Il aura fallu une pincée de courage politique, et une bonne dose de volonté de nettoyer l’héritage Bertrand, pour que Jean-François Copé reconnaisse l’échec du réseau social lancé il y a un an en grande pompe par l’UMP. Échouant à attirer les Français ou à avoir un impact notable sur le débat national, les Créateurs de Possibles se sont changés en certitude d’un échec, alimentant l’UMP-bashing désormais régulier sur Internet. Mais il ne faudrait pas qu’ils deviennent l’arbre cachant la forêt du web politique. Quel parti peut aujourd’hui se targuer d’avoir une approche réussie et efficace d’Internet, se traduisant par une capacité d’influence réelle sur un public large ?
Il serait intéressant de faire un bilan raisonné de l’ensemble des initiatives semblables lancées par les partis français à la même époque. Souvenez-vous : l’obamisme triomphant battait encore son plein, avec son cortège de méprises et de myopies hexagonales. Une doxa aux allures de légende dorée baignait alors l’univers politico-médiatique, celle du premier président noir élu grâce à une sorte de Facebook (My Obama), qui lui avait permis de s’auto-financer par des petits dons et de « lever » des masses de sympathisants pour faire sa campagne. Il fallait donc que les partis politiques français fassent de même, pour gagner comme Obama. De ce syllogisme beau comme l’A(tla)ntique éclurent plusieurs réseaux sociaux de partis, selon des modalités différentes (plus centrées sur les sympathisants pour l’UMP, plus centrées sur les militants pour le PS), mais répondant tous à leur manière à cette association aussi évidente que non analysée entre Internet 2.0, modernité et victoire. Hélas, une mauvaise problématisation de départ donne toujours une copie au mieux hasardeuse. De fait, on peut se demander en quelle mesure les responsables de la communication des partis en question eurent vraiment le réflexe de soumettre ces coûteuses initiatives à des questions simples mais néanmoins essentielles – qui veut-on atteindre, comment, avec quel rapport efficacité/coût … – et surtout, pour quoi faire ? Est-ce une fin en soi d’avoir son Facebook personnel ?
Trop souvent on eut le sentiment que le lancement de ces réseaux répondait à un nœud complexe de mauvaises raisons. Le panurgisme – dès lors qu’un parti se dotait de ce vaisseau amiral sur le web, il n’était plus envisageable, dans une logique de course à l’armement, de ne pas avoir le sien. La technophilie béate – c’est Internet 2.0, c’est produit par des agences spécialisées, donc ça ne peut être que bien. L’analogie non maitrisée – c’est comme ça qu’Obama a gagné. Et puis un tropisme très politique, celui consistant à vouloir garder la main sur les individus. Comme je le remarquais en janvier dernier, les réseaux de parti obéissent à un choix très net de tout miser sur l’interne (à l’inverse d’une autre approche possible, consistant à investir les réseaux existants, où évoluent pourtant la majorité des internautes). En faisant ce choix, les partis entendaient probablement décalquer à l’identique leur modus operandi IRL, c’est-à-dire soit gérer leurs troupes existantes (et leur fournir des outils coopératifs), soit recruter des internautes comme on recrute des militants. Dans les deux cas, cette décision (qui se traduisit par des investissements financiers importants) était douteuse et discutable. Premièrement, pour des partis aussi structurés que le PS ou l’UMP, le besoin d’un réseau d’organisation interne est-il primordial ? Deuxièmement, est-il bien réaliste de croire que l’on va soudain s’affranchir des contraintes et préventions du monde réel et que par la seule grâce d’Internet, celles et ceux qui ne franchissaient pas le seuil d’une section locale du parti allaient soudain adhérer massivement à des réseaux directement liés à celui-ci ?
Cette vogue des réseaux sociaux partidaires est une bonne métaphore des problèmes actuels de nos partis politiques, à savoir leurs faibles ancrage et représentativité, voire leur coupure, par rapport à la population. Alors qu’Internet, via la mise en réseau, facilite la communication et l’éclatement des frontières (voire des hiérarchies), les grandes formations politiques demeurent au fond dans une logique égocentrique de captation (de voix, d’individus), sans chercher à comprendre les spécificités du réseau mondial et ce qu’il pourrait réellement leur apporter si elles s’ouvraient un peu à sa logique propre. En général, leur passage sur Internet se limite soit à de l’émission d’information à sens unique, soit à ce qu’on pourrait appeler, par analogie avec le greenwashing, du netwashing : faire du clinquant, du tape-à-l’œil, pour montrer que l’on est à la pointe de la technologie – ce qui se limite dans les faits à suivre la dernière mode, en l’occurrence celle des réseaux sociaux. Au risque – en outre – de rater la prochaine et importante évolution technologique.
Que Copé ait l’honnêteté de reconnaître combien son parti s’est fourvoyé dans ce sens, et incite désormais ses militants à travailler les réseaux existants, est donc en réalité une excellente nouvelle pour l’UMP. Si ce tournant est fermement assumé (et les leçons de l’échec pleinement tirées), la phase actuelle de bashing contre la majorité pourrait bien être le prélude à des jours plus heureux pour la droite en ligne. Qu’est-ce qui fonctionne bien sur Internet ? Les contenus drôles, et/ou intéressants ; les individus capables non pas forcément de produire ces contenus, mais des les sélectionner et les diffuser régulièrement (on parle parfois de curateurs). Il me semble que les partis politiques devraient interroger leur stratégie web à partir de là. Un contenu ne va pas automatiquement se diffuser parce qu’il porte l’estampille d’un grand parti, bien au contraire. De même, un militant en ligne sera d’autant plus efficace et suivi qu’il sera capable de diffuser à la fois les contenus de son parti et d’autres contenus utiles, et également de se montrer critique par rapport aux premiers. Enfin, pour parvenir à parler à une vaste population, tout l’effort doit être mis sur l’extraversion et donc sur l’occupation des réseaux généralistes pré-existants (Facebook, Twitter, Youtube, Dailymotion …), par exemple avec des applications dédiées – tout simplement parce que c’est sur ces réseaux que se trouvent les citoyens à convaincre et à écouter. En ce sens, le temps passé, dans le cas du PS, à débattre ou à diffuser sur la CooPol, réseau fermé et sans fonctionnalité simple de publication sur d’autres réseaux, est objectivement du temps politique perdu dans l’entre-soi. Et que dire du réseau d’Europe Ecologie, dont l’accès semble strictement réservé aux adhérents !
Comment construire des contenus qui vont susciter l’intérêt, et établir des curateurs influents, sur les grands réseaux ? Le chantier est énorme. Un petit tour sur les comptes Youtube de l’UMP ou du PS est fort révélateur : outre le nombre très modeste d’abonnés ou de vues sur les différentes vidéos, c’est la pauvreté de celles-ci qui saute aux yeux – pour l’immense majorité, une litanie de tristes interviews en plan serré, de points-presse, d’extraits d’allocutions, avec quelques tentatives plus originales ça et là, mais limitées à de la propagande ou à des critiques frontales du parti adverse. Tout est tourné vers le parti, et on cherche en vain ce qui pourrait intéresser une plus large audience, comme des vidéos pédagogiques claires sur les grands problèmes actuels (au hasard, la crise de l’euro). C’est pourtant en redonnant foi en leur utilité que les partis politiques pourront redonner envie aux citoyens de les écouter, de les croire, et pourquoi pas de les rejoindre.
Romain Pigenel