau jeu de réagir à ces contorsions avec une phrase simple à une seule proposition : sa position claire sur-les-musulmans-qui-nous-menacent, simpliste sur les causes, parlant directement à l’émotion, loin des nuances gênées, emportait forcément l’adhésion à grande échelle.

Aux Etats-Unis, en Australie, aux Pays-Bas ou en France, le phénomène est le même. Les propos scandaleux du Front National, par la voix de Marine le Pen, font face à la même diabolisation de son parti au moment où on assiste à la normalisation insidieuse et assurée de ses thèses. Il faut stopper « l’islamisation » dont est « victime » l’Occident scandent ceux qui organisent un meeting à Paris avec le réseau raciste de Riposte Laïque (et autres mouvements populistes et extrémistes, invitant, le porte parole de l’UDC suisse Oskar Freysinger promu au rang de « star »). Qui trouve-t-on qui manifeste son rejet de leurs « thèses dangereuses » ? Des responsables politiques, des intellectuels ou des journalistes dont la position idéologique n’est de loin pas clair vis-à-vis de l’islam. Au nom de sa lutte contre « l’intégrisme » ou « l’islamisme », une Caroline Fourest ou un Bernard Henri Levy (dans une chronique du Point, au demeurant comique par la grossièreté de ses erreurs) n’ont de cesse de présenter le « bon islam » de Ayaan Hirsi Ali (une populiste néerlandaise, athée, qui travaille aujourd’hui chez les néo conservateurs américains et qui affirme sans ambage que le problème c’est l’islam en soi) [2] ou encore de Taslima Nasreen, athée également, et farouchement anti-religieuse, qui pense que la construction de mosquées entachent le paysage et les libertés d’autrui. On peut diaboliser les extrêmes et se présenter comme des progressistes : dans les faits, ceux qui protestaient contre les thèses populistes et/ou d’extrême droites sont souvent celles et ceux qui ont permis d’alimenter et de conforter ces dernières. On pourrait multiplier les exemples, des Etats-Unis à l’Australie : le populisme se répand par sa clarté simplificatrice face à des partis politiques ou à des intellectuels obsédés par les prochaines élections, colonisés par la peur, peu courageux ou défendant des agendas peu clairs sur le plan national ou international.

Lorsque Thilo Sarrazin, membre du parti social-démocrate (SPD), affirme que la présence musulmane rend l’Allemagne « de plus en plus bête » et que Geert Wilders, aux Pays-Bas, compare le Coran au Mein Kampf de Hitler, ils créent la polémique politico-médiatique, gagnent de la publicité et ne reçoivent des critiques parfois audibles, mais surtout ambigües : ces dernières dénoncent l’excès d’une conclusion mais confirment la logique du raisonnement. Le populisme gagne ainsi deux fois et impose le cadre et l’angle des débats politiques à tous les autres partis : leurs thèses se normalisent à mesure que les politiques oublient les principes de justice et d’égalité, sont obsédés par la reconnaissance populaire et se caractérisent par une absence de vision et de courage très inquiétante. Les avancées des néoconservateurs aux Etats-Unis, luttant contre « l’islamisation du pays », traitant le président Barack Obama, d’ « Arabe » et de « cripto-musulman », relèvent du même phénomène : leur simplisme effrayant a raison de la frilosité et/ou des contradictions de leurs opposants.

L’époque est dangereuse en effet. On sent revenir à la surface des dérives racistes que l’on a connues en Europe dans les années trente et quarante puis de façon plus spécifiques dans les pays européens confrontés à l’immigration au gré de l’histoire récente. L’islam est aujourd’hui devenu l’expression de « la différence » difficilement tolérable et le musulman le symbole de « l’autre » difficilement « intégrable ». En temps de crise, « la différence » et « l’autre » sont les deux cibles des populistes et des extrémistes en tout genre. On ne s’opposera pas à l’évolution de ce climat délétère et à la progression de ces courants politiques par de simples vœux pieux ou des réactions ponctuelles à leurs excès. Il importe de se déterminer clairement : quelles valeurs défendons-nous ? Quels principes sont-ils inaliénables ? L’islam est-elle oui ou non une religion allemande, anglaise, française, européenne, américaine, occidentale ? Qui donc a intérêt, nationalement et internationalement, à nourrir le clash des perceptions, la peur et la haine ? Quelles sont ces alliances objectives qui se dessinent sous nos yeux et qu’il faut dénoncer ? Plus généralement, allons-nous enfin être clair en défendant le traitement digne des immigrés dont nous avons besoin en Occident mais que l’on criminalise pour assouvir le besoin de sécurité de nos populations si aisément assoiffées d’épouvantails et de « coupables » ?

Ces questions, il faut les poser avec détermination et courage et loin des manipulations des populistes comme de ceux qui s’y opposent affublés d’un opportunisme très calculé ou du souci craintif de s’assurer un avenir politique. Où sont donc passés les politiques courageux ? Les intellectuels engagés et résistants ? Les journalistes opposés aux amalgames émotifs et aux réductions simplistes ? Habermas a effectivement raison sur ce point, la conjonction entre la montée d’un nouveau racisme et le discrédit de la classe politique est un grave danger pour l’Europe et l’Occident. Il faut effectivement redonner du crédit à la pensée, à la politique et au sens de la dignité humaine et des valeurs universellement partagées. Avec une pensée, une vision, un discours dont les phrases complexes ne soient pas constituées de secondes propositions lâches ou intellectuellement malhonnêtes mais de réflexions fortes et téméraires n’hésitant pas à aller à contre-courant quand le courant dérive vers un populisme accepté et un racisme normalisé et justifié. Il n’y a plus grand place pour la conscience dans les esprits colonisés par l’ambition personnelle, les intérêts partisans ou les peurs collectives. Ceci est une phrase simple, à une seule proposition.

2. Les populistes ont beau jeu de montrer les contradictions de leurs supposés "contradicteurs" sur leur site (http://www.medias-france-libre.fr/i...). Leurs critiques sont effectivement fondées

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Par Tariq Ramadan


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