abstention entre résignation et piège à cons...

Publié le 30 décembre 2010 par Despasperdus

Suite à un billet de le Gavroche, GdeC invite une assemblée de blogueurs à débattre sur le phénomène de l'abstention...

Avant d'avancer, sachons de quoi nous parlons....

«En politique, l'abstention est le refus de participer à un vote (lors d'une élection ou d'un référendum par exemple) ou une délibération, bien que l'on en ait le droit. (...) Les raisons de l'abstention sont multiples et variées. Lorsqu'elle est importante, l'abstention peut poser des problèmes de légitimité des décisions ou des résultats d'élection.»[1]

Passive ou active, indifférente ou hostile, l'abstention dépend de nombreux facteurs tels que l'enjeu, le type d'élection,la conjoncture, les candidats. Elle est diverse...

Cependant, la persistance et la croissance [2] de l'abstention prouvent que la République est malade et dépolitisée. Ou plutôt d'une République malade de dépolitisation. Voici les causes qui nous semblent les plus criantes :

La négation du clivage gauche-droite

Qu'est-ce-qui différencie une politique néo-libérale d'une politique social-libérale? La fameuse méthode ? Le degré de violence ? Le logo du parti majoritaire, PS ou UMP ? Au niveau européen, la question ne se pose plus. PS, UMP et centristes défendent l'Union européenne libérale [3] en votant les mêmes textes [4], en nommant les mêmes individus à des postes clés [5], et en transposant à l'unanimité ou en catimini les directives dans la loi nationale.[6]

De plus, des questions très clivantes telles que la ratification du traité de Lisbonne, l'alliance avec le centre, ou encore l'allongement de la durée des cotisations des retraites font consensus entre les principales formations politiques...

Aussi, l'alternance politique entre UMP et PS ne produit plus qu'un échange de postes entre politiciens au gré des résultats électoraux... Bien loin d'un véritable changement de politique.

Une crise de la représentation

Les institutions, le manque ou l'absence de volonté des principaux partis politiques, et les mœurs de l'époque produisent des phénomènes tels que le cumul des mandats, la professionnalisation du personnel politique qui en découle. Et même le népotisme !

Mêmes études, mêmes professions, même milieu social, même culture, mêmes privilèges... Le choix entre PS et UMP n'est qu'un enjeu de carrière professionnelle, quitte à changer opportunément de "camp"... [7]

La politique offre de belles carrières professionnelles et permet de s'enrichir sans souffrir de la précarité ou d'un retour dans la vie active "commune"... Les moins brillants et les moins ambitieux deviennent apparatchiks : le PS et l'UMP les emploient soit au sein de l'organisation, soit auprès des élus.

L'absence d'allers et retours entre vie politique et vie active "normale", le manque de turn-over fossilisent et isolent les structures... Cette caste de privilégiés n'a aucun intérêt à ce que les choses changent. Le statut quo favorise ses intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général.

Au final, un sentiment de non-représentation ou de mal représentation politique prédomine.

La novlangue libérale du village Potemkine

La classe politique vit non seulement coupée de la société, mais de surcroit elle n'emploie pas la même langue que le citoyen ordinaire. Le vocabulaire est pourtant le même mais sa signification diffère. Une sorte de double langage avec une réalité fantasmée chez certains politiciens.

Systématiquement, la novlangue libérale annonce exactement l'inverse des effets produits et voulus par l'application des dogmes libéraux. Les uns discourent sur le travail, la sécurité, le système social, la lutte contre le chômage, la formation professionnelle, la concurrence libre indispensable au progrès, le libre échange heureux, la mondialisation bienfaitrice, ou l'Union européenne qui protège. Et les autres subissent les délocalisations, la précarité, le stress au travail, la pression des objectifs, le temps partiel non choisi, le chômage de masse, les horaires atypiques, les inégalités sociales, la pauvreté, la déchéance...

