Par Eric Poindron - BSCNEWS.FR / Charlos Nodier : Le bel amateur. Même si la collection s’intitule « les Inattendus », L’Amateur de livre de Charles Nodier est une édition - agrémenté de textes rares et dispersés - de toute première importance que chacun aura plaisir à glisser de nouveau dans sa bibliothèque auprès des éditions plus anciennes.
Charles Nodier, qui fut tout à la fois conservateur de l'Arsenal, polygraphe, spécialiste des sociétés secrètes, ami de Nerval, de Hugo et protecteur de la génération romantique, déclare ici l’affection et l’obsession qu’il porte à la bel ouvrage imprimé : « L’amateur est un type qu'il est important de saisir, car tout présage qu'il va bientôt s'effacer. Le livre imprimé n'existe que depuis quatre cents ans tout au plus, et il s'accumule déjà sans certains pays de manière à mettre en péril le vieil équilibre du globe (...) A considérer l'amateur de livre comme une espèce qui se subdivise en nombreuses variétés, le premier rang de cette ingénieuse et capricieuse famille est dû au bibliophile. »
Au fil des pages, c’est un bibliomane, ou un « fou des livres » qui lève le voile sur d’autres bibliomanes, auteurs bizarres ou inclassables de manière étonnantes et drôles. L’objet élégant, à la typographie soigné, rend hommages à tous ceux qui sont ivres de livres et de lecture.
L’Amateur de livres, précédé du Bibliomane, de bibliographie des fous et De la monomanie réflective, de Charles Nodier. Edition présentée par Jean-Luc Steinmetz (éditions Le Castor astral, collection « les inattendus »)
PASCAL BOUCHET , PROFESSEUR « ES MOTS »
« Savoir comment et pourquoi dans cette infime partie du monde, toutes les communications s’étaient interrompues, et presque toute vie disparue… »
Magnifique défi lancé à Maxime Phébus, explorateur qui n’est pas sans nous rappeler l’extravagant professeur Lidenbrock du Voyage au centre de la terre de Jules Verne, ou encore le fantasque baron de Münchhausen. Hélas, le plan de la cité disparue de Sémiopolis se révèle une chausse-trappe où chutent, à qui mieux-mieux dans le ridicule, les professeurs pédants et pseudo-savants qui accompagnent Maxime Phébus dans sa quête. […] Pascal Bouchet, artiste et polygraphe, utilise un fatras de trouvailles humoristiques qui mettent en relation les mots et les images. Ces éléments iconographiques et linguistiques mis bout à bout d’une manière faussement approximative, dessinent une fiction au pays du langage, des lettres, des mots et des figures de style. Le livre est aussi un bel objet savamment illustrée qui trouvera belle place dans les bibliothèques des honnêtes hommes.
Rue du Palindrome, de Pascal Bouchet, Polygraphie (éditions du petit véhicule Collection « Les Confins »)
DU CÔTÉ DE CHEZ HUYSMANS
Joris-Karl Huysmans (1848-1907) est un écrivain trop méconnu et pourtant majeur. L’auteur de Là-Bas, de En route, ou de La Cathédrale compte quelque milliers de fidèles qui lui vouent un véritable culte.
