Près d'un tout petit lac dont l'eau verdâtre ne gêne pas Narcisse qui continue de s’y mirer et d’y contempler son reflet, une dame fagotée comme un pigeon parisien, semble beaucoup moins se soucier de son apparence. Elle nourrit toute une population variée de cygnes, canards, mouettes, moineaux, corbeaux, tourterelles, pies et pigeons clochards...
Vu son apparence et la grosse quantité de graines qu’elle distribue aux oiseaux, on pourrait la classer parmi ceux qui gardent peu pour eux mêmes pour distribuer le plus gros aux autres.
Face à son visage impassible, un passant hésite, mais finit par lui rappeler qu'il est interdit de "nourrir les oiseaux car…"
Et la dame de répondre instinctivement : " pendant ce temps là, eux, ont de quoi se nourrir et s'acheter du champagne ! »
Je décollais mes yeux de la statue de Narcisse dont les siens restaient éternellement rivés sur son image dans l’eau, pour admirer cette dame finalement pas si mal fagotée que ça, et lui exprimer ce qui devait être mes premiers vœux, à deux jours de la nouvelle année : « Très longue vie à vous qui vous occupez des oiseaux clochards. »
Quelque chose de chaleureux réchauffa son regard qui paraissait glacial. Elle me lança : «pour moi, tous les animaux sont sacrés ! » avant d’enchaîner curieusement : « là-bas aussi, certains devraient arrêter de faire couler trop de champagne rien que pour eux, et de monter les peuples les uns contre les autres ! ».
Elle avait déjà tourné le dos que je réalisais que j’avais tourné le mien à la beauté grecque et aux cygnes dont la vue m’avait pourtant éloigné des tensions de ce « Là-bas » dont la dame a fait allusion.
Les tensions refirent surface, et un vœu en succéda à un autre. La dame n’a pas tort, oui, si certains de là-bas pouvaient arrêter de déboucher moins de champagne :
Pour donner plus à ceux qui suent dans les champs de cacao,
Pour que le désert, parce qu’il ne peut pas leur donner à boire, cesse de regretter de transformer en cadavres les jeunes qui le traversent à la recherche d’un autre souffle de vie
Pour que l’océan Atlantique cesse de regretter de garder dans son sein ceux à qui il donne trop à boire
Pour soulager ces hôtes qui ne peuvent ou ne veulent plus les accueillir
Pour que leur chez soit une terre à aimer et non un terre à fuir
Pour stopper l’hémorragie des blessures mortelles des lions de brousses piégés
Pour que ceux qui amassent tout pour eux imitent cette simple dame nourrice d’oiseaux diverses et variés .
Enfin pour parvenir à un petit équilibre du monde.
Meilleurs Vœux à tous !
Safi
***A propos d’équilibre, rappelons l’Equilibre du monde, un beau roman qu’il n’est jamais tard de lire