Quand Verdi crée cette opéra à la Scala de Milan en 1842, l’Italie n’existe pas pour ainsi dire; c’est une “expression géographique” (Metternich), singulièrement divisée et morcelée. On compte à l’époque dans la péninsule pas moins de huit Etats dont trois seulement sont véritablement indépendants: le Royaume de Piémont-Sardaigne; l’Etat du pape; et le Royaume des Deux-Siciles. Les autres sont soit directement occupés par l’Autriche (la Lombardie et la Vénétie) ou bien soumis par le même pays (la Toscane et les deux duchés de Parme et de Modène). Par conséquent, lorsque les Italiens entendent ce fameux choeur des Hébreux à l’Acte III, ils s’identifient spontanément à eux (bien que l’action se situe en 586 av. J.-C. à Jérusalem puis à Babylone). Est-ce qu’ils ne subissaient pas peu ou prou la même chose, à savoir la domination par une puissance étrangère sur le sol national ? Cette année durant laquelle on célèbre le cent cinquantième anniversaire de la proclamation du Royaume d’Italie, on évoquera évidemment à satiété l’opéra de Verdi; j’ai pour ma part plutôt le goût et l’envie d’insister sur le dossier historique.
Pour commencer, Verdi s’appuyant sur le récit biblique, présente les Hébreux comme des êtres ayant subi la destruction de leur temple puis la déportation et l’exil à Babylone. Là-bas, ils auraient vécu enchaînés dans des conditions inhumaines, risquant à tout moment d’être exterminés par les hommes du roi Nabuchodonosor II (605-562 av. J.-C.). Aujourd’hui les historiens estiment qu’environ 4500 Juifs furent effectivement déportés en trois vagues: en 597, 587 et 582 av. J.-C. Visiblement on séparait les gens de condition ordinaire installés loin des grands centres urbains, des membres des classes dirigeantes. Ces derniers étaient selon toute vraisemblance, logés dans la capitale ou bien assignés à résidence dans le palais, à l’instar d’Aung San Suu Kyi récemment libérée. On pense que l’idée très astucieuse à mon sens, était de retenir durant une longue période les élites dans le but de “créer un vivier de futurs dirigeants imprégnés de culture babylonienne et ayant adopté les moeurs de leur pays d’accueil” (analyse de Philippe Abrahami).
En outre, on a le sentiment à la fin de l’opéra que tout rentre dans l’ordre puisque la méchante Abigaille pétrie de remords, meurt empoisonnée; chacun reconnaît enfin la puissance de Jehovah y compris le roi Nabucco qui se convertit au judaïsme emboitant le pas de sa fille Fenena. En réalité, il faut attendre que le roi perse Cyrus conquiert Babylone en 539 av. J.-C., pour que les Judéens soient enfin autorisés à retourner à Jérusalem… Mais en dehors de ces remarques minuscules, quelle musique !