Gouvernement social...
Le gouvernement s'essaye presque chaque jour à jouer au social. Nicolas Sarkozy l'a promis, notamment lors de ses voeux du 31 décembre. Protecteur, il doit paraître. Chaque ministre joue ainsi sa partition depuis quelques semaines.
Le 21 décembre, Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités Actives, avait « installé » le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), un machin administratif de plus qui visait à masquer l'avalanche récente de mauvaises nouvelles sociales : hausse du chômage, ravages du froid sur les sans-abris, inflation des tarifs d'EDF, des transports et de santé; faible revalorisation des minima sociaux, etc. Imprudente, la ministre rappela que Sarkozy avait fixé l'objectif de réduire d'un tiers la pauvreté d'ici à 2012. Il ne reste qu'une grosse année, inutile, pour atteindre cet objectif : définie à 50% du revenu moyen, la pauvreté frappait 7,2% des ménages en 2007, et 7,1% en 2008. Crise oblige, il y a fort à parier que les années 2009 et 2010 seront au moins aussi mauvaises.
A la veille de Noël, François Fillon avait accordé le label de la Grande Cause nationale 2011 à la lutte contre la solitude.« Comment admettre qu'au cœur de la société, certains aient le sentiment terrifiant de n'exister pour personne ? » s'était-il exclamé.
Quelques jours plus tard, François Baroin, ministre du budget, et George Tron, son secrétaire d'Etat à la Fonction publique, se préoccupèrent de l'emploi des travailleurs handicapés dans les services publics. Le 27 décembre dernier, François Fillon a signé une circulaire sur le sujet, promettant « qu'à l'horizon 2013, 8 ministères sur 14 remplissent l’objectif de 6 % de travailleurs handicapés et que 4 d’entre eux dépassent le seuil fixé », soit 1500 à 2000 recrutements par an dans les administrations. Dès le début de l'année, le gouvernement lancera une jolie campagne de sensibilisation sur le sujet. Et Baroin et Tron devront organiser, dans l'année 2011, une « journée consacrée au handicap dans la fonction publique. »
Mardi 4 janvier, Roselyne Bachelot, ministre aux Solidarités Actives, a installé les quatre groupes de travail chargés de réfléchir à une meilleure prise en charge de la dépendance : « société et vieillissement, enjeux démographiques et financiers de la dépendance, accueil et accompagnement des personnes âgées, et stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées. » Elle a répété, quasiment mot pour mot, ses déclarations de novembre dernier, ciblant le problème de la dépendance sur deux sujets principaux d'inquiétude : « les départements très pauvres, qui ont beaucoup de personnes âgées, et qui ont évidemment du mal à financer cette dépendance », et « les classes moyennes qui ne peuvent pas toucher les aides et qui pour autant n'ont pas les moyens financiers de les financer sur leurs propres deniers.» En sériant ainsi un sujet aussi vaste, la ministre évite les sujets qui fâchent : dans son rapport publié en juin dernier, loué par Nicolas Sarkozy en novembre dernier, la jeune députée UMP Valérie Rosso-Debord avait souligné l'augmentation du coût annuel de la dépendance, tout en refusant, dans ses recommandations, un accroissement des financements publics : « il n’existe pas de véritable marge de manœuvre pour financer les politiques publiques (...). Les dispositifs actuels ne sauraient en effet perdurer en l’état tant en raison d’un risque d’implosion sous le poids du nombre grandissant de ses bénéficiaires que de ses imperfections dont le constat a été largement et communément partagé par la majorité des interlocuteurs la mission. » pouvait-on lire. Nicolas Sarkozy lui-même avait évoqué des pistes de financement privé, comme le recours à l'héritage ou, pire, la mise en place d'une assurance privée obligatoire. Devant les premiers tollés, le gouvernement semble jouer plus discrètement, en encadrant le « débat » sur deux questions isolées et symboliques, les départements pauvres et les classes moyennes.
... ou antisocial ?
Malheureusement, ces efforts pour paraître social passent quasiment inaperçus. Lundi, la filière agricole bio découvrait que le gouvernement avait sabré de moitié le déjà maigre crédit d'impôt bio, initialement de 4000 euros pour les agriculteurs qui se convertissent au bio. « Le crédit d'impôt devait remettre un peu de justice dans l'attribution des aides en faveur des petits; désormais, ces petits sont pénalisés. » commente Dominique Marion, président de la Fédération nationale de l'agriculture bio.