Et pourtant, l’existence du personnage dépasse peut-être son œuvre. Chaque fois qu’on croit le connaître, il nous échappe. Huysmans et un homme complet et complexe : tour à tour romancier naturaliste, fin connaisseur de Paris, esthète et amateur des « avant-gardes », critique d’art au goût sûr, esprit « fin de siècle » par excellence, mystique et reclus à la fin de sa vie, préférant la fréquentation des monastères aux cénacles littéraires. C’est l’auteur en personne qui déclara être un « forçat de la vie », à savoir un écrivain pétri d’absolu, de doutes et de liberté, s’interrogeant sans cesse sur la condition de l’homme et son oscillation entre le bien et le mal. Ce qui n’aurait pu être qu’une biographie supplémentaire, copieuse et mené de façon universitaire, se révèle être un coup de maître, à la lecture vivante et aux allures de roman. Patrick Locmant promène son personnage dans un Paris vivant et une époque bien agitée. Nous faisons connaissance avec des Esseintes, le anti-heros du roman A Rebours, nous croisons l’abbé Munier, confident de Huysmans et auteur d’un caprivant journal littéraire (édité au mercure de France), nous prenons place à l’académie Goncourt ou suivons l’écrivain qui arpente en piéton inspiré les tristes quartiers de la Bièvre ou les beaux alentours de Saint-Sulpice. Des Esseintes, le anti-heros du roman A Rebours,
Le portrait de Huysmans est lumineux et son biographe parvient sans peine à explorer ses parts d’ombre : sa foi et ses crises, sa sexualité confuse, son exigence viscérale de l’écriture. Celui qui disait hésiter entre la cellule monacale et la corde fut avant tout un immense écrivain. Il faut le rappeler, les romans de Huysmans sont tous – ou presque – des chefs-d’œuvre qui ont enchanté, fasciné et interrogé des générations de lecteurs – à commencer par Là-bas, le roman du mal, des messes noires et du satanisme.
Rarement biographie aura donné envie de découvrir, et de lire, un tel écrivain.
Le Forçat de la vie, J. K. Huysmans , de Patrice Locmant (éditions Bartillat)
PATACHON
La vie de patachon est peut-être un mode de vie, mais c’est aussi un état d’esprit et le titre d’un livre rare et dévastateur qui célèbre, à l’image de Pierre de Régnier, son auteur, « la noce » et l’humeur des Années folles. Pierre de Régnier, écrivain méconnu – et il fit tout pour le rester – est ce que l’on appellerait aujourd’hui un « fils de » : petit-fils de José-Maria de Heredia, poète reconnu et célébré, fils de Marie de Régnier – qui publia sous le pseudonyme de Gérard d’Houville et fut l’une des grandes figures des lettres françaises et des cancans littéraires – et de Henri de Régnier, écrivain délicat et à la mode. Pourtant, son véritable géniteur fut le trublion Pierre Louÿs avec qui Marie entretint longtemps une relation, mélange de fantaisie érotique et de frasque. Pierre de Régnier avait tout pour devenir un homme de plume, et peut-être un peu trop… La Vie de patachon est un roman plus qu’en partie autobiographique qui raconte les exploits – souvent alcoolisés – de jeunes noctambules dans un Paris en fête. Emma Patachon est une demi-mondaine qui s’entoure de jeunes admirateurs et les invite à célébrer les plaisirs décriés : opium, cocaïne, whisky ou calva de fin de nuit. Les réveillons sont endiablés et les chauffeurs de taxi ramènent à l’aube les noceurs désemparés. « Puisqu’il est à la mode d’écrire des “Vies” et que tous les gens qui les écrivent choisissent de préférence des personnages morts, et morts depuis longtemps, ce qui fait que tout contrôle devient presque impossible, je ne vois pas pourquoi, moi qui connus Patachon, et qui ai, si j’ose dire, mené sa vie, je ne la relaterais pas dans les plus importants de ses détails, à seule fin d’en documenter mes contemporains. »
Derrière le roman aux allures de « scènes de la vie de mondaine », c’est une véritable autobiographie que Pierre de Régnier propose au lecteur. Il y a des larmes dans les verres, des mauvaises humeurs et de tristes réveils derrière la fête.
La noctambulie n’est plus ce qu’elle était…
La Vie de Patachon, de Pierre de Régnier, préface d’Édouard Baer (Le Castor Astral, collécition « Les Inattendus »)
L’ENCYCLOPÉDIE DU CANNABIS
C’est une évidence, mais cela va mieux en le disant : ce livre n’a en aucun cas pour but de faire l’apologie du cannabis. Il a seulement la modeste prétention de réunir en un même volume tout ce que cette plante réunit de faits culturels, historiques et sociaux. Des miscellanées cannabiques en somme. Puisse le lecteur y trouver de quoi étancher sa curiosité. Cette plante millénaire a en effet fasciné, et fascine encore, de François Rabelais à Bernard Kouchner, de nombreux amateurs.
