si loin et si proche

Publié le 17 janvier 2008 par Didier T.
Nathalie. C'était mon premier jour de CP. On nous avait donné (ou peut-être ma mère me l'avait confiée), une ardoise. Pas de ces ardoises magiques qu'on efface en faisant glisser une barre de plastique derrière une couche de calque transparent posé sur un carbone. Non, l'ardoise de septembre 1973, celle avec une craie blanche pour écrire dessus. Premier jour de classe. Une maîtresse (je voudrais me souvenir d'elle mais je n'y arrive pas), cherche à nous évaluer. Moi, je sortais de mon carcan cloaque cocon familial, je me jetais dans le grand bain de l'individu mesuré, compté, vérifié en tant que tel, sans garde, sans sauvegarde, sans personne pour le protéger. De ces moments d'enfant seul qui doit prouver au monde qui il est, comment il existe et pourquoi. Dure tâche à 6 ans, non ?
Voilà que la maîtresse, non décidemment, je ne me rappelle pas d'elle, nous demande d'écrire le mot bébé sur cette ardoise.
Moi, naïf, irréfléchi comme toujours, n'ayant pas compris que la langue et l'écriture sont une culture, un apprentissage, une chose non pas innée mais à acquérir, je me précipite, je prends ma craie blanche et j'inscris : B B. Comme je l'entendais, comme j'avais décidé de le montrer, persuadé que j'étais d'avoir raison.
Et puis, les autres, ceux que je ne connaissais pas encore, on levé leur ardoise. Beaucoup étaient vierges, ou contenaient les deux mêmes lettre que je croyais être le seul à avoir été capable d'écrire...
Et puis... Nathalie a levé son ardoise à son tour. Il y avait inscrit : bébé. Je n'ai pas compris. Ou plutôt, j'ai compris que c'est elle qui avait raison, que c'est elle qui avait trouvé ou qui connaissait déjà la solution. Et là, j'ai appris ce qu'était la jalousie de l'échec. J'ai regardé ses mains, elle étaient frippées comme quand on sort d'un bain trop chaud et trop long. Mais ces mains-là m'avaient volé la première place, celle que j'ai toujours chérie.
Nathalie.
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