Un thé qui ne refroidit pas, est-ce possible ? En avez-vous jamais connu un comme ça? Sommes –nous dans un conte féérique ? Serait-ce une histoire de magie que cette nouvelle de Yoko Ogawa ?C’est en tout cas un thé que la narratrice retourne souvent boire avec délices chez K., son camarade de collège et son épouse, leur très belle ancienne bibliothécaire. Auprès de ce couple, elle se sent parfaitement bien et sa vie monotone avec Sato, son mari si terne, et si souvent absent, reprend de la couleur. La preuve qu’elle va enfin se décider à améliorer son quotidien, c’est qu’un jour elle va mettre de l’ordre dans sa maison, en jetant la majorité des choses un tant soit peu usées. Le ménage par le vie et la sérénité par le ménage! Sagesse toute féminine ou particulièrement asiatique? Mais tout ça pourquoi? Qui est cette narratrice qui se contente de si peu?
Comme toujours l’auteur est peu loquace sur ses personnages et nous les laisse à deviner.
J’imagine quant à moi cette narratrice comme une femme dans la trentaine, une japonaise somme toute assez banale, qui passe facilement inaperçue, timide et effacée à l’école, discrète et nostalgique à l’âge adulte.Est-elle dépressive ?
Avant sa rencontre avec K, au cimetière, sur la tombe d’un ancien ami mort brutalement noyé dans sa voiture avec sa jeune femme, elle nous a raconté toutes les morts qui l’ont marquée depuis sa naissance : les poissons tropicaux de son frère, régulièrement enterrés dans leur jardin, au pied d’un fusain - la découverte des horribles planches ana tomiques de la pharmacie où elle à dû aller chercher de l’alcool servant à laver le cadavre de son grand-père - celle de son condisciple enfin, la troisième de son existence.
Curieusement, cette descente dans le quartier du cimetière en bord de mer lui procure un sentiment mystique qui ne la quitte plus et qui adoucit l’impression d’isolement qu’elle ressent de plus en plus fortement en restant chez elle auprès d'un mari qui l’agace de plus en plus.Le seul événement un peu pittoresque de ce récit tient à ce livre de la bibliothèque du lycée retrouvé oublié dans sa chambre dix ans après. Quand elle le rend à la nouvelle responsable, celle-ci lui apprend que tous les anciens livres ont brûlé dans un incendie. Le sien est le seul rescapé du désastre.Tout ce que j’aime chez Yoko Ogawa se tient là, dans ces riens qui en disent tant et qui obligent à rester infiniment attentif au moindre détail. On sait que la romancière n’insiste pas , ne revient pas sur ce qu’elle a déjà écrit précédemment. Ce n’est pas son genre, les répétitions. Elle fait confiance à son lecteur. A lui de comprendre, de tout saisir !
La fin est habituelle, encore plus neutre et mystérieuse que le reste! Après une soirée paisible chez K, en regardant un match à la télévision et dans l’attente du retour de sa femme qui n’arrive pas, elle s’apprête à rentrer chez elle : " J’ai bu ma dernière gorgée de thé… Il était brûlant. La coulée de bronze a transpercé mon corps en vibrant.- Ce thé n’a pas du tout refroidi, ai-je remarqué brusquement.Je ne sais pas s’il a entendu mais il a gardé le silence, le regard perdu.Je m’étonnais que ce thé n’ait pas du tout refroidi alors que cela faisait déjà un certain temps que K nous l’avait servi".
Peu de choses en somme, une fois de plus, le minimum, un souffle , une respiration: juste un peu de la vie d'une femme étonnée de vivre
Un thé qui ne refroidit pa de Yoko Ogawa, (Thesaurus, Actes Sud, œuvres, p89 à p119) Titre original : Samenai Kôcha, traduit par Rose Marie Makino (Contribution au challenge de Choco sur le Japon si elle accepte aussi les nouvelles et pas seulement les romans!)