Ecrire cette biographie était une suite logique par rapport à mes ouvrages précédents [des biographies de Johnny et Yannick Noah notamment]. C’est un des rares artistes emblématiques de la chanson française. Malgré un retrait médiatique, Jean-Jacques Goldman suscite toujours un engouement peu banal. Puis il a un caractère assez secret, ce qui est toujours attirant pour un biographe. Qu’avez-vous découvert d’inattendu ?
En faisant mes recherches, je me suis rendu compte qu’il avait accordé au fil de sa carrière plus de mille interviews dans lesquelles il se livrait largement sur son travail, mais aussi sa vie privée. Après la limite de mon travail a été que ses collaborateurs proches n’ont pas eu une grande indépendance d’esprit. Goldman n’ayant pas donné son feu vert, peu ont accepté de se confier à moi. Je l’ai contacté lui-même, mais il m’a répondu qu’il trouvait ridicule de consacrer une biographie à un chanteur. Lui qui s’est pourtant largement servi du travail de mes confrères pour composer des chansons pour d’autres comme Johnny. Comment expliquez-vous son semi-retrait médiatique depuis 2001 ?
Il a fait le choix de privilégier sa famille. Goldman a refait sa vie avec une nouvelle femme, a eu trois autres enfants. Puis sans doute qu’après vingt-cinq ans de carrière, la question de l’inspiration se pose. Il y a le risque de se répéter. Mais Goldman ne s’est jamais vraiment arrêté car c’est un véritable artiste. Il organise toujours le spectacle des Enfoirés, écrit des textes pour Patrick Fiori, Grégoire. Je prédis un nouveau disque pour la fin de l’année ou au début 2012 et une tournée dans la foulée. Outre que ses proches me l’ont soufflé, ça me paraît logique. Ses enfants ont grandi, nul doute qu’il aura envie de leur laisser des chansons en héritage. Pendant ces dix années, il a vécu et a peut-être de nouvelles choses à raconter. Et à l’approche d’une présidentielle, peut-être aussi des choses à dire. Il ne faut pas non plus oublier que Goldman aura 60 ans cette année. Le temps passe vite pour lui. Il sait qu’il ne lui reste plus beaucoup de disques devant lui. Et son public fidèle, attend. La carrière de Jean-Jacques Goldman peut se découper en deux grandes phases…
Dans les années 1970, son groupe, Taï Phong, chantait en anglais pour viser un public international. Il pratiquait un rock progressif qui a ensuite vite tourné un peu en rond. Puis Jean-Jacques Goldman a eu deux chocs musicaux qui l’ont poussé peu à peu à se lancer en solo et en français : sa découverte de Léo Ferré quand il était étudiant puis sa rencontre avec Michel Berger. Ces débuts chez Taï Phong n’ont pas été inutiles. Il y a appris la rigueur, le perfectionnisme, à travailler sa technique. Il s’est ensuite lancé en solo, non sans quelques difficultés au démarrage. Puis il a trouvé son propre style. Si Jean-Jacques Goldman n’est pas un grand innovateur, il a été un des premiers à introduire les sonorités anglaises de la new wave dans la chanson française. Il avait le goût des airs entraînants. Beaucoup n’ont pas pris une ride aujourd’hui. Il a su aussi avec ses chansons offrir des miroirs dans lesquels les gens pouvaient se retrouver…
Il aimait aborder des sujets de société dans ses textes, avec un sens aigu du monde dans lequel il vit. Un de ses premiers titres en solo était ainsi l’histoire d’un père chômeur. Jean-Jacques Goldman est un excellent observateur. Il sent les gens, les choses. La vie par procuration, c’est d’une justesse profonde. Ce n’est pas un grand intellectuel. Il préfère être dans le concret. C’est la même chose pour les actions caritatives. Il est très engagé dans les Restos du cœur et aide de nombreuses autres associations avec beaucoup de discrétions. Yannick Noah m’avait confié : « Si tu savais quel soutien financier il apporte à mon association Les enfants de la terre. » Il s’empare aussi de cas individuels qui lui sont rapportés par des amis ou par courrier. Et avant de s’engager, il vérifie toujours que l’aide va vraiment sur le terrain.
Tous sont des gens pour lesquels il s’est pris d’affection et pour lesquels il compose du sur mesure. Ca lui permet d’ouvrir son inspiration, en étant moins exposé. D’où l’usage récurrent de pseudonyme. Sa musique est alors jugée pour elle-même, pas pour son nom. C’est là qu’on voit aussi l’expression de son talent. Vous expliquez aussi qu’à ses débuts, il s’est beaucoup appuyé sur la presse jeunesse…
Alors que la presse dite sérieuse le méprisait un peu, la presse adolescente, elle, s’est enthousiasmée dès les premières chansons. Jean-Jacques Goldman avait une belle gueule et une envergure générationnelle. Je le voyais dans ma famille avec mes petits neveux qui connaissaient par cœur ces chansons quand moi j’avais plutôt en référence Brel et Brassens. Pour l’essentiel, ce public lui est ensuite resté fidèle. La relation entre Goldman et ces jeunes était intense. Avec des fans amoureuses qui faisaient parfois le pied de grue en bas de chez lui. Un peu surpris par cet enthousiasme, Goldman a donc très vite privilégié la presse jeunesse. Puis ça allait bien avec sa musique, entraînante et qui passait des messages d’amitié et de fidélité, à la fois idéaliste et lucide. Ses valeurs venaient de sa jeunesse. C’était celle de ses parents et des scouts qu’il a fréquenté. D’ailleurs, pour la presse sérieuse, il était un peu trop boy scout. Goldman représente aussi des valeurs… Jean-Jacques Goldman, c’est la France bien. Il a défendu l’honnêteté, le travail. J’ai été en contact avec de nombreuses personnes qui lui consacrent des sites Internet. Ils récusent le terme de « fans », se posant en simples admirateurs. Ils sont bien intégrés dans la société, souvent impliqués dans la vie associative. Ce sont des gens qui ont les pieds sur terre et qui ont appris à maîtriser le système en défendant des valeurs. Le surtitre du livre n’est pour moi pas ironique. Il m’a été inspiré par une phrase du magistrat Philippe Bilger sur son blog : « Johnny, c’est la France telle qu’elle est, et Goldman, le citoyen tel qu’il devrait être. » Goldman est marqué à gauche, mais avec une méfiance des partis politiques et de leur langage. C’est aussi une personnalité avec ses paradoxes. Très indépendant d’esprit, il peut avoir des jugements implacables comme sur la presse ou François Mitterrand. Il est humble et tolérant mais aussi par moment individualiste et moraliste. Recuelli par KidB