Etats-Unis - Wikileaks : à qui profite le crime ? (Le Grand Soir, 1er décembre 2010; et La Libre Belgique, 2 décembre 2010) - Texte intégral
Les « révélations » du site Wikileaks, qui vient de publier plusieurs dizaines de milliers de correspondances diplomatiques états-uniennes, sont hélas des plus décevantes, à ce stade du moins, car d’un commun navrant.
Rien, par exemple, sur le rôle des Etats-Unis quant à la déstabilisation du gouvernement iranien et à son intervention dans la « révolution verte » qui avait suivi les élections de juin 2009 ; rien sur le virus informatique « stuxnet » qui serait en train de paralyser l’armée iranienne et ses centres de recherche nucléaire ; rien sur la Syrie, sur son retour en grâce par l'intermédiaire de l'Arabie saoudite, et rien sur l'affaire Hariri ; rien sur les négociations israélo-palestiniennes qui ont repris depuis peu et sont pourtant au cœur de la politique états-unienne au Proche-Orient ; rien sur l'insulte infligée par le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou au vice-président états-unien Joe Biden, par la reprise de la colonisation dans les territoires occupés ; rien sur les circonstances du massacre de la Flotille de la Paix ; et, de manière générale, absolument rien sur Israël. Et ce pour ne parler que du Moyen-Orient. Car rien non plus sur quelqu'autre dossier chaud, ailleurs dans le monde.
En outre, aucune information sur l’origine de ces documents et leur authenticité (que les principaux intéressés ne dénient cependant pas…).
En fait, globalement, rien de vraiment nouveau, rien de sensationnel dans ce qui a été publié jusqu’à présent. Et il est peu probable que de nouvelles « révélations » surviennent dans les jours à venir : tous les journaux qui ont publié les courriers électroniques livrés par Wikileaks ont présenté les mêmes « infos », invariablement ; de plus, la plupart de ces deux cents cinquante mille courriels de consulats et d’ambassades, livrés en bloc, doivent comporter des kilomètres de faits sans intérêt, allant de la « réparation de la photocopieuse » au « remplacement de la moquette ».
En effet, cette correspondance contient d’abord quelques mots malheureux de tel ou tel diplomate de second rang sur l'un ou l'autre chef d'Etat, mais pas de quoi fouetter un chat (rien d’inhabituel, en somme, dans ce genre d’échanges informels, comme le savent fort bien toutes les chancelleries du monde) : Mohammad Kadhafi aime les jolies filles ; Hamid Karzaï est corrompu jusqu’à la moelle ; Vladimir Poutine aime jouer des biceps ; Silvio Berlusconi est trop âgé et fatigué ; Angela Merkel est une dure à cuire ; et Nicolas Sarkozy serait quant à lui autoritaire, viscéralement pro-américain et pro-israélien… Dernière nouvelle ! Le président français est aussi qualifié de « roi nu » ; mais, là, personne ne comprend, ni ne se risque à une interprétation.
Et Washington espionne l’ONU. Incroyable ! Qui l'aurait cru, en effet, sans ces « révélations» ? Aurait-on ainsi oublié que la CIA a infiltré l'ONU depuis belle lurette ? Aurait-on oublié le faux rapport de l'envoyé spécial de l'ONU en Irak, Richard Butler, qui avait servi à justifier les bombardements ordonnés par le président William Clinton, consécutivement à l'affaire « Monica Lewinsky » ?
De quoi donner le change?
Pour le reste, la principale « nouvelle », c'est que la plupart des chefs d'Etat arabes (le président égyptien Hosni Moubarak, le roi de Jordanie, les dictateurs du Golfe persique, etc., tous alliés traditionnels des Etats-Unis) se sont déclarés très farouchement opposés au gouvernement de Mohammad Ahmadinejad et souhaitent une intervention états-unienne. Sans blagues ?! C’est le cas depuis 1980 et la guerre Iran-Irak, durant laquelle tous ces Etats avaient ouvertement soutenu et financé Saddam Hussein contre la République islamique des Ayatollahs…
Bref, on n’apprend rien.
