Voilà une autre manière de marcher pour l’Europe. Il n’y a eu que l’espace d’une semaine entre le parcours en Toscane et celui qui, en Forêt de Fontainebleau, a rassemblé presque six cents personnes sur les pas de Robert Louis Stevenson.
On dirait tout un monde. En tout cas c’était bien l’espace d’une saison. L’automne était tout aussi somptueux dans le sud de la région parisienne, sous le couvert des hêtres et des chênes, qu’entre les vignes siennoises. Mais il s’agissait déjà d’un véritable automne, jaunissant comme il le faut, romantique à souhait, avec ses troncs bouleversés et ses chemins tracés de bleu, depuis que Denecourt, ce soldat napoléonien, les a repérés au milieu du XIXe siècle et que les écrivains comme Théophile Gautier, Victor Hugo ou George Sand lui aient rendu hommage pour ce travail de « sylvain ».
Le lien est donc bien direct entre une Europe post impériale et un milieu artistique profus, pour lequel la nature, représentée de manière symbolique par cette forêt enchantée, devient l’espace même du dépaysement. J’y reviendrai !
Lorsque j’ai été invité par l’Association qui pilote l’itinéraire Stevenson dans les Cévennes à participer à une réflexion sur l’extension européenne de la route cévenole, afin d’envisager la mise en place d’un itinéraire culturel européen, je n’ai pas hésité. Il y a d’abord mon amour pour les Cévennes, découvertes quand j’avais vingt ans, mais surtout le fait de revenir dans les alentours de Fontainebleau : entre Barbizon et Grez-sur-Loing.
On m’a bien demandé quand je suis arrivé si je connaissais les environs. J’ai du préciser que je ne suis qu’un Luxembourgeois de pacotille, un Luxembourgeois de Paris et ajouter que j’ai bien dû accompagner des étudiants trois ou quatre fois par an pendant pratiquement trente années dans les sentiers Denecourt, pour des leçons pratiques de botanique.Certaines de mes passions, mais aussi de mes métiers, se rejoignent ainsi parfois.
C’est peu dire que j’ai été surpris par le nombre des participants et par leur joie à se retrouver ici, dans un contexte de marche, certes, mais cette fois hors de toute idée de pèlerinage, et bien plutôt dans un retour aux origines de la randonnée pédestre et du tourisme durable.
L’avions nous oubliée, cette naissance là du cheminement, quand il était déjà question de loisirs imaginaires et imaginatifs ?
J’ai eu beaucoup de plaisir à marcher avec des étudiants, et ceci sur plusieurs générations, des échevelés d’après 68 aux sagesjeunes gens de la fin des années 90. Plaisir à raconter. Est-ce en effet si différent de conter l’éblouissement des peintres et des écrivains arrivés en train, celui de ces défricheurs de sentiers qui avaient marché dans l’Europe des combats d’Empires, ou encore celui de Gaston Bonnier, cet extraordinaire botaniste qui naît au moment de l’apogée de l’Ecole de Barbizon, subit la guerre de 1870 et vient fonder en 1889, tout près de Fontainebleau, une station botanique ?
Ses flores, du petit ouvrage portable utilisable en région parisienne et dont je conserve toujours mon exemplaire d’origine, en passant par la grande flore sur les plantes du nord de la France et de Belgique, elle aussi bien écornée, aux magnifiques ouvrages en couleurs qui m’ont fait longtemps rêver, toutes sont à l’image de la station d’Avon elle-même où nous nous réfugions après une journée de récolte pour trier et commencer de faire sécher les plantes : précises et pourtant accessibles, au-delà du langage scientifique nécessaire, tournées aussi bien vers la connaissance des savants que de celle d’un public amateur. La volonté de transmettre paraît ici partout ! Réunir les références, faire découvrir et raconter le monde de la nature et celui des hommes.
Je n’étais donc en fait pas dépaysé, juste fasciné de constater que je reliais des fils, en toute amitié avec ces marcheurs cévenols, écossais et parisiens et ces amateurs d’art qui gardent sur les lieux du pré Impressionnisme et de l’Impressionnisme la volonté d’aller toujours au devant des rencontres artistiques. Les artistes du « Bout du Monde » conduisent le jeu.
Ces lieux parlent en effet ! L’auberge de Stevenson est toujours ici et, comme à Auvers-sur-Oise, l’environnement est quasi intact. De fait, je ne peux oublier que mon arrière-grand-mère, qui est née à une cinquantaine de kilomètres de Fontainebleau, dans un repli des plateaux de la Brie, au moment où Denecourt, a tracé ses chemins, a constitué - le temps où je l’ai connue, le témoin vivant de ce siècle là !
Je regarde la photographie issue des collections de l’Association des Artistes du Bout du Monde, où Frank O’Meara, Isabel Osbourne, Fanny Osbourne et Robert Louis Stevenson ressemblent à des modèles pour des peintres cherchant un déjeuner sur l’herbe.
« C’est une chose complètement différente de se réveiller à Grez, de descendre dans le jardin verdoyant de l’auberge, de voir la rivière s’écoulant sous le pont et de contempler l’aube qui pointe à l’horizon derrière les peupliers. Le repas sont pris dans la fraîcheur de la charmille, sous les frondaisons agitées par la brise. Les éclaboussements des avirons et des baigneurs, les costumes de bain qui sèchent, les canoës coquets près de l’embarcadère nous parlent d’une société qui ne néglige pas les loisirs. » écrit Stevenson dans « La forêt au trésor » (Treasure forest).
Et encore : « I was for some time a consistent Barbizonian; et ego in Arcadia vixi, it was a pleasant season; and that noiseless hamlet lying close among the borders of the wood is for me, as for many others, a green spot of memory. The great Millet was just dead, the green shutters of his modest house were closed; his daughters were in mourning. The date of my first visit was thus an epoch in the history of art: in a lesser way, it was an epoch in the history of the Latin Quarter…”
Et l’histoire continue ainsi. Entre eux et nous.
Si lointains, si proches !
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