Un film de David Lean (1957) d’après le roman de Pierre Boulle, avec Alec Guinness, William Holden & Jack Hawkins.
Un blu-ray region A, B, C Sony Pictures Home Entertainment (2010)
2:55 – 16/9
VOST DTS-HD MA 5.1 ; 161 min
Une chronique de Vance
Résumé : 1943, en Thaïlande. Le commandant Shears, un Américain prisonnier dans le camp du colonel Saïto, voit débarquer un bataillon de Britanniques dirigé par le colonel Nicholson : un nouveau contingent de prisonniers de guerre voués à la construction d’un pont sur la rivière Kwaï qui permettra aux Japonais de finaliser une ligne de chemin de fer allant de la Birmanie à l’Inde. Mais Nicholson, s’appuyant sur les préceptes de la Convention de Genève, refuse que ses officiers prennent part à quelque travail que ce soit. Malgré les intimidations et les menaces, il demeure inflexible, suscitant la vindicte de Saïto, l’admiration de ses subalternes et l’interrogation de l’Américain, qui ne cherche qu’à s’évader. Or Saïto est tenu de respecter les délais, et les soldats britanniques, privés de leurs officiers, font tout pour saboter le projet…
Quelle joie de revoir cet immense film dans un nouveau master 4K ! Inutile de vous dire que quand la possibilité m’en a été offerte, j’ai sauté sur l’occasion. J’avais un plutôt bon souvenir de l’édition collector DVD aux couleurs un peu fades mais aux suppléments de qualité, j’avais hâte de voir le résultat en haute définition.
Passons sur la jaquette de l’édition française, sortie en novembre : on y voit les trois acteurs principaux posant devant le pont, un montage maladroit (Hawkins n’apparaît jamais aux côtés de Nicholson) ; on aurait pu se contenter de l’édition US avec juste les poutres de l’édifice servant de décor, un peu comme pour l’interface du menu, déroutante mais finalement agréable (reconstitution du pont en images de synthèse avec animation et bruitages). Trois pistes audio sont proposées (dont une VF), toutes en en DTS-HD Master Audio.
Les premières images du film font craindre le pire : ciels granuleux, fond bruité. En fait, cela ne dure que le temps de l’affichage de la nomenclature du générique. Ensuite, il y a une nette bascule sur le plan qualitatif : une palette de couleurs impressionnante, faisant très bien ressortir les teintes chatoyantes de la jungle et la coloration ocre de la carrière où se situe le camp de prisonniers, accentuant encore la sensation de chaleur étouffante. Les arrière-plans manquent toutefois de netteté, mais ça n’influe guère sur le plaisir de redécouvrir ce chef-d’oeuvre du cinéma dans une édition en haute définition, d’autant qu’il ne semble pas y avoir eu abus de DNR : un grain très cinéma est présent et sert parfaitement les images en Cinémascope et Technicolor.
Quant à l’œuvre elle-même, que dire qui n’ait pas déjà été écrit ? A l’image du pont lui-même, il est un monument à la gloire de la folie humaine, celle qui, sous des apparats de grandeur et des prétextes fallacieux (principes moraux ou code du Bushido), place certains individus au-dessus des autres tout en leur faisant perdre de vue les fondamentaux de l’existence. Ainsi, en insérant le personnage truculent de Shears, ce marin américain survivant du naufrage de l’USS Houston (inexistant dans le roman), Lean permet au spectateur de prendre de la distance avec les deux officiers qui se font face : on sent tout de suite que le réalisateur britannique ne désirait pas qu’on admirât outre-mesure la force de détermination de Nicholson ou la patience de Saïto. Au contraire : malgré des scènes fortement connotées où l’héroïsme de l’un explose à la face de l’autre (Nicholson sortant enfin de la cellule d’isolement, porté par ses hommes en triomphe tandis que Saïto pleure sa défaite cuisante sur son lit), on ne perd jamais de vue que l’obstination mutuelle de ces deux hommes se fonde sur de mauvaises raisons, et se mêle même à une sorte de quête de grandeur un peu puérile (rappelez-vous quand son ingénieur lui suggère d’utiliser pour le pont des ormes qu’il a repérés dans la jungle parce que le London Bridge a tenu plus de 600 ans avec de tels arbres : le regard du colonel britannique se perd alors dans un lointain glorieux tandis qu’il s’imagine achevant un monument séculaire). Par de telles séquences, mais aussi des réflexions désabusées (de Shears d’abord, avant qu’il ne réussisse à s’évader, puis du médecin qui s’incline devant les décisions de son supérieur tout en signifiant sa désapprobation), Lean nous brosse un portrait tout en paradoxe d’un homme admirable dans ses actes et détestable dans ses choix ; Guinness, en endossant ce rôle bigger than life, lui confère une étonnante noblesse qui accentue encore les sentiments contradictoires qu’il engendre (il n'a pas volé son Oscar).
La partie rajoutée au script originel, c'est-à-dire tout ce qui tourne autour de l’évasion de Shears, son périple le long du fleuve, son séjour à l’hôpital, son recrutement (un peu forcé) au sein de la Force 316 (une unité de commandos britanniques chargée de faire exploser le pont – une idée que, de son propre aveu, Boulle aurait aimé avoir pour son roman), son retour sur les lieux et l’opération de dynamitage, peut par moments apparaître un peu artificielle, mais là aussi le réalisateur, grâce à un montage habile, une direction d’acteurs précise et un certain humour, parvient à rendre cohérent ce qui était au départ le fruit d’une obligation contractuelle (insérer dans le casting une tête d’affiche américaine et un personnage féminin). Elle permet de rajouter une tension crescendo dans l’histoire, le spectateur attendant avec impatience de voir la réaction du colonel quand il saura que ses supérieurs ont ordonné la destruction d’un pont qu’il a voulu parfait, incapable de comprendre qu’il faisait acte de collaboration avec l’ennemi. Après, alors même qu’il est touché par un tir, juste devant le détonateur, il est difficile de déterminer avec certitude s’il se couche dessus consciemment ou non (on sait que Lean et Guinness n’étaient pas parvenu à trancher sur ce point) ; pour John Milius, grand admirateur du film, dont on peut suivre une interview en supplément, Nicholson ne veut pas détruire son œuvre et ce n’est que le hasard, un hasard cruel et tragique, qui le fait s’effondrer sur le levier et déclencher ainsi l’explosion. La dernière réplique du film, proférée par un médecin accablé par tant de gâchis, est symptômatique : « Madness ! Madness ! »
Une grandiose folie humaine. Et la Nature, à l’image de ces oiseaux planant au-dessus des cadavres, finira par tout effacer.
Indispensable à toute vidéothèque.
Merci à Marie-Anne B. de l’agence Colorado.