Peter Pan - l'enfant qui ne voulait pas grandir -

Par Emmyne

Conte de fée, roman d'aventure, récit mythologique, Peter Pan est un récit tout en ambiguïtés et paradoxes, en intertextualité et réécriture du merveilleux. Il est souvent réduit à la thématique du temps, d'un temps arrêté, du refus de l'âge adulte, d'un univers idéalisé d'une enfance rêvée.

Pourtant, le pays de Peter Pan est une île de peurs primitives, de cruauté, de combats et de mort, dont les rivages sont traversés par des courants profonds, profondément humains, troublant l'esprit par cette façon de mêler l'imaginaire à la réalité " sans y voir aucune dissemblance ", de ne jamais opposer les mondes et les concepts, d'y associer les contraires.

Le temps dans Peter Pan n'est pas immobile, suspendu. Il est au contraire permanent - " tout cela est en perpétuel mouvement " -, un perpétuel recommencement, un temps circulaire, qui n'est pas celui des cycles, qui ne tend vers aucune finalité, aucune justification, n'est pas porteur de sens; circulaire comme ce sentier de l'île sur lequel se suivent jusqu'à l'absurde les communautés, où tournent en rond les Enfants Perdus, les Indiens, les Pirates, le crocodile. NeverLand n'est pas le pays de Jamais, il est le pays de Toujours, celui de tous les possibles, d'un temps qui paraît infini à l'enfance.

" les enfants resteront gais, innocents et sans coeur "

Peter Pan est amnésique. Il vit dans le présent, dans l'instant, libéré du poids de la mémoire, inconséquent, narcissique, fanfaron, autoritaire, analphabète, à l'état de nature sans souci de celui de culture, c'est à dire de devenir un individu civilisé et socialisé, un " étrange petit garçon [...] à l'allure effronté " pleurnicheur. Il est prisonnier ( volontaire ? ) d'un temps éternel dans lequel son coeur est figé. Il ne peut, il ne veut ressentir de sentiments.

Ce qui fait toute la différence entre l'enfant Peter qui refuse de grandir, libre et léger dans cette éternité livrée aux règles de son imaginaire, et l'adulte Crochet en prise avec l'inexorable écoulement des heures, symbolisée par le crocodile-horloge, Chronos dévoreur. Seul l'adulte craint le temps, de vieillir, de mourir :

- " Smee, il y a longtemps que ce crocodile m'aurait mangé mais, par une chance extraordinaire, il a avalé une pendule qui fait tic tac à l'intérieur; du coup, avant qu'il puisse m'atteindre, je l'entends et je décampe.

Il se mit à rire, mais d’un rire qui sonnait creux.

- Un de ces jours, dit Smee, la pendule s’arrêtera et il vous aura.

Crochet humecta ses lèvres sèches :

- Eh oui, reconnut-il, c’est bien ça qui me hante."

C'est donc l'adulte, ce pirate - couvert de superlatifs effrayants et sinistres - le voleur du trésor de NeverLand, le kidnappeur, l'assassin d'enfants, d'enfance, vaincu par " Peter Pan le vengeur " prompt à endosser l'uniforme et les prérogatives de capitaine.

" le premier soir qu'il avait porté cet habit, Peter s'était attardé dans la cabine du capitaine avec le porte-cigares de Crochet à la bouche, un bras tendu, le poing serré à l'exception de l'index plié auquel il s'efforçait de donner l'aspect menaçant d'un crochet. "

Feu follet, esprit follet, le capitaine Pan fait semblant, il joue, principe fondamental de NeverLand. Peter Pan n'est pas un héros, il n'évolue pas, ne dispense pas de morale, ne devient pas un modèle.

A la fois magicien et metteur en scène d'une imagerie d'aventures enfantines - inspirée des grands romanciers contemporains de JM Barrie -, il est toujours comédien, changeant de personnage, travestissant son identité, voletant et volage au grès des envies et inspirations du moment. Il n'hésitera pas à subvertir son petit théâtre pour retenir Wendy investie dans le rôle de la mère, fonction de substitution qui ne peut être assumée que par une enfant complaisante dans le monde de Peter ( Wendy, puis sa fille, puis la fille de sa fille...Peter Pan ou l'éternel retour ). Une mère, image obsédante,  méprisée parce que refusée, refrain du récit, quête non résolue - manque premier par lequel le temps dérive, amour originel sans lequel l'enfant ne peut grandir - .