La collaboration des médias dominants qui enfument la réalité pour la rendre compatible aux discours des partis, eux aussi, dominants, n'empêche pas que chacun mesure, tôt ou tard, le décalage entre la réalité quotidienne et la propagande de l'oligarchie. Les termes du débat ainsi faussés, la politique lasse, dégoute, ou désintéresse le citoyen... Tout est fait pour le dépolitiser et le pousser à la résignation... Tout jusqu'à ne pas respecter la volonté populaire sortie des urnes ! [8]

le libéralisme empêche un vrai débat politique :

L'idéologie dominante décourage l'engagement politique, et relativise l'importance du droit de vote. Les politiques qui mènent les réformes libérales prennent l'apparence de techniciens qui obéissent à la force d'inertie de la logique. La politique libérale est présentée comme pragmatique, réaliste et surtout inéluctable. Les médias dominants aux mains des puissances économiques répètent en boucle qu'il n'y a pas d'autre alternative possible (TINA). D'ailleurs, sans convictions et culture politiques solides, comment les contredire puisque les deux plus grands partis politiques partagent cette opinion ?

A mesure que l'intégration dans l'UE libérale se renforce, TINA devient incontournable. [9] Ce n'est pas la prochaine modification du traité de Lisbonne relative au contrôle a priori des budgets nationaux par la commission européenne qui inversera le processus ! [10]

Pourquoi voter pour des partis qui favorisent leur propre impuissance politique ? La politique n'est plus source de débats raisonnés et contradictoires, et de choix entre différentes options. Le débat politique s'est banalisé et caricaturé en spectacle pitoyable.

Le libéralisme et le darwinisme social :

L'idéologie libérale survalorise les comportements les plus individualistes au détriment de la solidarité, du civisme, du collectif, du bénévolat... Du libéralisme au darwinisme social, il n'y a qu'un pas : chacun mérite son sort, chacun peut s'en sortir, chacun peut s'enrichir, chacun se démerde tout seul. Les systèmes de solidarité nationale et de redistribution des richesses n'ont plus leur place.

Tout service public est considéré comme une dépense inutile et dangereuse qui met en péril l'équilibre budgétaire et surtout l'esprit d'entreprise, l'initiative individuelle : trop d'impôts tuent l'impôt ! Pour endormir le peuple, le libéralisme encourage la charité individuelle et communautaire à prendre le relais des services publics disparus pour aider les plus nécessiteux.

Par conséquent, dans un Etat réduit à ses fonctions régaliennes, les politiques n'interviennent plus qu'à minima dans le champ économique et social. Le citoyen se réduit à un acteur économique qui ne peut compter que sur lui-même ! Plus cet acteur est en butte à la précarité, plus il se marginalise, moins il participe à la vie sociale et politique... La précarité et la soumission sociale participent à une certaine aliénation, à un repli sur soi et à une dépolitisation.

Fracture sociale et fracture politique :

L'abstention est plus importante au sein des classes populaires, là même où les effets du libéralisme frappent le plus durement et durablement. Le paradoxe est total : l'abstention des classes populaires favorise les politiques, libérales en l'occurrence, qui leurs sont les plus défavorables : casse des services publics, destructions des solidarités et des mécanismes distributifs, dumping social, et nivellement social...

L'abstention est due à toutes ces causes et vraisemblablement à d'autres. Comment réintéresser les citoyens à la politique ? Comment repolitiser l'ensemble de la société, en particulier les classes les plus modestes ? Sur d'autres continents, c'est en les remobilisant que l'autre gauche a pu être portée au pouvoir.

Y'a du boulot...

Notes

[1] wikipédia -abstention

[2] politiquemania - abstention aux législatives - abstention aux européennes

[3] des pas perdus - PS : l'impossibilité d'une Europe sociale

[4] des pas perdus - Vote utile ? Le front de gauche !

[5] des pas perdus - ami socialiste, tu as voté Barroso en juin dernier ?

[6] des pas perdus - avant l'arrivée de la directive

[7] des pas perdus - la confusion des convictions en politique

[8] des pas perdus - L'UE, l'URSS du XXIème siècle?

[9] des pas perdus - la Grèce et les retraites du PS : les mots pour ne pas dire TINA...

[10] des pas perdus - PS et Verts s'allient avec la droite pour imposer le contrôle budgétaire de l'UE !