Avec Le nom du vide Olivier Goujat publie aux éditons Isabelle Sauvage son tout premier livre ; un « livre d’artiste » selon des codes un peu artificiels qui rendent bien mal compte de la façon dont l’éditeur, l’écrivain et le peintre se sont totalement engagés dans un projet commun. On admirera de fait un travail d’édition remarquable comme on en trouve de plus en plus rarement : composition au plomb mobile en Garamond sur papier Ingres et pelure d’oignon…., livre sans reliure traditionnelle mais dont les pages sont retenues à l’intérieur des couvertures mobiles par un fort bandeau noir élastique qui lorgne vers le deuil, intervention, enfin, de l’artiste Monique Toupin dont les gravures viennent ponctuer le poème. Mais au-delà du souci esthétique, c’est avant tout le texte qui demandait le jeu de la transparence et de la double page : d’un point de vue strictement formel, les blancs laissés dans le texte écrit sur le papier sont recouverts par un autre texte écrit sur les « pelures d’oignons » … et qui recouvre, remplit les blancs jusqu’à ce qu’on tourne la page. On pourra déjà trouver dans ce processus
d’il-lisibilité une métaphore parfaite du contenu du livre.
La citation de Jean-Luc Nancy mise en exergue situe le lieu de son écriture : « fin des sources, commencement de l’excès sec du sens ». Entre origines et échappées, sources et ressources, retour sur soi et abandon à l’autre, on est d’emblée de plain pied dans cet espace où quelque chose se cherche, se trace mais sans jamais se dire ni se livrer de façon immédiate. Certes dans l’inscription du souffle et la scansion des phrases, dans l’articulation des mots à la jointure des lèvres on retrouvera les sources d’un Claude Royet-Journoud ou d’une Anne-Marie Albiach, cette poésie qui tranche dans le vif et qui monnaie chacun de ses mots. Le vide sans nom où se décline le texte serait alors ce chaosmos d’où nous venons, cet « état sans état » où rien ne tient en tant que tel mais où tout se joue avant la levée du jour. Dans l’alternance et dans la transparence des pages, on retiendra alors les restes d’un récit où se laisse entredire la claire énigme qui échappe à la portée des mots. On y devine la face cachée d’un narrateur ; « il est parlé » dit sobrement le texte en entretenant le « suspens » … On y entend la voix sans voix de l’enfance, le cri rentré de l’enfant in-né qui lui demande de vivre. Le livre retient le souffle de cette venue au monde, perpétuelle, perpétuée où le narrateur se doit d’apprendre à vivre avec l’enfant qui parle en lui, pour lui, en conservant le silence : « le rapport s’obtient par suspension/des sens (…) comment articuler –cette soustraction » s’inquiète le narrateur… Tout est dit, au mot près. On admirera alors la beauté informelle d’un texte qui prend après avoir longé le risque du vide. La force du livre tient à la façon singulière dont le visible vient instruire le lisible en décuplant (et découplant) les moyens affichés de la langue. Dès lors que la nuit tombe, « n’être » se confirme - naître s’entend - même si un événement où rien arrive, où c’est le rien qui se livre se doit de rester grandement imperceptible. Les mots s’éloignent, la poésie s’absente dans le récit. Le narrateur s’expose mêlant douleur de vivre et une certaine douceur d’un impossible dire : « le défaut aussi est/manière de se prononcer/à la place de son nom//des tessons pour attache/à la blessure des lèvres ». On accompagne alors avec la discrétion requise l’excès de sens qui coule de source et « -- ajoute à la nuit ». Le texte dicte sa loi, l’enfance nous parle de l’intérieur et creuse silencieusement le nom secret du Vide.
Didier Cahen
Olivier Goujat
Le nom du vide
Avec des gravures de Monique Toupin
Editions Isabelle Sauvage, 2010
75 euros.