Il n’est jamais dйsagrйable de rire du malheur des autres. Au lendemain des «йpisodes neigeux» (doux euphйmisme utilisй par Aйroports de Paris), le parcours malheureux d’un train Strasbourg-Port Bou a beaucoup amusй la galerie. Mais il convenait, йvidemment, de rire jaune.
Ce rapide de nuit, chargй de 600 passagers, a battu un extravagant record de lenteur liй, dit le rapport d’enquкte, а un enchaоnement exceptionnel d’incidents, mauvaises dйcisions comprises. Dans le jargon aviation, le BEA aurait йvoquй une sйquence d’йvйnements catastrophique, encore qu’il soit moins dangereux d’attendre а quai un conducteur absent ou d’кtre bloquй par un autre train en panne que d’emplafonner une montagne dans le brouillard.
Malgrй les apparences, l’affaire mйriterait de retenir l’attention de la communautй aйronautique, ce qui n’est malheureusement pas le cas. En effet, Guillaume Pйpy, prйsident de la SNCF, a prйsentй ses excuses а ses clients et a ouvertement reconnu, а haute et intelligible voix, que de tels incidents ne pouvaient кtre acceptйs. D’oщ, au-delа du mea culpa et des excuses, un dйdommagement, symbolique (des billets gratuits) mais un dйdommagement quand mкme.
Guillaume Pйpy connaоt les bonnes maniиres. Mais, ce faisant, il aggrave les dommages collatйraux de l’йpisode neigeux aйroportuaire. En effet, c’est en vain que l’on a espйrй les excuses de Pierre Graff, PDG d’ADP, qui n’avait pourtant pas besoin d’attendre un quelconque rapport pour admettre que sa belle et grande maison n’a pas fonctionnй correctement, c’est le moins que l’on puisse dire. Pire, ADP est avare en informations, peut-кtre traumatisй par tant de soucis : que la vie serait agrйable si les pistes de Roissy йtaient fermйes une fois pour toutes, initiative qui autoriserait enfin l’йtablissement а se concentrer sur ses boutiques de luxe, ses parkings, son beau bйton armй signй Paul Andreu. Ou encore sur la nouvelle ambassade de France а Tokyo, inaugurйe ces jours-ci, conзue autour d’un йtonnant atrium vertical, њuvre d’une filiale qui n’a pas besoin de portiques de dйgivrage pour bien fonctionner.
Un coup d’њil а la liste des communiquйs de presse diffusйs rйcemment par ADP est йdifiant. Le dernier d’entre eux est datй …du 21 dйcembre et fait le point, а 12 heures, ce jour-lа, sur l’йpisode neigeux. Depuis, plus rien, absolument plus rien. Il est vrai que la neige a fondu, que le prйcieux glycol est retombй dans l’anonymat. Il reste tout au plus а franchir un ultime obstacle, la publication du rapport demandй par Natalie Kosciusko-Morizet, ministre des Transports. Elle est susceptible de le lire et de le commenter, situation invraisemblable que l’on n’aurait sans doute pas connue du temps de son auguste prйdйcesseur.
Ici et lа, de bons auteurs ont quand mкme l’audace d’entretenir l’ire des naufragйs de la neige qui ont ratй leur voyage, pris froid, loupй un rendez-vous professionnel et maudit а tout jamais le transport aйrien. Dans Le Figaro, Fabrice Amadeo, spйcialiste de la sйcuritй aйrienne qui s’intйresse au glycol autant qu’aux sondes Pitot, est longuement revenu sur le grand ratй. Mais c’est une tribune libre de Jacqueline Grapin parue dans Le Monde, qui a fait jaser. Titre et sous-titre disent tout : «Honte а l’aйroport de Roissy ! Une pagaille absurde y rиgne».
L’auteur(e) de cette attaque en rиgle, prйsidente des conseillers du commerce extйrieur de la rйgion de Washington, serait-elle amйricanisйe au point de perdre le recul nйcessaire ? Pas sыr, d’autant qu’elle connaоt bien le transport aйrien : dans une vie prйcйdente, elle dirigea le groupe suisse Interavia qui publiait l’influente revue du mкme nom. Sa trиs mauvaise humeur est donc recevable, lйgиrement emphatique, cruelle mais bienvenue, sinon utile.
Qu’en restera-t-il ? Il n’est plus question d’espйrer des excuses ou une volontй de faire amende honorable. Ce n’est dйjа plus le temps de quoi que ce soit. Hйlas !
Pierre Sparaco - AeroMorning