Septembre 1963
[…] Je reconnais que je me suis toujours senti mieux fauché, non pas parce que lorsque tu es fauché tu n’as rien à perdre et tu te sens libre comme l’air, mais parce qu’au contraire tu n’as pas à te soucier de protéger tes biens, tu ne passes pas ton temps à ne rien faire d’autre. […]
Gypsy*, prends des vitamines, même moi j’en prends (99 cents pour un mois de traitement), mange du pain et des pommes de terre, et quand tu n’arrives pas à dormir la nuit, c’est pas la peine de lutter : lève-toi et lis un journal, un truc emmerdant, je ne sais pas moi, la rubrique financière, les reportages de guerre, les manifs, les bulletins météo… et surtout prends bien soin de toi quand tu te sens mal, essaie de penser aux bons souvenirs ou à un truc bien qui pourrait t’arriver. On est toujours trop dur envers soi-même. Je sais que j’ai l’air d’un pasteur qui prodigue ses conseils au coin d’une rue, mais essaie quand même ce produit-là : CURE DE JOUVENCE DU VIEUX BUK. Si je le pouvais (comme je suis bien engraissé) je te refilerais volontiers une dizaine de mes kilos. Je suis sûr qu’à la morgue on me prendrait pour une bonne grosse dinde farcie. […]
P.S. : si aucun homme n’est une île à lui seul, est-ce que quelqu’un pourrait alors me dire pourquoi la majeure partie d’entre eux sont mouchetés de crasse ? (Page 65-66)
Charles Bukowski, Correspondance 1958-1994, ©Editions Grasset. Trad. M.Hortemel
* Gypsy est le surnom de Louise Webb. Jon et Louise Webb sont un couple d’amis de Bukowski et éditeur de journaux underground.
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