J'ai un peu triché pour ce top, il n'y a pas cinquante albums à l'intérieur mais cinquante marches d'un podium plutôt conséquent. Selon les hauteurs, les artistes peuvent être seuls ou à plusieurs, on distribue les médailles en fonction. Aussi, il nous arrivera de donner quelques mentions honorables sous forme de bons points. Et si un disque particulier vous intéresse et que vous ne le trouvez ni sur Spotify, ni sur Deezer, n'hésitez pas à nous contacter directement par mail. Bonne lecture !
50
Gnaw Their Tongues :
L’arrivée de la terne mort triomphanteÀ éloigner à tout prix de tous les enfants de passage,
L'arrivée de la terne mort triomphante est la dernière sortie de
Mories, un Hollandais hyper productif aux idées très noires. Entre noise industriel, ambient rituel, black metal et samples d'opéra, son projet
Gnaw Their Tongues est un sommet de musique violente et épique, et ce disque, aussi brouillon soit-il parfois, déploie des mouvement sonores à la puissance démesurée et au potentiel horrifique quasi infini. On ne peut pas dire grand chose d'autre qu' « impressionant ».
49
Wareika :
FormationKuniyuki Takahashi :
Walking In The Naked CityLe mariage machines – instruments réels n'a toujours rien d'évident en musique électronique. Quelques exceptions heureusement. Pour le collectif
Wareika, le tissage des instruments et de l'informatique se fait dans l'intime, leur tech-house reste tech-house, toujours ; elle se voit simplement ornée, zébrée en permanence de touchers humains qui donnent profondeur et raffinement à un squelette déjà irrésistible. Chez
Kuniyuki, la perspective est différente : il ne s'agit pas seulement de faire de la house et du jazz en même temps, il faut aussi les faire exister côte à côte, en tout cohérence, dans le même espace discographique. Comment ? Par la similarité des structures, également par l'inertie d'une ambiance – une même chaleur suave qui recouvre tout l'album.
48
Prince Rama Of Ayodhya :
Threshold Dances Difficile de choisir quel disque mettre en valeur, dans l'orgie de sorties psychédéliques qui a lieu depuis deux ans.
Treshold Dances n'est clairement pas le plus cité, mais il est à mon avis un de ceux qui s'en sortent le mieux sur la longueur. Déjà parce que
Prince Rama arrive à renouveler sa formule sur un peu plus de deux ou trois morceaux, ensuite parce que cette formule, précisément, a de la substance. On pourrait la résumer en disant que Prince Rama joue du
Magma post
Animal Collective. Toutes les caractéristiques primaires du zeuhl sont là, mais jouées avec la grammaire de production du néo-psychédélisme actuel. Du coup, on arrive à s'y retrouver et à être intéressés : ésotérique mais pas farfelu, Treshold Dances est un disque qui se tient vraiment bien. On pourra aussi écouter les sorties de
Sun Araw, bien qu'inégales, et bien sûr le
Dagger Paths de
Forest Swords, bien plus réputé mais aussi un peu plus fumeux dans son programme.
47
Guido :
Anidea Starkey :
Ear Drums And Black HolesAvec sa redoutable et étonnante durée de vie, la dubstep s'expose évidemment à toute une sorte d'embranchements plus ou moins dangereux. On a connu les croisements putassiers avec la fidget house, on est déjà en train de se battre avec les virages pop plus que douteux de
James Blake ou
Darkstar, mais pour ce qui concerne
Guido ou
Starkey, nous laissons faire avec un certain enthousiasme. Ces deux-là délaissent la noirceur du proto-dubstep anglais pour établir des connexions assez inédites avec les vibes d'outre-Atlantique. À grands renforts de synthés imposants, ils insufflent beaucoup de mélodie à leur dubstep, plus du crunk chez Starkey et du r'n'b chez Guido. Le résultat aurait pu sonner vulgaire, mais ces deux albums s'en sortent haut la main grâce à leur heureux perfectionnisme dans la production – surtout chez Starkey – et une vraie mélancolie en sous-sol – surtout chez Guido.