En novembre dernier, deux hauts fonctionnaires, l'un de l'inspection générale des finances, l'autre de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) remettaient leur « analyse de l'évolution des dépenses au titre de l'aide médicale d'Etat » (AME) dont bénéficient les étrangers sans-papier. Ils devaient notamment évaluer les modalités de mise en place d'une contribution forfaitaire des bénéficiaires de l'AME sous forme d'un droit d'entrée dans le dispositif, et en évaluer le bénéfice-coût. Faisant fi des exigences morales et sanitaires, les députés UMP décidèrent de voter la proposition gouvernementale d'imposer un droit d'entrée forfaitaire de 30 euros aux bénéficiaires de l'AME. Bizarrement, il fallut attendre l'adoption de la loi de finances 2011 pour que la Documentation Française publie enfin, le 31 décembre dernier, le dit rapport. Et pour cause ! Dans leur rapport, les deux auteurs ont livré des conclusions fort contradictoire avec l'argumentaire sarkozyen :
- L'AME bénéficie quasi-exclusivement à des personnes seules (80% des bénéficiaires). « Les familles de six personnes ou plus constituent moins de 0,5% du total des ouvrants droits. La consommation de soins n'est par ailleurs corrélée à la taille de la famille.» Le mythe de familles étrangères nombreuses clandestines ponctionnant l'AME a vécu !
- En moyenne, un bénéficiaire de l'AMU consomme moins de soins qu'un bénéficiaire de la CMU : 1741 euros contre 2 606 euros par an. En d'autres termes, parmi les précaires, les sans-papiers pauvres sont plutôt économes !
- La forte progression du coût de l'AME ne s'explique pas par une croissance massive du nombre de bénéficiaires, mais par le coût très élevé de soins de quelques bénéficiaires (0,3% des soignés en Ile-de-France coûtent 5% des dépenses nationales d'AME : les arguments sarkozyens, ici encore, sont contredits par les faits.
- Le nouveau droit de timbre de 30 euros ne rapporterait que 6 millions d'euros par an, une économie dérisoire.
- Enfin, cette taxe découragera certains bénéficiaires, ce qui risque, concluent les auteurs, d'être contre-productifs : soigner tôt est moins cher qu'une hospitalisation tardive. Et un report de soin favorise la propagation des maladies.
Au final, les deux auteurs ne recommandaient pas la mise en oeuvre d'une telle contribution financière, jugée inefficace et contre-productive. Un avis que le gouvernement s'est bien gardé de communiquer avant de faire voter sa sinistre mesure.
Sur un autre sujet, pour prétendument sanctionner les médecins qui refusent d'utiliser la carte Vitale, les feuilles de soins seront désormais taxées de 50 centimes pièce si elles dépassent 25% des prescriptions d'un médecins. Les médecins récalcitrants pointent le coût de l'équipement nécessaire à leur informatisation. Et les patients seront finalement les seuls à payer l'addition... L'assurance maladie espère économiser 200 millions d'euros. Sensible aux arguments des médecins libéraux, Xavier Bertrand a concédé que « la taxe, si elle est nécessaire, s'appliquera avec discernement.»
Mardi, Xavier Bertrand devait également réagir à un article d'une revue médicale, « Prescrire », celle-là même qui avait publicisé les dangers du Mediator® en novembre dernier, qui demandait expressément le retrait du marché trois médicaments, dont le buflomédil (Fonzylane®, Buflomédil EG®) qu'elle juge « sans intérêt thérapeutique démontré ». est absente des débats. Xavier Bertrand, ministre du travail ne laisse aucun espace à sa secrétaire d'Etat à la Santé, Nora Berra. Mardi, il a reconnu que les procédures d'analyse risque/bénéfice sont trop longues. Rappelons que le buflomédil est commercialisé en France depuis ... 20 ans. «Est-ce que ces procédures (ne) durent pas très longtemps, trop longtemps ? C'est ça ma question et j'y apporterai des réponses dès le 15 janvier, dès la publication du rapport de l'Igas » a-t-il expliqué. Ce fameux rapport de l'Igas du 15 janvier fera-t-il la lumière sur les relations d'intérêts éventuelles entre laboratoires et autorités sanitaires ?
Rien n'est moins sûr.