2010 s'achève... 2011 ne saurait tarder.
Avant une petite rétrospective, je tenais à faire un dernier billet politique
millésime 2010
sur les deux thèmes qui me tiennent à cœur pour notre
République : l'engagement en politique et la laïcité. L'engagement en
politique, le véritable, au service de l'autre, de tous les autres ; la
Laïcité, pas celle des anti-cléricaux et des amalgames, mais celle du respect
des croyances de chacun et de la neutralité de l'Etat pour tous.
En effet, le 9 décembre dernier se tenait le dîner de la République, rassemblement à l'initiative du Parti Radical pour fêter le 95ème anniversaire de la Loi sur la Laïcité.
A cette occasion Jean-Louis Borloo, Président du Parti Radical, a fait un discours dont je vous livre la teneur :
Il est rare de célébrer une loi. Plus rare encore de le faire avec des
hommes et des femmes que rien ne semble rapprocher. Rien, sinon
l'essentiel.
Ceux qui croient au Ciel et ceux qui n'y croient pas, ceux que les convictions
ont placés à des points opposés de l'échiquier politique, ceux qui s'engagent
dans les syndicats, les entreprises, les associations et tous les mouvements
qui font la vitalité de la société civile, militants politiques, militants des
droits humains, militants écologistes, intellectuels, chacun d'entre
vous : nous sommes là pour fêter une des plus grandes lois de notre
République, la loi du 9 décembre 1905, dite loi de Séparation de l'Église et de
l'État, tout sauf une loi de rupture, de rejet mutuel ou réciproque.
La loi de 1905 est, d'abord et avant tout, une loi de pacification, une
grande loi de réconciliation nationale et humaine. Une loi de réconciliation
entre deux France : réconciliation entre la France des villes, de
l'industrialisation massive et de l'exode rural, et la France des campagnes,
attachée à ses racines et à ses traditions ; réconciliation entre la
France de la transmission et la France de la progression sociale ; entre
une France ouverte sur l'extérieur et une France repliée, voire pétrifiée face
à la modernité. Une loi qui intervient à un moment où l'on sent bien que le
conflit est proche, la violence aux aguets, la guerre civile latente :
c'est en 1903 le rejet systématique de toutes les autorisations de
congrégations masculines ; en 1904, l'interdiction de l'enseignement aux
congrégations ; la rupture des relations diplomatiques entre la France et
le Vatican ; la volonté de certains responsables politiques de soumettre
l'Église directement au contrôle de l'État et les appels lancés par les ultras
à la désobéissance civile, à l'insoumission voire à l'insurrection contre la
République.
Une loi simple, concise, efficace, qui crée la plus belle et la plus grande des
exceptions françaises : la laïcité. Une laïcité qui ne juge pas, ne
condamne pas, ni ne rejette. Une laïcité qui est à la fois un poing serré et
une main tendue, une limite et une ouverture, une mise en garde et une
invitation. Une laïcité d'autant plus précautionneuse qu'elle est le fruit de
nos doutes, de nos déchirements, de nos renoncements et de nos aveuglements.
Une laïcité d'autant plus précieuse qu'elle est le fruit du génie des Lumières
et de la philosophie européenne et méditerranéenne. Une laïcité d'autant plus
orgueilleuse qu'elle a su devenir le supplément d'âme d'une nation,
profondément marquée par mille ans de catholicisme. Une laïcité d'autant plus
glorieuse qu'elle est, sans nul doute, le plus bel hommage rendu par la raison
humaine aux religions, en ce qu'elle place la liberté au cœur de la foi.
Mes chers amis,
Ce que nous célébrons aujourd'hui, ce n'est pas un raccommodage de façade,
aussi talentueux soit-il, mais un véritable traité de paix, qui est venu clore
quatorze siècles d'histoire, deux siècles de malentendus et vingt-cinq ans de
conflits larvés.
Par cette loi, la France est passée du statut de « soldat de Dieu » à
celui de « soldat de l'Humanité et de l'Idéal », disait Georges
Clemenceau. Aristide Briand, le rapporteur de la loi, eut cette formule :
« Je ne veux pas que cette loi soit braquée sur l'Église comme un
revolver. » Il modère les ardeurs anticléricales. Il noue le dialogue avec
les catholiques. Il parvient à faire voter aux uns comme aux autres un même
texte, fruit d'un compromis acceptable.
Oui, la politique, c'est la voie du dialogue, du dialoguo profondi, la voie du
consensus, la voie du compromis et la voie de la modération, qui n'est pas de
la faiblesse. C'est parce qu'Aristide Briand a choisi l'écoute, le dialogue, le
respect, l'action que la loi de 1905 n'a pas été la curiosité politique d'une
saison, mais qu'elle a traversé le temps pour venir jusqu'à nous.
Rien de grand ne peut se faire, rien qui dure ne peut se construire, qui ne
soit fondé sur l'écoute, le dialogue et l'action.
Cette loi incarne peut-être, à elle seule, la République, notre bien commun.
Cette loi mérite d'être fêtée. Mais elle nous invite aussi à faire le point sur
la laïcité aujourd'hui. Aujourd'hui, la laïcité n'est plus une laïcité de
combat. Plus personne ne songe sérieusement à restreindre la place des Églises
dans notre société. On en vient même à regretter qu'elles soient trop souvent
absentes des débats publics, tant elles pourraient y apporter un surcroît de
valeur et de sens.
