Si vous en avez assez de ces journalistes qui, l’air entendu, concluent leur article sur la France et l’Afrique par un « il faut en finir avec la Françafrique » sentencieux et politiquement ultracorrect, si vous souhaitez creuser enfin le sujet sans investir trop de temps, si vous désirez sortir des faux-semblants, si vous voulez comprendre à quel point les choses ont bougé depuis vingt ans et la fin du monde bipolaire, ce livre est fait pour vous.
Yves Gounin, énarque qui a exercé à plusieurs reprises en Afrique, écrit donc un petit ouvrage (191 pages) fort complet, articulé en cinq chapitres au découpage classique (on adorera le style Sciences po, avec des deux partis, deux sous-parties qui se cascadent sans cesse : un modèle d’architecture).
La première partie évoque le « complexe franco-africain », et décrit la Françafrique de papa : la période (1948-1994) n’est pas aussi rose qu’il il paraît, car la crise débute avec la gauche. 1994 voit une triple rupture avec les funérailles d’Houphouët-Boigny, la dévaluation du franc CFA et le génocide ruandais.
Le deuxième chapitre décrit la politique qui se cherche, avec un Chirac indécis qui s’enferre dans l’impasse et les espoirs déçus de la rupture annoncée par Sarkozy. Le troisième chapitre décrit le dispositif compliqué de la politique française, qu’il s’agisse de la Coopération (le C majuscule désignant le ministère et ses arcanes) ou de la fonction de gendarme qui mue en profondeur, favorisant l’appropriation africaine, la multilatéralisation et une certaine retenue.
Le quatrième chapitre revient sur un passé qui ne passe pas, avec des passages équilibrés sur la traite négrière ou sur la colonisation. On est loin des postures radicales des uns et des autres et rien que pour ce chapitre, abordé avec une certaine appréhension, est finalement très convaincant. Le dernier chapitre est logiquement le plus prospectif, puisqu’il évoque une relation compliquée par l’émergence de nouveaux acteurs : la politique africaine de la France n’est plus seulement un dialogue, elle s’insère dans un concert où interviennent désormais des acteurs non-étatiques (réseaux, collectivités locales, entreprises, ONG, et Y. Gounin aurait pu l’évoquer, églises) mais aussi d’autres Etats (Etats-Unis et puissances émergentes : pas seulement la Chine, d’ailleurs, mais aussi le Moyen Orient, le Japon, le Brésil, l’Inde ; la Russie n’est pas mentionnée : signe d’un retrait ?).
Voici donc un ouvrage passionnant : on sait gré à l’auteur d’avoir beaucoup lu et donc d’appuyer ses démonstrations par un appareil de citation fort complet. Cette rigueur, remarquable pour un livre de taille aussi modeste, autorise également une liste des acronymes, une chronologie, une bibliographie, et une « culturographie » (c’est moi qui invente le mot : romans et films) fort bienvenues. Ça vaut 12 euros, et ça les mérite largement : incontournable pour tous ceux qui préparent des concours avec une partie de relations internationales.
Yves Gounin, préface de J.-Ch. Rufin De Boeck éditions, collection « Le point sur politique », octobre 2009
Autres fiches de lecture : ici, ici, ici et ici.
O. Kempf