Lorsque la légende du roi Arthur rencontre le créateur de Ghost in the shell, cela donne Avalon, parabole fascinante sur la déliquescence de nos sociétés modernes et fable sur les différentes strates de réalité, qu'elles soient réelles ou virtuelles.
Avalon, c'est cette île légendaire sur laquelle le roi Arthur, mourant, aurait été transporté après sa dernière bataille. L'île des héros.
Mamoru Oshii reprend à son compte cette île légendaire et la transpose dans un futur indéterminé.
Avalon devient ainsi le nom d'un jeu auquel les participants se connectent pour s'affronter dans une réalité virtuelle. La dangerosité du jeu (certains joueurs en reviennent catatoniques en y laissant leur esprit) a abouti à son illégalité. Mais de nombreux joueurs continuent de s'y affronter clandestinement. Parmi eux, Ash, jeune femme maîtrisant Avalon mieux que quiconque.
Interprété par la sublime Malgorzata Foremniak, le personnage de Ash vit recluse dans un appartement avec son chien. Evoluant comme tous les autres habitants dans une société sombre, sale, au milieu d'une ville détruite physiquement et moralement, elle ne trouve d'alternative à son vide intérieur et à sa tristesse que dans le jeu. Ou lorsqu'une réalité en remplace une autre. Mamoru Oshii poussera cette idée dans ses ultimes retranchements à travers un joueur ayant littéralement perdu son esprit dans le jeu pour s'y abandonner éternellement. La technologie a toujours fasciné le metteur en scène (voir Ghost in the shell pour s'en convaincre). Dans Avalon, elle est arrivée à son point de non-retour, puisqu'elle permet à de nombreuses personnes de survivre dans un monde devenu inhumain, en leur permettant de s'affronter dans des combats guerriers où l'adrénaline et l'émotion retrouvent leur droit de cité. En un mot, il leur est enfin possible de ressentir.
Cette projection, relevant davantage de la dystopie que de l'anticipation, révèle un profond pessimisme de la part de Mamoru Oshii, de toute évidence inquiet quant au possible devenir de nos sociétés, et pariant sur le virtuel pour palier aux manques et au désespoir ambiant. La technologie comme unique moyen de survie est certes une terrifiante hypothèse, mais un dernier recours somme toute parfaitement recevable. Cette fameuse île vers laquelle Ash tente de se diriger prendra au final les atours de notre société, véritable calque en couleurs du monde tel que nous le connaissons. Autrement dit, le monde actuel, en incarnant dans le film la représentation du bonheur dans un avenir qui se délite, se doit d'être sauvé (on n'est ici pas loin du propos de Se7en).
D'autre part, ce qui marque les yeux et l'esprit à la découverte d'Avalon, c'est bien évidemment son esthétique. Quasiment entièrement retouchée
numériquement, la photographie du film se situe entre le sepia et la couleur délavée, conférant au métrage une patine accentuant la tristesse et la désolation qui imprègnent le monde qui nous est
décrit. Les seules images en couleurs apparaîtront à la fin du film, lorsque le personnage de Ash touchera à la fin de sa quête. D'une beauté foudroyante, d'une tristesse qui suinte de l'écran,
les images d'Oshii restent imprimées sur la rétine bien longtemps après la projection, constituant 10 ans après la sortie du film son inoubliable carte de visite. Impossible également de ne pas
souligner l'admirable musique de Kenji Kawai, d'une beauté à couper le souffle (le titre Voyage to Avalon est un véritable chef d'oeuvre de lyrisme).
L'on pourra cependant regretter une légère baisse de rythme en milieu de métrage, sans que cela ne vienne entâcher la qualité de l'ensemble.
Dans Avalon, rien ne nous est dit sur les raisons qui ont causé la déchéance de la société. La technologie en constitue le salut. Le film date de 2001. 10 ans plus tard, Internet et le reste de la technologie dévorent nos quotidiens. Sans recul, en s'y abandonnant totalement ,le risque de se perdre peut être envisagé. La technologie salvatrice du film fossoyeuse potentielle de l'humanité ? Ou quand la réalité pourrait dépasser la fiction...