Cependant, la diffusion de cette correspondance n’est peut-être pas dénuée de tout intérêt. N’est-il pas curieux, en effet, que les seules informations « pertinentes » concernent quasiment uniquement le Moyen-Orient et plus particulièrement l’Iran ? Et ne pourrait-on pas se demander, en fin de compte, si ces « fuites » n'auraient pas été organisées et utilisées, ne serait-ce que partiellement, par la Maison blanche elle-même ?
C’est que le fait de divulguer de la sorte ces déclarations permet de renforcer un peu plus la pression sur l'Iran et d’officialiser davantage encore son isolement au sein du monde arabo-musulman, tout en mettant les Etats arabes hostiles à Téhéran face à leurs responsabilités. Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, n’a d’ailleurs pas hésité à renchérir en se réjouissant de ce que, désormais, Israël et les pays arabes sont officiellement d’accord sur le danger iranien et le moyen de le juguler.
De même, l’autre « grande info », la question de l’achat à la Corée du Nord, par l’Iran, de fusées capables d’atteindre l’Europe, survient à point nommé pour la politique étrangère des Etats-Unis, non seulement à l’égard de l’Iran, mais également précisément au moment où l’OTAN veut construire son fameux bouclier antimissile. Et voilà comment faire d’une pierre deux coups…
Ainsi, tout, pour l’essentiel de ces « révélations », ramène à l’Iran, désignée en tant que « menace pour le monde » (pour l’Europe en particulier, dont plusieurs gouvernements sont peu enclins à une nouvelle intervention musclée au Moyen-Orient et devraient dès lors être convaincus du danger).
A la lumière des « révélations » de Wikileaks, la guerre contre l’Iran est donc non seulement nécessaire, mais elle est désormais possible : tous la veulent, l’Europe, Israël, les Etats-Unis, et aussi les pays arabes ; une attaque contre l’Iran ne viendrait donc nullement mettre le feu aux poudres dans le monde arabo-musulman.
Et les opinions publiques du monde entier d'adhérer à ces arguments, qui, pour une fois, ne viennent pas de Washington, au contraire très « embêtée » par ces « révélations », mais bien de Wikileaks, le « Robin des Bois du net » et, officiellement, l'un des pires cauchemars de la Maison blanche...
A bien y réfléchir, cette affaire ressemble sensiblement à un beau coup de propagande visant à justifier une agression à l’encontre de l’Iran et à créer le consensus autour de cette perspective : même scénario, à peine plus subtil, que celui qui avait affirmé que l’Irak de Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, avant qu’il ne fût confirmé, par la guerre illégale de 2003, que le pays était en réalité sans défense. En politique, les vieilles recettes éprouvées resservent souvent.
Accessoirement, enfin, ces « révélations » nous rassurent : les manoeuvres et intrigues de la Maison blanche sont pures fantasmes des « théoriciens du complot ». Rien de tout cela n'existe. La preuve : on n'en trouve trace dans la correspondance diplomatique états-unienne. Cqfd.
Sur les traces de Sherlock Holmes, cherchons donc à qui profite le crime...
La plupart des chroniqueurs parlent d’un « 11 septembre de la diplomatie ». C’est en tout cas très surfait et fort excessif. Et garantissent que la diplomatie états-unienne ne sera plus la même à l’avenir. Rien de moins sûre…
Lien(s) utile(s) : Le Grand Soir et La Libre Belgique.
Coupure de presse :
Clein d'oeil :
Wikileaks, vu par Les Guignols de l'Info
La réaction à cet article de Père Ubu (23 décembre 2010, page 2).
Et la réaction sioniste, qui, décidément, ne nous lâche plus : Pierre Piccinin, vrai islamo-gauchiste.
Lire aussi : IRAN - Une attaque imminente ?.