Qu’est-ce qu’on leur souhaite ?

Grande nouvelle, la blogosphère en frémit, elles ne sont pas mortes  !
Vendredi 31, au dernier marché de 2010, j’empochais la monnaie de ma langouste australienne et de mes Saint-Vast n°2, quand je les entends soudain jaser au bout de la file. Oui, elles ! Daube  et Michu, les deux commères auxquelles je ne croyais plus : là, devant l’étal du Requin bleu. Elles devisaient à l’ancienne, c’est-à-dire persiflaient sans hargne ni ordure, comme d’ordinaire en France avant Porte et Guillon. N’écoutant que mon devoir d’enquêteur pour La Grille du coq , je me suis posté incognito tout près, au stand « Dégustation du Sud-Ouest », pour les écouter à mon aise en tâtant du Cahors.

-Qu’est-ce que je vous souhaite pour 2011, M’ame Daube ? Une troisième petite nièce, un loto millionnaire ou la fin de votre sciatique ?
-Pourquoi pas les trois , dans l’ordre inverse ? Je vous reconnais là, M’ame Michu : bonne fille mais chiche. Moi, tenez, je vous souhaite tout le bonheur du monde, c’est complet et ça ne mange pas de pain.
-Et à nos zèbres, m’ame Daube, qu’est-ce qu’on leur souhaite ? Allez, jouons-y, ça nous fera patienter dans ce froid. Au pauvre Président si malmené, je souhaite…je souhaite…voyons large : une heureuse surprise. Trois fois rien, une courbe qui se redresse, un indice qui gonfle.
-

A propos, m’ame Michu, j’ai trouvé Bruni toute pâlotte chez les Indiens. Le bruit trottine qu’il y aurait du bébé sous cape.
-Tant mieux pour eux si ça leur chante, m’ame Daube, à la santé de Paris-Match et à la gloire de la famille recomposée… Dites voir, et à notre Ségolène, qu’est-ce qu’on lui souhaite ?
-Une bonne adresse de portes blindées. Troisième effraction ! Vouloir remettre en France de l’ordre juste et trouver chaque fois son appartement sens dessus dessous ! Qui a fait le coup, m’ame Daube ? Qui peut bien rêver de nous couler nerveusement la Royal ?
-L’affaire est grave. Parlons bas. Anne Sinclair ? Martine Aubry ? Les deux ? Motus. J’ai promis à mon neveu de ne plus vacharder s’il arrêtait la cigarette. Ça sera dur.
-Qu’est-ce qu’on lui souhaite à la Sinclair ?
-D’aller maigrir en Grèce, à la diète FMI, jusqu’à devenir la moitié de son Strauss. Ça non plus ce sera pas facile.
-Et à Martine ?
-Que son papa Delors la raisonne. Il lui dirait comme ça : « D’accord, ma chérie, fais mousser les primaires, ça meuble, mais à la fin, tout bien compté, tu dis que tu n’y vas pas. Retraite, déficit, banlieues, que des sales coups à prendre, ma Titine. T’es pas bien à Lille, dans l’opposition ? »
-Je vous trouve en verve, M’ame Michu. C’est la vue des tourteaux qui vous donne des ailes ?

La file s’éternisait. Comme toujours en temps de crise, chacun semblait d’âpreté vouloir vider pour soi tout l’étalage. On n’a jamais tant gobé l’huître que depuis l’annonce de son extinction, au demeurant ruse triennale pour faire grimper les prix. Bref, ça n’avançait pas. J’avais déjà comparé les mérites de deux Cahors et de trois Madirans, sous l’œil allumé du vendeur : elles piétinaient toujours, mes deux mémères moins friandes de gâteaux que de potins politiques. Après le jeu des vœux, celui des ressemblances.

-DSK, langoustine ? Bizarre, m’ame Daube . Pourquoi donc ?
-Tout dans la queue, rien dans les pattes. Ne vous choquez pas, m’ame Michu, c’est un mot de mon neveu : il dit ça de son patron, mais ça peut convenir à bien du monde.
-Et Besancenot, homard… Mais si : bleu-La-Poste dans son naturel, rouge-Grand-Soir dans la casserole.
-Un crustacé devenu trop rare, m’ame Michu, et pas dans nos moyens. Hortefeux en grondin, ça oui : ferme mais plein d’arêtes. Quand Sarkozy a remanié, j’ai pensé : ruse de sioux pour liquider le bougnat gaffeur. Paf ! on en reprend pour deux ans.
-Borloo ?
-Je dirais bien raie, par antiphrase chez cet ébouriffé.
-Bayrou ?
-Limande.
-On n’y croit pas du tout.
-Justement : il est incroyable. Et vous verrez, m’ame Michu, à force de s’étaler au centre du centre, il finira tout plat..

C’était leur tour de remplir les cabas. Je les voyais pointer le doigt ici et là au-dessus du varech. Cependant, au stand du Sud-Ouest, le vendeur ne me lâchait plus. Après trois nouveaux tests comparatifs sur le Bergerac et le Jurançon, il m’a demandé combien de bouteilles je prenais de chaque cru. Quand je lui ai dit que tout était parfait, que j’allais réfléchir, j’ai cru entendre comme un juron. Je me retourne vers la poissonnerie : plus de Michu ni de Daube, mais le plaisir de rentrer gai sans frais pour ficeler ce bout de dialogue et l’expédier au Chat. Et les lecteurs d’ « Actu », alors, « qu’est-ce qu’on leur souhaite ? » Ce qui dépend un peu de nous : la petite grâce d’une sympathie partagée.

Arion