Ce livre n’a pas pour objet de présenter le cannabis et le chanvre sous un jour favorable. Il a seulement pour ambition de parler, de façon décomplexée, d’un sujet qui occupe souvent les conversations, qui suscite des débats, qui concerne de nombreux usagers, en un mot un sujet de société. Et, pour ceux qui aiment les beaux livres, il fallait que l’objet-livre soit à la hauteur du sujet ; c’est pourquoi l’éditeur a pris le parti de faire un livre élégant, à la façon des manuels de civilité du siècle dernier, et nul ne saurait voir dans l’élégance le prosélytisme...
En somme, il s’agit d’un livre sur le cannabis, comme il aurait pu s’agir d’un livre sur le vin, le LSD ou le sexe. Un livre essayant d’envisager cette plante sous toutes ses formes, sans parti pris, sans ambages, ni fioritures. Proposer une encyclopédie, avec ce qu’il faut de sérieux et de ludique. Cependant, avant d’entrer dans le vif du sujet, il est utile de rappeler que consommer, détenir, acheter, importer, produire et vendre du cannabis est interdit par la loi. Comme l’alcool, le cannabis est une substance qui agit sur l’état d’esprit, mais ne résout aucun problème. Le mieux est donc de s’abstenir ou, si vous êtes consommateur, de fumer avec modération.
Petite encyclopédie du cannabis, de Nicolas Millet, (Le Castor Astral, collection « Curiosa & cætera)
GRANDS DÉTECTIVES & LITTÉRATURE MACABRE
Voilà plusieurs semaines que je me promets d'évoquer la collection "Grands Détectives" des éditions 10-18 et que, atteint deprocrastination, je ne tiens guère mes engagements. Si j'évoque souvent le valeureux Fabrice Bourland (*) et ses « détectives de l'étrange » - Andrew Singleton et James Trelawney -, j'ai lu, ces derniers mois, beaucoup d'autres titres de la collection qui me semblent être de saines lectures pour qui aime le sang épanché, les violences sournoises et les véritables frissons. Dernière lecture en date, Projections Macabres, de Brigitte Aubert, dont j'avais aussi fort apprécié Le Miroir des ombres, relatant les enquêtes de Louis Denfert, un proche cousin de Rouletabille, dans une France et une Europe très fin de siècle. La naissance du cinématographe (**) - et des ses inventions contemporaines et concurrentes - fait aussi tout le suc des ces livres populaires et érudits. On y croise à la lueur d'une lanterne magique Loïe Fuller, Octave Mirbeau ou Gaston Leroux, à la fois personnage et seconds rôles... Les amateurs du genre apprécieront.
Dans Le Miroir des ombres, Louis Denfert, talenteux et impétueux jeune reporter au Petit Eclaireur, ronge son frein entre chroniques sportives et articles mineurs lorsqu'il est envoyé en reportage à Dijon sur une affaire au parfum de scandale : une honorable gouvernante anglaise a été retrouvée, dans le train de nuit Paris-Marseille, sauvagement égorgée et démembrée. Nous sommes en 1891, quelques années avant l'invention du cinématographe. Ce meurtre aurait-il un lien avec la disparition, un an auparavant, dans le même train, de Louis Aimé Augustin Leprince, un inventeur franco-anglais qui venait de mettre au point un appareil de projection d'images révolutionnaire ? Louis était impatient d'en découdre, il va être servi ! Brigitte Aubert plonge au cœur de la glorieuse épopée des pionniers du cinématographe.