46
Bill Baird :
Silence! James Blackshaw :
All Is FallingMarc Ribot :
Silent MoviesTrois beaux disques méditatifs centrés sur une guitare. Chez
Bill Baird, passée une "Slow Implosion" inaugurale sous forme de drone, on construit des atmosphères paisibles de pop neurasthénique, comme si
Radiohead ou les
Beach Boys étaient passés sous l'œil du microscope, tellement ralentis et miniaturisés qu'ils en deviennent ambient. Chez
James Blackshaw, on utilise des accords folk pour faire du
Steve Reich. L'exercice est maîtrisé, délicat et prend vraiment son envol quand les structures des morceaux s'allongent – deux derniers mouvements de douze et huit minutes. Quant à
Marc Ribot, surtout connu pour ses guitares acérées chez
Tom Waits,
Bashung ou
John Zorn, on le retrouve ici dans un exercice de style étonnant, la musique de film, en solo acoustique. C'est très fin et très beau, précis et riche, et on reste un peu ébahi devant une telle polyvalence sachant qu'ici, rien ne transparaît du blues rêche qui a fait sa renommée.
45
The Dream :
Love King Responsable entre autres du "Umbrella" de
Rihanna, du "Single Ladies" de
Beyoncé ou du "Baby" de
Justin Bieber,
The Dream a curieusement du mal à se faire connaître par chez nous, et du mal à exister pleinement en solo – ses disques marchent, mais sans qu'un single puisse le faire entrer dans la légende. Ce qui est intéressant, c'est que le producteur ne fait d'albums-cocktails, pas de défilé de stars en featuring pour services rendus.
Love King est au contraire un objet extrêmement cohérent et concis, linéaire même, qui creuse au plus profond une certaine idée du r'n'b cool et romantique (il ne travaille pas avec
Usher pour rien). La voix de
Terius Youngdell Nash est en fait assez neutre, elle est propre et permet par son effacement à mettre en valeur un excellent travail sur les instrus. Pas de clinquant, ça bouffe pas à tous les râteliers, tout sonne juste et c'est un petit miracle dans la culture groove actuelle. On notera aussi, dans un autre genre, l'agréable surprise que nous a réservé le deuxième album de
Kid Cudi. Très pop, forcément, avec un retour sur soi assez touchant et quelques morceaux assez incroyables – "Marijuana" et "Mojo So Dope" en particulier.
44
Jason Moran :
Ten Pas besoin d'être un spécialiste pour se dire que
Jason Moran est un grand pianiste : ça saute aux oreilles comme une bête enragée. Il n'est pas un faiseur, pas un simple artisan, il invente, il galope dans tous les sens, s'acoquine avec tout ce qui passe à portée de touches. Un vrai moderne du jazz en somme, éclairé, brillant, un peu visionnaire. Pourtant
Ten n'est pas une fuite en avant, c'est à l'inverse un disque presque classique, trio piano – basse – batterie qui ne s'aventure jamais trop loin de ses terres. On pourra lui reprocher d'ailleurs cette position intermédiaire, cette liberté prise qu'à moitié, ce regard juste un peu coquin sur ses aînés ; n'empêche que c'est formellement sublime, moins poussif et redondant que le dernier
Brad Mehldau (qui décidément vieillit bien mal) et moins gamin et inégal que le dernier
Bad Plus (qui contient néanmoins quelques morceaux inoubliables).
43
Julian Lynch :
MareKemialliset Ystävät :
UllakkopaloThe Alps :
Le VoyageAvec son psychédélisme tranquille et son ambition de petit fonctionnaire du lo-fi,
Julian Lynch est un personnage forcément déceptif. C'est l'intérêt : c'est ce qui fait la beauté distante de
Mare et de sa suite d'esquisses apaisées, où pendant 37 minutes on se balade sans haut-le-cœur et sans risque de mal du pays.
Ullakkopalo de
Kemialliset Ystävät en est l'antithèse : disque très dense, très parasité, il s'apprivoise sur la durée et ça vaut le coup d'insister, car l'effet psychotrope est saisissant. Avec
The Alps, on a encore une troisième perspective différente. Psychédélisme ou pas, la musique des San-Franciscains est hyper-construite – morceaux planifiés, charpentes à nues, beaucoup de références faites au
Pink Floyd monumental du milieu des années 70. Le résultat sonne très écrit, fruit d'un travail obsessionnel, et c'est un plaisir de voir des agencements aussi hallucinés résulter de constructions mentales aussi préméditées.
42
Daughters :
DaughtersShining :
BlackjazzC'est peut-être un blasphème que de mettre ces deux disques sur une même marche ; musicalement ils ne partagent rien du tout, mais allons-y, nous pouvons dire qu'ils se rejoignent au moins sur leur ultra-violence.
