Dr John (Malcolm John "Mac" Rebennack, Jr )
est de ces hommes intègres et vrais, totalement impliqué dans la création de ses oeuvres et toujours fidèle à l'imagerie historique et sociale de la musique blues qu'il chante depuis plus de 40
ans.
Originaire de la Nouvelle Orléans, cette ville incontournable qui l'a forgé et préparé à devenir musicien depuis son plus jeune âge (à 12 ans le gamin tapait déjà des boeufs dans des clubs de la
région), il n'a depuis jamais cessé de tenter de faire revivre l'esprit singulier et tellement unique de cette ville qui l'a vu naître en 1940 et dans laquelle jouaient alors tous les maitres du
genre. C'est donc d'abord comme clandestin que le jeune Malcolm pénètre dans les clubs, fasciné par les stars qui s'y produisent tels que le pianiste Professor Longhair ou Frankie Ford et les
Thunderbirds. Il sera très vite accepté et pendra vite part à des sessions d'enregistrements pour de nombreux musiciens locaux ainsi que pour quelques petites maisons de productions. D'abord
guitariste, il sera finalement contraint de revenir au piano (son instrument de prédilection) à la suite d'une altercation à l'arme à feu dans laquelle il perd un doigt de la main gauche en
tentant de protéger son ami, le claviériste Ronnie Barron, qu'un déséquilibré avait tenté d'assassiner à la sortie d'un motel de Jacksonville. Quelques opérations chirurgicales plus tard (une
greffe d'annulaire réussie) il finit par déménager à Los Angeles afin d'y dégoter de nouveaux contrats avant d'adopter, au milieu des années 60, son désormais légendaire surnom de Dr John (repris
du nom d'un médecin vaudou de la Louisanne qui exerçait au 19e siècle).
C'est à cette époque qu'il impose son style et son art. Il marque notamment les esprit lors de ses concerts avec un son et une mise en scène très novateurs mêlant la sueur des cérémonies vaudou
au folklore du rythm and blues de Louisianne, le tout marqué d'une touche de psychédélisme due, en grande partie, à un grand sens de la composition, mais aussi, disons-le, à des prises de drogues
très importantes, ce qui lui aura certainement permis de se révéler au-delà de ses intuitions (un débat à part et largement ouvert mais que je ne saurais expliquer autrement pour définir les
capacités de certains à se transcender dans leur art).
"Gumbo", l'album dont il est question aujourd'hui, est le 5e de son oeuvre et a été enregistré en 1972 chez la firme Atco (un sous-label d'Atlantic). L'idée de Dr John est ici de rendre hommage à
ce qui l'a construit, autrement dit à l'âme de la Nouvelle Orléans, en reprenant des thèmes bien connus qui étaient joués dans les années 40 et 50. Il puise dans ses souvenirs les thèmes qui
l'ont marqué (lui et tant d'autres), et les réadapte 30 ans plus tard à la sauce "Night Tripper" (autre surnom de l'époque). «En 1972, j'ai enregistré Gumbo, un album hommage et également mon
interprétation de la musique avec laquelle j'avais grandi à la Nouvelle-Orléans. J'ai essayé d'immiscer dans cet album tous les changements caractéristiques de cette musique, tout en y ajoutant
mes propres ingrédients funky au piano ou à la guitare».
Moins théatraux que ses précédents disques ("Gris Gris" en tête), les 12 titres de "Gumbo" sont surtout savamment orchestrés et nous plongent dans les nuits chaudes et bouillonnantes des bayous
de Louisianne de la plus généreuse des manières. Il est aussi moins propice au mysticisme régional (même si l'esprit ne l'a jamais vraiment quitté), car il s'agit bien de parvenir à nous faire
ressentir l'atmosphère de mardi gras joviale et festive qui y régnait à cette époque. Le pari est bien sur plus que convaincant et ce disque figure, inutile de vous le dire, parmi les plus
réussis de l'artiste.
Maintenant que le décor est planté vous savez à quoi vous attendre, et si vous ne connaissiez pas encore ce personnage incontournable, alors appréciez donc ces moments de groove "noir" à la voix
blanche et dites-vous bien qu'il en existe peu de semblables.