Dans Projections macabres, les cadavres s’amoncellent... En mai 1897, un dramatique incendie ravage le hangar du Bazar de la Charité, qui réunissait pour une vente caritative la fine fleur de la bonne société parisienne. Parmi les invités se trouve Louis Denfert, journaliste du Petit Éclaireur. Lorsqu’il découvre dans les décombres fumants le corps brûlé d’une jeune femme assassinée, son sang ne fait qu’un tour. Il ne tarde pas à faire le lien avec une autre affaire sur laquelle il enquête au même moment. De Paris à Aix-les-Bains, dans le luxueux tourbillon cosmopolite de la station thermale la plus en vogue d’Europe, efficacement secondé par ses amis, Emile le boxeur, Albert le médecin légiste et Camille la compagne de Louis, l’infatigable reporter traque le tueur sanguinaire, qui, avec une discrétion et une sauvagerie redoutables, continue son œuvre macabre…
Je n'ai pu m'empêcher de vous faire profiter de ce court paragraphe aux allures d'étranges citations : « Il y a des individus qui ressentent le besoin psychique de marcher. Je dis bien ; psychique. D'après Pitres, on en distingue quatre sortes. Les trimardeurs : ils ne travaillent jamais, marchent inlassablement et commettent parfois des petits larcins. Les ouvriers errants : c'est le travailleur qui va de ville en ville chercher de l'ouvrage, boit sa paie et repart. Les hypocondriaques : ils courent d'hôpital en hôpital pour se faire guérir de leurs maux imaginaires. Et enfin, les aliénés qui marchent sous l'influence de leurs idées délirantes. »
A lire aussi, La danse des illusions, la seconde histoire de Louis Denfert, et le petti dernier Le Secret de l'abbaye toujours chez 10-18.
(*) Les Fantômes de Baker Sreet, Les Portes du sommeil, La Dernière enquête du Chevalier Dupin et Le diable du Crystal Palace
(**) En 1895, rappelons-le.
Dans la même collection, j'avais aussi été tout a fait ébloui par les derniers romans de Boris Akounine, L'Amant de la mort et La Maîtresse de la mort, comptant les aventures du prince Eraste Fandorine et de son zélé serviteur - et guerrier - japonais dans la Russie encore tsariste de 1900. Intrigue formidable dans les bas fonds de Moscou entre pègre et Spiritisme. Le style de Boris Akounine est flamboyant. Deux livres admirables !
Je me suis aussi régalé - c'est le verbe ! - avec Le Cuisinier de Talleyrand, de Jean-Christophe Duchon-Doris où, lors du Congrès de Vienne, en 1814, le chef Antonin Carême, « le Palladio de la cuisine» - qui fascinait les architectes par ses constructions extravagantes et subtiles - tient les premiers rôles. Napoléon est vaincu et les puissances européennes vont décider de l'avenir de l'Empire. Mais un meurtre effroyable va contrarier le congrès et les tentatives diplomatiques. Heureusement, l'inspecteur Vladeski n'est pas loin. Jean-Christophe Duchon-Doris fait assurément partie des héritiers d'Alexandre Dumas. Le père, le grand !
« ... j'eusse cessé d'être pâtissier, si je m'étais aveuglément abandonné à mon goût naturel pour le genre pittoresque, tel que je le conçois pour l'embellissement des parcs des princes et des jardins particuliers »
Enfin, il ne faut pas vous priver de Le diable de Glasgow de Gilles Bornais - une enquête effroyable de l'inspecteur Joe Hackney de Scotland Yard entre l'East en de Londres et les Higlands - , et La Chambre mortuaire de Jean-Luc Bizien. Étrange personnage que le docteur Simon Bloomberg ! Dans son hôtel particulier de la rue Mazarine à la façade presque aveugle, conçu comme une pyramide égyptienne, cet aliéniste au regard pénétrant et à la réputation sulfureuse traite ses patients selon des méthodes avant-gardistes qui font scandale. Lorsque la jeune Anglaise Sarah Englewood entre à son service, elle tombe immédiatement sous le charme de ce scientifique hors du commun, fascinée par le mystère qui l’entoure. Pourquoi ne voit-on jamais sa femme, une archéologue de renom dont les trouvailles encombrent chaque recoin de la maison ? Et pourquoi une des pièces est-elle interdite d’accès ? Tandis qu’une série de meurtres inexpliqués défraient la chronique parisienne, une relation trouble se noue entre l’intrépide Anglaise et l’ombrageux médecin… Occultisme et suspense à toutes les pages, ou presque...
Lecteurs, J’arrête ici de défendre la cause de tous ces détectives. C’est à vous désormais de vous munir d’une loupe, de prendre le chemin du libraire et de l’aventure avec « les Grand Détectives » !