" Non seulement il n'avait pas de mère mais il ne souhaitait nullement en avoir une. Ce genre de personnes lui semblait très surfaites. Wendy, pour sa part, eut le sentiment immédiat de côtoyer une tragédie. " ( ouverture du conte, rencontre Peter Pan - Wendy  )

" Arrière, madame, dit-il. Personne ne va me coincer pour faire de moi un homme. ", répond Peter Pan à Madame Darling lorsqu'elle lui propose de l'adopter. ( Epilogue )

Mais il n'y a pas de fille à NeverLand, seulement des femmes face à ces garçons qui ne doivent pas devenir des hommes. Wendy est le virginal archétype de la féminité maternelle, du fantasme de l'amour-tendresse-patience-indulgence-protection sans condition, tandis que Clochette est l'émotion vive et brute - certainement pas la blondinette puérile de Disney -, la colère, la jalousie, l'égoïsme, la spontanéité, la sensualité. Impudente, imprudente, elle n'est pas capricieuse mais de tempérament passionné. Icône de beauté, femme intouchable, est l'indienne Lys Tigré ( les symboles de la fleur de lys ne sont-ils pas la pureté et la royauté, elle ne pouvait porter meilleur nom ) " fièrement cambrée, authentique princesse. C'est la plus belles des Dianes à peau cuivrée et la favorite des Negritos, tour à tour coquette, distante et amoureuse. Pas un brave qui ne rêverait de l'avoir pour femme, mais elle connaît l'art d'éviter l'autel avec sa hachette. "

Référence à la chaste et lunaire Diane chasseresse répondant aux Sirènes, femelles trompeuses et langoureuses. Ces femmes sont dangereuses, elles sont le désir. Le désir existe à Neverland, il est refoulé mais latent puisque Neverland est l'île du dieu Pan, divinité païenne de la nature et du plaisir, énergie vitale en référence mythologique évidente dont Peter porte les attributs, du costume de faune à la flûte, et le caractère impétueux. Peter est l'enfant-dieu - le dieu de l'enfance ? - réfractaire à l'évangélisation parentale. Si NeverLand ne figure pas le Jardin d'Eden, les connotations bibliques sont récurrentes. Le désir y est nié, interdit. Parce que désirer, c'est s'éveiller à la sexualité, à une réalité physique funeste, entrave à la capacité, au pouvoir de voler en renonçant à un état d'ignorance et d'innocence premier. Parce que la sexualité, plus qu'un jeu d'adultes, c'est la procréation, une représentation corporelle sexuée de la mère, donc dérangeante, angoissante, taboue.

" - Dis-moi, je ne suis pas leur père pour de vrai, n'est-ce pas ?

- Mais non, le rassura Wendy [...] mais ce sont nos enfants, Peter, les tiens et les miens.

- Pas pour de bon tout de même, Wendy ? demanda-t-il, anxieusement.

- Pas si tu n'en as pas envie, répondit-elle. Peter, quels sont au juste tes sentiments pour moi ?

- Ceux d'un fils dévoué, Wendy.

- C'est bien ce que je craignais, dit-elle. "

Parce que devenir parent, c'est s'inscrire dans le temps.

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Nous voilà prêts pour 2011,

une nouvelle année que je vous souhaite magique.

Cette interprétation du texte de JM Barrie n'engage évidemment que moi. Si vous avez eu le courage de lire ce billet jusqu'ici - je promets que j'ai essayé d'être synthétique -, sachez que les prochains sur Peter Pan seront consacrés à l'esprit de ce conte à la fois émouvant et ironique ( satire sociale, subversion du merveilleux, omniprésence de la mort et symbolique du vol ), à sa genèse, à la part autobiographique de l'univers, avant les chroniques dédiées aux adaptations.

" Je suis unique, non ? Je suis vraiment unique ! "

- Peinture de Margaret W.Tannant -

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