Daughters, groupe hardcore habitué aux éjaculations précoces, commence à savoir tenir la distance. Après un premier album de onze minutes, un deuxième de vingt-trois, leur troisième et sans doute dernier atteint presque la barre des trente ! Les morceaux s'étirent, les rythmes se ralentissent, la décharge brutale devient plus vicieuse, plus insidieuse. C'est chaotique, noise, avec cette voix en surplomb qui scande et qui rappelle de la plus évidente des manières que le hardcore, c'est surtout un dérivé du punk. Rien à voir donc avec la radicalité de
Shining, qui met ensemble l'extrémisme du free-jazz et celui du trash-indus. Les norvégiens sont hyper techniques et cérébraux, des sortes de
Meshuggah en plus démonstratifs et plus progressifs. Il faut absolument écouter leur relecture assez étourdissante du "21st Century Schizoid Man" de
King Crimson.
41
Mike Patton :
Mondo Cane C'est un exercice de style, pas de doute là-dessus, mais
Mike Patton a-t-il seulement un jour fait autre chose que des exercices de style ? Celui-là est en tout cas magnifique. En reprenant des standards de variété italienne des années 50-60, il redonne vie à tout une culture oubliée ou simplement inconnue. Accompagné de ses musiciens habituels plus un orchestre symphonique bien imposant, Patton offre un disque très lyrique et premier degré, burlesque mais pas comique, ambiance chanson d'amour au balcon et western spaghetti. Bien plus qu'un disque clin d'œil.
40
Peter Van Hoesen :
Entropic CityRobert Hood :
Omega Marcel Dettmann :
DettmannBelle année pour la techno, la plus belle depuis belles lurettes. Ça se traduit pas plusieurs disques inattaquables, dont ces trois-là, tous empreints de froideur mécanique et d'austérité industrielle. Pour le commun des mortels, dur dur d'arriver au bout de ces trois galettes tant elles sont sérieuses et fières, pas dragueuses une seconde. Néanmoins, chez
Peter Van Hoesen on peut se laisser respirer avec quelques tempos plus mesurés et quelques reverbs dub adoucissantes. Avec
Dettmann, on pourra être plus sensible à la variété des ambiances, discrète mais bien réelle. Par contre,
Robert Hood, c'est de la techno sans concession, rachitique et tendue comme un arc. Faites votre choix ou collez-vous aux trois, mais sachez que la techno se mérite et qu'elle n'est belle que lorsque elle est aussi intègre et imperméable.
39
Freeway & Jake One :
The Stimulus Package Étonnant comme le hip-hop a toujours fonctionné sur des confrontations binaires : il y a eu West Coast vs East Coast, maintenant c'est new school vs old school et mainstream vs underground. Ce qui m'a plu dans
The Stimulus Package est que justement il ne se retrouve dans aucune de ces dualités, il est un peu à chaque fois dans l'entre-deux. Pas de choix à faire entre boom bap et rythmes dirty south, entre samples jazzy bien urbains et synthés G-Funk, entre envie de charts et liberté de mouvement,
Freeway et
Jake One livrent un disque bâtard mais évident, qui fonctionne tout simplement parce que le flow est bon, les instrus réussies et qu'il s'en dégage une ambiance très prenante. Pas plus compliqué que ça. Petite mention aussi pour les
Roots qui, sans génie mais avec beaucoup de savoir-faire, ont pondu un album soulful extrêmement agréable. Big up pour
Curren$y également.
38
MGMT :
Congratulations Dans mon flop 20, je faisais remarquer que pas mal d'albums plébiscités me sortaient par les trous de nez (expression vintage). Ça marche aussi dans l'autre sens.
MGMT, par exemple, s'est fait descendre un peu partout, à part aux Inrocks, et j'avoue ne pas trop comprendre ce jugement sans appel. Comment peut-on détester
Congratulations ?
