Emmanuel Dongala déploie le roman au fil de trente-deux chapitres écrits comme trente-deux lettres dont on s’interroge sur le destinataire. On comprend d’emblée que le tutoiement n’est pas adressé au lecteur, et on suppose vaguement qu’il pourrait concerner sa mère puisque l’ouvrage lui est dédicacé.
Ce « tu » à répétition écarte le lecteur de la scène à laquelle il assiste comme derrière une vitre sans tain. Comme un intrus qui jetterait un œil par-dessus l’épaule d’un narrateur commentant des photos souvenir sorties une à une d’une boite à chaussures.
Ce « tu » s’adresse à Méréana, une forte femme mise à genoux par le machisme, assommée par une société corrompue par une cupidité obscène, victime mais jamais vaincue. On pense (encore) à Rosa Park même si l’oppresseur est ici davantage une question d’inégalité sexuelle que raciale. On pense aussi bien sur à Florence Aubenas qui s’est infiltrée sur Le Quai de Ouistreham, paru aux éditions de L’Olivier en février 2010.
Que diable font là toutes ces femmes à casser des cailloux ? Ce n’est pas un métier qu’on choisit mais qu’on exerce jusqu’à ce que son corps lâche. Quel chemin d’infortune les a menées au bord du fleuve ? Peut-on aller plus loin dans la dégringolade sociale ?
Très vite je me suis rapprochée pour n’être que juste un peu décalée.
Je me suis habituée à ce tutoiement qui me maintenait pourtant à distance. J’ai accepté d’être réduite à cette position de spectatrice, m’estimant heureuse d’être admise dans le cercle de ces battantes, d’entendre leurs confidences, d’être conviée à leurs cérémonies, de partager leurs peines et leurs enthousiasmes, porter leurs espoirs, frémir de leurs audaces …
J’ai accepté d’être celle qui se tait et ce n’est qu’à la toute fin que j’ai compris qui parlait, quel était celui qui osait ce tendre tutoiement, respectueux, admiratif, bienveillant et positivement amoureux.
Longue route à vous, Armando et Méré. Que mes vœux vous accompagnent. Longtemps !
Photo de groupe au bord du fleuve d'Emmanuel Dongala, Actes Sud, 2010