Il s’agit, bien sûr, d’une histoire de chat. Comment cet animal mystérieux, « parfaitement au-delà du monde des humains, un être n’appartenant ni au ciel ni à la terre » (p.117), peut-il apprivoiser les hommes ? Par sa grâce, par son imprévu, par le cadeau qu’il vous fait de s’intéresser à vous.
Un couple d’artistes vit dans une maison traditionnelle à jardin de Tokyo, dans les années 1980, lieu qui s’est fait de plus en plus rare avec l’envolée des prix de l’immobilier. Comme tous les chats, Chibi, est un explorateur né. Il a besoin d’aventures et de recoins à lui où fourrer son museau. Il passe alors dans les maisons voisines et fait de leurs jardins ses jardins. Chat « trouvé », adopté aussitôt par le petit garçon des voisins, cinq ans, Chibi se fait adopter aussi par le narrateur et sa femme. Insensiblement, de fil en aiguille, une relation se développe d’elle-même.
Il n’y a pas ce côté tranché d’Occident : on n’« achète » pas un chat, c’est lui qui vous choisit ; on n’en est pas « le maître », c’est lui qui consent à vous apprivoiser ; un jour il disparaît, sans explication, pour quelque temps ou pour toujours, sans dire adieu. Tel est le chat, si bien adapté à la mentalité asiatique qu’il est l’animal chéri des mythologies là-bas.
Épousant ce point de vue de l’animal, l’auteur développe son récit de façon ondoyante, sans cesse changeante, selon les humeurs. Et la vie alentour, qui pousse ou décrépit, humains, animaux ou végétaux ne sont que l’accompagnement d’une existence focalisée sur le chat. Cette bête rend le monde indécis, comme vu au travers d’une lanterne magique, « des lambeaux de nuages » (p.6). C’est la sagesse du chat : « pas la moindre trace de contrainte à l’égard des êtres humains » (p. 13). Pour survivre sans dommage, il nous faut faire de même car tout change, tout se bouleverse et peut, si l’on y prend garde, nous bouleverser.
Chibi lui-même est l’incarnation de cette grâce nécessaire : « une merveille (…) Il était mince et élancé, et réellement tout petit. (…) On remarquait de suite ses oreilles mobiles et pointues à l’extrême » p.14 Il ne se laisse jamais attraper, ni prendre dans les bras. Aucune sécurité, aucun repos : mais la vie même est ainsi. Il ne cherche pas à fuir mais il esquive avec vivacité, avec « un éclat pâle et froid ». Comme dans le zen, « l’attention qu’il portait aux choses se déplaçait avec une rapidité étonnante (…), sensible aux métamorphoses invisibles du vent et de la lumière. » p.15 Incarnation peut-être du dieu de la chasse, Chibi le chat escalade un arbre de façon si fulgurante qu’il joue « la capture de l’éclair » p.72.
A son contact l’auteur, écrivain et poète, quitte le monde de l’édition pour « une vie de liberté » (p.31) Et puis… Tout passe, tout arrive et s’en va, sur la pointe des pattes. Un poète disparaît, un vieillard meurt, une maison est démolie. Le Japon ancien et traditionnel se transforme, les petits garçons grandissent, les saisons se renouvellent. Je ne vous dirai rien du développement du récit, vous laissant le découvrir. Car c’est un magnifique livre, un accord qui se fait avec le monde et avec la nature, que vous lirez là. Un trésor de sensibilité et de poésie comme il est peu, en notre début de 21ème siècle.
Il vient du Japon, qui a sans doute beaucoup à nous apprendre.
Hiraide Takashi, Le chat qui venait du ciel , Picquier poche, 2006, 130 pages