Oracular Spectacular ok, c'était un disque boursouflé et affreux, dont les quelques éclairs de lucidité ont tourné partout en boucle jusqu'à l'indigestion. Mais Congratulations ? Il est si inoffensif, si tempéré et humble. De groupe avant-gardiste en pleine fausse-route, MGMT est devenu un groupe d'artisans, de faiseurs qui appliquent sans prétention les méthodes mises au point par les
Flaming Lips. Cela ne va pas plus loin. Et dans ce carcan bien établi, Congratulations s'en sort diablement bien. Très enjoué, gentiment déglingué et hyper sincère, Congratulations est limité mais réussi. L'essayiste Pierre Bayard vient d'ailleurs de sortir «
Et si les œuvres changeaient d'auteur ? » ; en procédant ainsi et en attribuant Congratulations à un jeune groupe inconnu, n'aurions-nous pas nous aussi quelques surprises – un regard bien différent et plus indulgent ?37
Motion Sickness of Time Travel :
Seeping Through The Veil of Unconscious2010 aura été marqué par le vrai retour de la K7 audio. On le disait depuis plusieurs années, dans quelques médias hypeux qui ne vivent que par l'excitation du temps cyclique, mais cette fois le renouveau est bien réel, bien réel parce qu'il est associé à un contenu. On a ainsi vu affleuré pas mal de nouveaux labels psychés et expérimentaux ne dévoiler leur catalogue que sur K7 – faire de l'analogique jusqu'en bout de chaîne. C'est le cas par exemple de
Hooker Vision au sein duquel nous avons découvert
Rachel Evans, une jeune femme qui produit du kraut électronique extrêmement accessible, extrêmement réussi dans un trip new-age bien poussé. La rencontre de
Tangerine Dream avec une douceur très féminine, on ne pouvait de toute façon qu'aimer.
36
Scuba :
TriangulationMount Kimbie :
Crooks & Lovers Depuis 2009,
Scuba a vraiment vu son
Hotflush Recordings exploser et évidemment,
Joy Orbison et
Mount Kimbie n'y sont pas pour rien. Mais cette dernière génération donne une image un peu faussée de Scuba, de son travail de producteur comme de patron de label. Parce qu'Hotflush et Scuba, ce ne sont pas au départ des grands aventuriers, des amoureux de l'electronica ou de la pop.
Triangulation l'atteste très bien, cet album-là est l'essai dubstep le plus enivrant de l'année, une longue dérive atmosphérique entre dubstep d'école et deep house où tout est très en place, un brin rigide un poil allemand. C'est vrai que ça dénote par rapport au
Crooks & Lovers de Mount Kimbie, lui aussi réussi mais dans une perspective de chaleur métissée bien dissemblable. Par moment génial, Crooks & Lovers n'est pas plus haut dans notre classement parce qu'il semble prématuré, un peu vite composé et du coup mal dégrossi. Classicisme et modernité, donc, tiraillés au sein du même label.
35
Mar De Grises :
Streams InwardsLe doom est le seul sous-genre du metal à se confronter vraiment à la lenteur. Pas une raison pour autant de verser dans l'extrémisme et l'inaccessible.
Mar De Grises est en cela un groupe étonnant : doom jusqu'au bout des ongles, un peu death aussi, ils ont tout de même réussi avec
Steams Inwards à sortir un classique évident pour tout amateur de musique sombre et / ou violente, sans vulgariser outre mesure leurs préceptes de base. Une idéale porte d'entrée au genre pour le néophyte, donc, et un plaisir facile et évident pour le spécialise. Pour aller plus loin, on peut aussi écouter
The Shadow Over Atlantis des
Wounded Kings, plus heavy et psychédélique,
Au Ellai de
Ea, belle pièce de funeral doom ou encore
Eve de
Ufomammut dans un registre plus stoner.
34
Christopher Rau :
Asper Clouds Dans mon flop 20, j'avais souligné à quel point je m'étais éloigné de certains artistes deep house comme
Pantha du Prince ou
John Roberts, qui à force de maniérisme avait à mes oreilles perdu toute vibration soulful. L'amour que je porte à
Asper Clouds de
Christopher Rau participe du même mouvement mais inversé. C'est d'un repli communautaire qu'il s'agit. Christopher Rau est un excellent producteur sans autre ambition qu'honorer les siens, ses pères fondateurs et ses pairs. Un disque de niche, fatalement, qui cite beaucoup, innove assez peu, et pourtant fonctionne de bout en bout. Tour à tour mélancolique et funky, Asper Clouds est un parfait disque de genre qui supporte aussi bien les ambiances de début de soirées que les dérives solitaires, urbaines, casque vissé sur les oreilles. Pour quelque chose d'un poil plus ambitieux, vous pouvez aussi vous tourner vers le
Chicago d'
Efdemin. Ou alors, pour retrouver les atmosphère moites des nuits new-yorkaises, les longs-formats de
Wolf + Lamb ou
Makam produiront un effet saisissant – déhanchement et mouvement de tête.
