L’affaire Wikileaks est bien entendu l’événement majeur qui aura marqué l’année 2010. Des milliers de câbles diplomatiques divulgués au regard du public médusé, des autorités qui cèdent à la panique comme ces appels aux Etats-Unis à poursuivre Julian Assange pour espionnage. Des entreprises qui cèdent à la pression politique : Visa, Yahoo. Des politiques comme Barack Obama et Hilary Clinton qui renient leurs engagements sur la liberté du net. Des autorités et des entreprises qui affichent clairement leurs limites à comprendre et accompagner ce décentrement du monde.
Car l’affaire Wikileaks est certainement un tournant beaucoup plus significatif que ne le furent les crises financières passées ou encore celles annoncées. Elle nous donne la mesure de ce que sera vraiment la révolution Internet, cette nouvelle réalité du monde qui sera demain la nôtre, et qui nous pose des questions extrêmement douloureuses, comme la transparence, la confiance, la répartition des pouvoirs…
Internet, une nouvelle pratique sociale
Internet est désormais ancré dans notre vie quotidienne. Univers sans frontières, source de connaissance indispensable, lieu de partage et d'échange, que ce soit à la maison, au travail, c’est une pratique sociale commune à tous et qui crée de nouvelles interactions sociales, qui redéfinit le sens de la communauté dans ce monde fragmenté et qui semble abandonné par le politique.
Et certainement que la « virtualité » d’Internet est plus réelle - socialement du moins - que cette « réalité » de tous les jours qui nous apparaît si virtuelle. Nous ne parlons plus de « fossé numérique » mais de « fossé social ». Nous ne parlons plus de « l’internaute », comme d’un être numérique, mais de « l’individu » communiquant au sein d’un groupe social.
Et si les fondamentaux humains restent bien évidemment inchangés, liberté, conscience, raison d’être… cette nouvelle pratique sociale bouleverse profondément nos habitudes, nos intérêts, nos manières de vivre et de penser, la relation entre les individus, notre rapport au monde en général. Passer du « ou/ou au et/et », ne pas se perdre dans cette nouvelle complexité, accepter les défis qui nous sont lancés n’est pas une tâche aisée.
Internet, un pouvoir incontournable
Mais le principal challenge auquel nous sommes confrontés n’est-il pas cette révolution que nous laisse entrevoir l’affaire Wikileaks. Une révolution des rapports entre les pouvoirs et les individus. C’est un champ de bataille décisif qui s’annonce entre des citoyens qui souhaitent une extension horizontale des libertés, et des pouvoirs (politiques et entreprises) qui tentent d’imposer un contrôle vertical. Une révolution dont nous ne pourrons faire l’économie car par nature le net est libre et incontrôlable.
« Chacun espère en un hypothétique miracle ; chacun attend on ne sait quel sauveur. Il viendra peut- être. Sous la forme d’une mutation technologique ou d’une guerre ou les deux » nous dit Jacques Attali. Et si l’affaire Wikileaks était cette mutation technologique, les prémisses de cette bataille qui s’engage entre les pouvoirs et les citoyens, cette mutation des pratiques et cette révolution des repères ?
Internet, un champ de bataille
Cible : www.visa.com : feu, feu, ordonnait opération Pay Back sur Twitter le 8 décembre. La cyberguerre a commencé titrait Courrier International. La guerre informatique a réellement commencé et rien ne pourra l’arrêter, sinon fermer le réseau comme le font les autorités chinoises. Impensable dans nos démocraties. Quoi faire sinon accepter cette nouvelle réalité du monde, accepter cette nouvelle transparence qui s’impose, redéfinir la relation entre les individus, entre pouvoirs et individus, dans les relations diplomatiques.
Un chantier gigantesque. Mais avons-nous d’autre choix que celui de l’affronter ? Redéfinir nos identités et de nouvelles hiérarchies, repenser les notions de lien, de concertation, s’interroger sur la question des nouvelles valeurs universelles. Anticiper le monde de demain plutôt que de le subir.
De nouveaux défis pour les entreprises
Bien sûr les entreprises sont directement impliquées dans cette bataille qui s’engage. Car c’est aussi un nouveau modèle économique qui est en train de naître. Un nouveau modèle qui valorise des mises en relation basées sur la confiance et l’humain et qui demande une participation active de l’individu. Un bouleversement des lois de l’offre et de la demande avec des coûts de transaction très bas. Recueillir cette confiance nécessite pour les entreprises de repenser tout autant leurs propositions de valeur que leurs relations, leurs modes d’échanges, avec leurs clients, le public, les citoyens qui ont désormais la parole et les moyens de s’informer, de comprendre. Un client qui se trouvera au centre d’un ensemble d’objets communicants et dans un univers individuel (sites, blogs, forums, espaces virtuels…), et dans lequel l’entreprise devra s’insérer sans intrusion et en toute transparence. Un client qui recherchera des prestataires capables de créer pour lui de la valeur en simplifiant sa vie quotidienne, en apportant des services coordonnés renforçant le plaisir, le rêve, les moments gratifiants de la vie… Un client avec lequel il faudra désormais collaborer en toute transparence !
Bref… Cette affaire Wikileaks nous fait directement entrer dans une autre ère de développement des usages et des enjeux d’Internet. Dans une autre ère tout court. De nouveaux challenges, de nouveaux enjeux qui s’annoncent passionnants si nous savons, à l’image des pratiquants d’arts martiaux, utiliser ce potentiel, canaliser ces nouvelles forces et non pas tenter (vainement) de les dominer et de les contraindre comme le font aujourd’hui les autorités politiques et économiques.
Bienvenue dans la modernité et bonne année 2011 à tous !