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A cause de la sortie - et surtout du succès - du film de Guillaume Canet Les Petits Mouchoirs, Théodore se trouvait donc dans l'obligation de changer le titre de son premier roman, roman qu'il écrivait depuis une dizaine d'années et qu'il comptait enfin envoyer à des éditeurs.
- Tu avais déposé le titre ? lui demanda son ami Pierre-Marie.
- Non. Pourtant je l'avais trouvé avant. En 2001, je m'en souviens. Juste avant le 11 septembre.
- Dis-toi que les grands esprits se rencontrent et que...
- Je m'en fous, lâcha sèchement Théodore avec ce ton caractéristique des artistes aigri et agressifs comme des grands fauves blessés. Tout mon roman était basé sur le titre. Je suis trop dégoûté. Je hais ce Canet.
Quand il consentait à parler du contenu de son premier roman, Théodore le présentait comme œuvre à la fois humble et profondément novatrice. Dénué d'intrigue, installé dans une atmosphère noire et crasseuse - "un peu à la Thomas Bernhard mais en mieux" lâcha-t-il un jour sur sous l'effet de l'alcool -, son roman, loin d'être autobiographique (tenait-il à préciser), plongeait le lecteur dans la tête d'un homme condamné au RMI depuis des années, et qui n'avait pour autre occupation que la masturbation (quotidienne, frénétique et intensive).
Dans la deuxième partie du roman (écrit comme un diptyque), un rituel s'installait progressivement, où l'on découvrait le personnage principal se mettre à sauvegarder ses mouchoirs usagers au congélateur - mouchoirs sur lesquels il prenait à chaque fois soin d'inscrire au stylo bic à la fois la date, l'heure et surtout les images qui avaient alimenté son excitation.
- Ce Canet m'a tuer , je le hais ! jura une nouvelle fois Théodore en tapant du poing sur la table et en se foulant le poignet.
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