33
Local Natives :
Gorilla ManorBroken Bells :
Broken Bells Beach House :
Teen DreamCes trois disques ont en commun d'être des vrais disques pop, au sens noble, trois propositions musicales absolument centrées sur la fluidité et des mélodies et des arrangements. Ce qui frappe ainsi, c'est qu'avec des univers pourtant assez simples et prévisibles – on déplie plus qu'on ne construit –, le plaisir de la répétition est là : on ne gagne rien à réécouter ces trois albums, mais on le fait malgré tout parce qu'il y a une satisfaction pleine et stable qui se réactualise à chaque fois. J'aurai cela étant tendance à placer
Gorilla Manor des
Local Natives un poil au-dessus des deux autres, par effet de nouveauté, car si Local Natives est effectivement un groupe de jeune nerds bien dans leur époque, ils arrivent aussi à promouvoir une qualité sonore, une clarté de production et une complexité instrumentale bien rares chez leurs homologues. Et je poserai un bémol sur les
Beach House qui, à trop chercher cette fluidité pure, encourent toujours le risque de ne faire que de la dream pop kilométrique – attention, chaussée glissante.
32
DeepChord presents Echospace :
LiuminOn pourra toujours pinailler et dire que le dub-techno tourne en rond, que son avenir est morose ; que
Liumin est moins bon que le mirifique
The Coldest Season ou que le projet de field recordings dans Tokyo est réchauffé cent fois. Ça se discute, et quand bien même tout cela serait vrai, Liumin n'en demeurerait pas moins un des disques les plus enveloppants sorti depuis des lustres. En presque trois heures et deux parties, l'une rythmique l'autre non,
Rod Modell et
Steven Hitchell nous plongent en plein dans leur féérie urbaine à coups de mélodies subliminales, des basses obsédantes et de tissu sonore tokyoïte. Le coup de cœur ne peut pas être immédiat : Liumin est un disque à faire infuser, lentement, on s'en laisse pénétrer petit à petit pour à la fin ne plus vouloir en sortir. Mais si à la déambulation nocturne vous préférez l'enfermement claustrophobique, je vous renvoie au
Music For Real Airports des
Black Dogs, relecture moderne et angoissée du chef d'oeuvre de
Brian Eno. Une mention également pour
It All Falls Apart de
The Sight Below, album d'ambient-techno un peu tendre mais plein de promesses, avec la participation à noter de
Simon Scott, ex-batteur de
Slowdive.
31
Current 93 :
Baalstorm, Sing OmegaBrendan Perry :
ArkDeath in June :
Peaceful Snow / Lounge CorpsToujours en forme, ces vieux darkos !
David Tibet enchaîne depuis quelques années des disques parmi ses plus importants ; cela continue,
Baalstorm, Sing Omega est un précis de dark-folk à l'univers terrassant, incantatoire, chamanique, en plus de ça génialement écrit et d'une richesse inouïe.
Brendan Perry ne fait pas non plus pâle figure. Pour son premier album depuis douze ans, le fondateur de
Dead Can Dance n'a rien perdu de sa superbe. Mystérieux et majestueux,
Ark est un disque étrange, envoutant et un peu impénétrable, que l'on contemple comme un château lointain auquel plus aucune route ne mènerait. Et
Death in June, enfin, continue son cycle ascétique. Après le folk en trois bouts de ficelles de
The Rule Of Thirds,
Douglas Pearce s'attaque avec
Peaceful Snow au piano-voix. Voix monocorde, piano galopant, quelques samples inquiétants, il ne faut rien de plus pour se plomber une soirée.
30
Keith Fullerton Whitman :
Disingenuity b/w DisingenuousnessThomas Ankersmit :
Live in Utrecht Pas d'uniformité dans les musiques abruptes, on ne peut pas tout mettre dans le même sac au prétexte que les écoutes sont difficiles. Rien à voir en effet entre disques théoriques, placages sonores d'hypothèses intellectuelles et les expériences plus immédiates et intuitives. Pour
Keith Fullerton Whitman ou
Thomas Ankersmit, la musique se joue surtout désarmée, c'est à dire sans écriture.
Disingenuity b/w Disingenuousness est un disque en partie improvisé, qui en tout cas respire plus l'association libre que l'édifice mental structuré.
Live in Utrecht est comme son nom l'indique un enregistrement en prise unique, premier objet officiel pour un activiste de longue date qui n'avait jamais rien fixé de son œuvre. Ces deux courts albums de quarante minutes chacun ont ce trait commun d'être en constante palpitation, dans une incertitude et une charge de l'instant qui les rendent passionnants, passionnants pour la beauté de leur son, bien sûr, mais aussi par le suspense narratif qu'ils possèdent – on ne sait pas où ça va et ça nous tient en haleine comme rarement musique expérimentale a pu le faire.
