Pour bien voir la différence entre le secteur public et le secteur privé, on peut difficilement faire mieux que de se poster sur Euston Road et de comparer la gare de Saint Pancras avec la British Library qui est à côté.
Saint Pancras est un majestueux monument à la confiance en soi de l’époque victorienne. Ses architectes ont combiné des formes traditionnelles avec les nouvelles technologies des années 1860 pour créer le plus grand toit vouté du monde, et un terminus fantastique qui, de nos jours encore, élève le cœur du voyageur.
De l’autre côté de la Midland Road se trouve le bâtiment que le Prince de Galles a comparé à une académie pour la police secrète. La British Library n’a pas de mal à prétendre au titre la construction la plus en retard, et au budget le plus dépassé, de toute l’histoire de la Grande Bretagne. Décrétée par un acte du parlement en 1972, elle a finalement été inaugurée en 1997, ayant coûté trois fois plus qu’envisagé au départ, et avec 20.000 défauts de conception identifiés, l’un d’entre eux étant qu’il n’y avait pas assez de place pour les livres (toute similitude avec une certaine bibliothèque à Paris est tout à fait fortuite, NdT).
On n’y échappe pas : l’État ne s’en sort pas très bien pour gérer les choses. Il n’était pas très bon pour fabriquer des voitures, faire fonctionner des compagnies aériennes, ou installer des téléphones. Pourquoi s’attendre à ce qu’il s’en sorte mieux pour faire tourner des bibliothèques ?
Mon vieil ami Dan Hind, qui est devenu un écrivain à succès, est énervé parce que le gouvernement coupe le budget de la British Library de 15% sur quatre ans. Comme de nombreux auteurs, il en est arrivé à regarder ses salles de lectures (qui, pour être honnête, sont bien plus belles que le massif extérieur) comme son bureau personnel. Il trouve le personnel patient et aimable, et – c’est bien naturel – il apprécie de pouvoir user de l’endroit sans payer. Le fil de commentaires qui suit son article est glorieux à lire : les Tories sont tous des philisitins, la droite a toujours haï les livres, bla bla bla.
Mais la question n’est pas qui est le plus bibliophile. Elle n’est pas non plus de savoir si la British Library est en mesure de continuer à remplir son rôle de bibliothèque de dépôt légal tout en faisant des coupes dans d’autres parties de son budget. Ni d’exempter telle ou telle partie du secteur public alors que l’ensemble du pays est forcé de faire des économies. Et pas plus de savoir si quelqu’un qui a commencé à travailler à 16 ans devrait être obligé de payer une taxe pour subventionner des étudiants en premier cycle qui déambulent dans les salles de lecture de la British Library. La question, c’est la nationalisation de la culture.
« Pour autant qu’il existe une chose que l’on peut appeler la civilisation britannique, » écrit Dan Hind, « on peut la trouver dans les bibliothèques. » Même si cela est vrai, pourquoi ces bibliothèques devraient-elles être gérées par l’État ? Notre civilisation ne réside-t-elle pas tout autant dans les bibliothèques de nos propres maisons particulières ? Notre corpus littéraire n’a-t-il pas crû en premier lieu sans financement étatique ? La réserve de manuscrits de la British Library elle-même, n’a-t-elle pas commencé dans la vie comme une série de collections privées ?
Ce à quoi j’essaie d’en venir, c’est à l’erreur catégorielle qu’on rencontre si souvent à gauche, à savoir que si vous être contre les trains opérés par l’État, vous êtes contre les trains, si vous êtes contre les hôpitaux opérés par l’État, vous êtes contre les hôpitaux, et ainsi de suite.
La London Library, fondée par un groupe d’intellectuels victoriens insatisfaits de la façon dont la British Library était gérée, est une institution merveilleuse, qui tourne sans la moindre subvention étatique. J’aurais cru qu’on pouvait encore l’admirer sans être ni anti-livres, ni anti-civilisation.
Repris du blog de Daniel Hannan hébergé par le Telegraph avec son aimable autorisation.