Jean Gadrey, 67 ans, est Professeur émérite d'économie à l'Université Lille 1. Il a publié au cours des dernières années : Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères). En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques). Il est membre du CNIS (Conseil National de l'Information Statistique). Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.
Consommer rend-t-il heureux ?
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Extraits
- John Stuart Mill écrivait « si la terre doit perdre ses beautés en raison des dommages provoqués par une croissance illimitée de la richesse, alors je souhaiterais qu’on se contente de rester là où l’on est avant que nous soyons contraints de le faire par nécessité ».
- Keynes. Anticipant en effet en 1930 que les petits-enfants de sa génération seraient environ huit fois plus riches qu’à son époque, il estimait que, avec cette abondance matérielle, « il sera temps pour l’humanité d’apprendre comment consacrer son énergie à des buts autres qu’économiques ».
- D’abord, si l’on prend tous les pays du monde, on constate 1) une tendance à ce que le bien-être déclaré ou subjectif progresse avec la richesse matérielle, mais que 2) au-delà d’un certain niveau de richesse matérielle, il n’y a presque plus de corrélation. Or ce niveau, nous l’avons largement dépassé en France, c’était en gros celui que nous avions en 1968, une richesse matérielle deux fois inférieure à celle d’aujourd’hui.
- L’inégalité et la précarité pèsent très lourd dans le bilan du « bonheur », et il faut donc des indicateurs plus objectifs pour aller plus loin que les constats subjectifs portant sur la moyenne.
- [...] en situation de vraie délibération sur ces grandes questions ? Conférence citoyenne dans le Nord Pas De Calais à l’automne 2009 : longs débats, chacun écrivant finalement ses priorités. Elles mettaient en avant comme richesses fondamentales la solidarité, l’émancipation, l’entraide, le partage équitable des ressources, le service public, la culture, le droit aux soins, tenir compte des générations futures, etc.
- Il faut quand même qu’on vive dans une société d’inversion totale des valeurs pour qu’on en soit venu à appeler « enquêtes sur le moral des ménages » des enquêtes mensuelles de conjoncture dont le principal objet est de savoir quelles sont les anticipations des consommateurs en matière d’achats et d’épargne !
- Ces grands outils de la mise en dépendance sont la publicité (600 milliards de dollars par an dans le monde), le crédit à la consommation, et l’obsolescence programmée et accélérée des produits (enquête des Amis de la Terre et du CNIID : la durée de vie moyenne des appareils électroménagers courants serait aujourd’hui en moyenne de 6 à 8/9 ans alors qu’elle était de 10 à 12 ans dans les années 1990.
- Sans ces dispositifs d’enrôlement, quelle est la proportion des nouveaux produits qui ne seraient jamais achetés ? Une enquête qui date de vingt ans auprès de PDG de grandes entreprises aboutissait à des résultats stupéfiants de franchise : 80 à 90 % de ces PDG déclaraient que, sans la publicité, la plupart de leurs nouveaux produits ne trouveraient pas d’acheteur et que la publicité persuade fréquemment les gens d’acheter des choses dont ils n’ont pas besoin.
- Consommer autrement implique donc d’abord de produire autrement, ce qui veut dire que les citoyens doivent aller au-delà de leur rôle de consommateurs, même engagés, pour exiger des normes de production leur permettant de trouver des produits à la hauteur de leurs exigences et à des prix accessibles.
- Il faut que le citoyen vienne au secours du consommateur citoyen pour que les politiques réorientent la production…