29
Sun Kil Moon :
Admiral Fell Promises Joanna Newsom :
Have One On MeMidlake :
The Courage of OthersÊtre empreint d'un certain classicisme, ce n'est jamais en soi un défaut (on est pas mal conservateurs par ici). C'est encore moins le cas quand on parle de folk. Le folk, il ne faut pas le perdre de vue, est avant tout une grande tradition de musique anglo-saxonne. Et la tradition, ça s'honore ! Que l'on parle de
Sun Kil Moon,
Joanna Newsom ou des
Midlake, tous ont en commun d'avoir sorti des disques assez uniformes et assez austères – affreusement long pour
Have One On Me, affreusement ternes pour les autres. Mais cette forme de dépouillement va de pair avec une quête plus mystique : chercher l'essence du folk, aboutir au son le plus pur et aux chansons les plus atemporelles. Pas de regard braqué sur une abscisse du temps tournée vers l'avenir, leur folk à eux se creuse, se désosse sur place, prend le risque de radoter pour mieux dévoiler ses entrailles. Certains trouveront ça ennuyeux, qu'importe, les forces introspectives continueront leur travail.
28
Chicago Underground Duo :
Boca NegraQue l'étiquette free-jazz ne vous effraie pas trop. Le
Chicago Underground Duo, composé de
Rob Mazurek et
Chad Taylor, ne fait dans l'insondable délire à deux. En plus de leurs instruments premiers – batterie et cornet à vent –, les deux chicagoans trouvent dans leurs improvisations temps et espace pour y adjoindre vibraphone et nombreuses textures électroniques. Leur free-jazz, c'est appréciable, prend aussi la liberté de se faire parfois doux et simple, ludique et enfantin. On respire beaucoup dans
Boca Negra, on prend le temps d'apprécier ces prises de sons phénoménales, cette désorientation des sens terriblement poétique. Un des disques de 2010 qui me rend le plus admiratif ; quelle étrange beauté.
27
Applescal :
A Mishmash Of Changing MoodsLuke Abbott :
Holkham Drones J'avais je le reconnais un peu vite zappé la parenthèse
Border Community de 2004 – 2005 – 2006, vous savez, la grande époque de
James Holden et
Nathan Fake avec leur tech-house psychélédique, kraut et progressive. J'avais enterré cette mouvance parce que pendant plusieurs années, par la suite, ça n'avait donné que des choses très vilaines ou très insignifiantes. Et là, je ne sais pas d'où s'est sorti, Border Community et les plus éclectiques
Traum Schallplatten se sont remis à tirer le maximum de ce filon psyché avec deux excellents LP,
Holkham Drones de
Luke Abbott et
A Mishmash Of Changing Moods d'
Applescal. Les deux creusent le même sillon, une IDM technoïde complètement bloquée sur l'Allemagne électronique des 80's et qui frôle la perfection avec sa minutie et sa fièvre romantique à peine voilée. Ces disques sont voisins, faux-jumeaux, et on se réjouit qu'il y en ait deux plutôt qu'un, vu leur qualité et le charme gentiment désuet dont ils témoignent.
26
Motorpsycho :
Heavy Metal FruitQui l'aurait cru au départ, que le meilleur disque progressif de l'année aurait été présenté par un groupe de heavy rock ? Les
Motorpsycho sont avant tout un groupe pour barbus, pour fans de
Black Sabbath et autres amateurs éclairés de sueur dégoulinante et de voix aiguës. Motorpsycho a certes toujours été un peu plus que ça, mais enfin, rien ne les prédestinait à ce
Heavy Metal Fruit, en collaboration avec plusieurs
Jaga Jazzist, quatorzième album au caractère progressif plus que prononcé. Les riffs et refrains de hardos sont ainsi cette fois encerclés de longues jam sessions hallucinées, de trips jazzy ou space rock étonnants et savamment exécutés. Paroxysme de la chose, le dernier morceau, "Gullible's Travails", long de 20 minutes et bluffant par sa cohérence et son final épique et définitif. Si vous cherchez quelque chose de plus direct pour accompagner vos sorties en pantalon cuir, vous pouvez aussi vous intéresser à
Warp Riders de
The Sword. Concept album improbable – l'histoire d'un archer sur la planète Acheron qui se fait bannir par sa communauté (?) –, Warp Riders est surtout un disque heavy metal surburné et bien rigolo dans son genre.
À très bientôt pour la seconde partie de ce top !