Elle avait, par tempéremment, toujours voulu tout faire très vite. Ne jamais prendre de retard. Se retrouver en avance si il le fallait. Jouer deux coups avant les autres autant que possible. Créer le possible.
D'origine hindi, elle avait choisi Manhattan pour lancer sa carrière de mannequin. Elle prit quelques cours de théâtre mais à Manhattan, presque tout le monde suit des cours de théâtre. Si elle voulait se distinguer c'était autrement qu'il fallait s'y prendre.
Le 29 décembre, la jeune femme autrefois mince et longue, avait déjà pris une bonne vingtaine de livres dans le pays de l'Oncle Sam. Là où être obèse, c'est rejoindre la majorité. Ce n'est pas de cette façon qu'elle voulait attirer l'attention. Elle pensait même avoir retréci ce qui, déjà de grandeur moyenne, serait un obstacle majeur à sa potentielle carrière de mannequin. À des amis qui s'inquiétait de son poids elle avait dit qu'elle état enceinte.
"et le père?" lui avait demandé ceux et celles qui ne l'avaient jamais vue en amour, en couple.
Elle s'était convaincue qu'elle réussirait à combler tous les besoins de sa petite fille lorsqu'elle naîtrait. Elle s'était d'abord convaincue de combler les siens en premier. 24 ans, c'était l'âge à laquelle elle s'était promise d'avoir son premier enfant et elle n'avait même eu d'ami de coeur, pas même d'ami de cul. Une seul aventure, moche, qui l'avait fait sentir non désirable.
Elle prenait du retard, dans sa carrière, dans sa vie personelle, c'était impardonnable, inconcevable. Il fallait réinventer.Elle avait inventé sa grossesse. Inventer une fille dans son ventre.
Mais au bout de ce mensonge, il devait y avoir un bébé. "Je perdrai du poids et dirai que j'ai perdu le bébé" pensait-elle mais elle se trouvait incapable de perdre l'excédent de poids qu'elle avait gagné dans le continent du Big Mac.
Il fallait donc un bébé.
Le Canada a toujours été particulièrement bon pour ses minorités visibles, ça semblait l'endroit idéal pour se lancer. On disait sa population naive et moins agressive et il n'y avait pas cette connerie de "Green Card" qui vous forçait à valider tout vos faits et gestes à un sous-groupe inutile selon elle. Elle avait donc été rejoindre des amis en Ontario et mis sur pied un plan pour se dénicher un bébé.
Elle se trouva d'abord un local en faisait croire à son propriétaire qu'elle avait loué le lieu et en avait oublié la clé.
En s'assurant d'avoir ce local à elle le matin du premier janvier, elle s'assurait aussi que les (potentiels) vrais locateurs seraient probablement en train de récupérer le matin du jour de l'an.
Elle tiendrait des auditions, payées dans les petites annonces du journal local depuis le 29 janvier, pour un film de type "Bollywood" dans lequel on aurait besoin d'un bébé. Hindi, bien entendu. Fille idéalement. Comme tout ça était un jeu de rôle, elle s'était donné le nom de Dianne Miller.
Marie-Michelle a prétexté vouloir rester seule avec le bébé afin de voir si elle réagissait bien avec des étrangers. Ça devenait si facile pour Marie-Michelle, elle quittait par la porte de derrière avec un nouvel enfant dans les bras, une belle et adorable petite fille. Une fille qu'elle ferait sienne.
Quand la police l'a retracé, elle était maman. Faussement maman. Elle avait créé son monde des possibles.
Après avoir brièvement comparu en cour, on l'a envoyé en prison sur le champs. Bien qu'elle était au fond d'une cellule, c'était plutôt le fond du baril qu'elle touchait.
C'était l'année du desespoir qui avait commencé pour Marie-Michelle.
On avait éteint les lumières, fermé les moteurs, rangé l'équipement.
C'était pas le bon follow spot qui l'illuminait et elle le savait.
Le désespoir est déséquilibrant.
Ça aussi, elle l'a appris.