La laïcité n'est plus une laïcité de combat. Mais il existe des combats que
nous devons livrer aujourd'hui pour la laïcité. Oui, elle est parfois
menacée.
Menacée par ces formes nouvelles que sont le communautarisme et l'intégrisme.
N'avons-nous pas un doute lorsque l'on privatise, pour des motifs religieux,
des piscines dans certaines de nos villes ? Ou lorsque des rues entières
sont accaparées par des hommes en prière ? Menacée lorsque, dans nos
écoles, le professeur d'histoire ne peut plus évoquer la Shoah sans subir des
assauts de critiques et d'insultes. Menacée lorsque le professeur de sciences
naturelles doit remballer Darwin et la théorie de l'évolution, parce que l'un
ou l'autre de ses élèves apprend le créationnisme à la maison. Menacée lorsque
nous manquons de vigilance sur les mariages forcés, le silence qui les entoure
et l'injure faite à la dignité des femmes. Menacée lorsque nous sommes faibles
face à l'intolérable polygamie. Menacée enfin lorsque, dans nos hôpitaux, des
hommes ne peuvent pas prodiguer de soins médicaux à une femme. Ce n'est pas
rendre service à l'immense majorité des croyants que de laisser les intégristes
gagner pas à pas du terrain. Face à eux, aucun accommodement n'est possible.
Aucun accommodement n'est raisonnable. Oui, la laïcité est à l'ordre du jour. À
nous d'en parler, à nous de la faire vivre. Avec respect, fermeté,
intransigeance et humanité. Faisons-la vivre plus concrètement encore dans nos
villes, dans nos quartiers, dans nos entreprises, dans nos organisations
syndicales, dans nos familles, dans nos cercles d'amis. Et je voudrais dire à
toutes les associations qui luttent contre toutes les formes de racisme, pour
l'égalité et pour la laïcité, notre très grande gratitude. Je voudrais surtout
leur dire : vous n'êtes pas seuls ! Non, vous n'êtes pas seuls !
Toute la société, toute la République, est avec vous.
En vous conviant ce soir au Dîner de la République, je me disais :
notre République n'est-elle pas devenue une évidence, une habitude, un
environnement juridique et institutionnel, un mécanisme comptable de
redistribution des chances et des richesses, une organisation territoriale plus
ou moins aboutie, un simple régime politique, une organisation humaine comme
une autre, sans profondeur ni relief ?
La République ne doit-elle pas, au contraire, devenir à nouveau le sujet
politique majeur ?
Ne devons-nous pas avec précision, application, en profondeur, adapter,
c'est-à-dire refonder le pacte républicain, voir où nous en sommes en réalité,
à un moment où jamais, dans l'histoire du monde, des mutations aussi profondes
ne se seront produites dans un laps de temps aussi restreint ?
En l'espace de quelques décennies, nous sommes passés du monde de la deuxième
révolution industrielle à un monde qui doit répondre à des défis
nouveaux : la croissance verte et les ressources naturelles finies, la
mondialisation des opérations, la révolution de l'information, la confrontation
entre le droit local et des pratiques mondialisées, les évolutions
technologiques, comme les nanotechnologies, la mutation des énergies, la
mutation des flux migratoires, l'interconnexion des modèles économiques,
l'allongement de la durée de la vie.
Le temps s'accélère. Les mutations se précipitent. Le monde se métamorphose
sous nos yeux. Les situations sont nouvelles, totalement inédites, mais nous
pensons parfois encore comme des hommes du XIXe siècle.
Nous devons refonder le pacte républicain à l'aune des grandes mutations du monde et notre pays. La crise de 2008 n'est pas une simple crise de la technique bancaire. Il est faux d'imaginer que cela repartira comme avant. Car la crise est plus profonde. C'est la crise de la compétitivité de l'Occident, de notre modèle de production et de surconsommation. Ce sont ces crises, multiples et stratifiées, qui ont conduit toutes nos économies occidentales aux déficits cumulés des familles, des collectivités, des États, comme des ressources naturelles et halieutiques. C'est donc une crise de nos valeurs et de nos représentations. C'est une crise du sens, que nous vivons aujourd'hui. Une crise profonde de la conscience occidentale.
Alors, face à ces mutations, la République est-elle en danger ? Ou
reste-t-elle, au contraire, notre seule grille de lecture et notre pacte
fondamental ? La République est-elle un héritage du passé ? Ou un
projet, un chemin, un espoir ? Regardons tranquillement, sans
complaisance, sans accuser personne. Est-ce encore la République quand on
s'habitue à tant d'écarts entre les communes pauvres et les communes riches
?
Est-ce la République, quand on fait reposer sur nos enfants et les générations
qui viennent nos propres dettes financières et écologiques ? Et cet
héritage-là, ils ne pourront pas y renoncer...
Est-ce la République, quand on laisse la fiscalité aux seuls techniciens ?
Fiscalité fondée au XIXe siècle sur les stocks et les hommes, alors que nous
vivons dans un monde des flux. Ne devons-nous pas revenir aux
fondamentaux ? L'impôt, c'est l'effort consenti par chacun en fonction de
ses capacités pour assumer des investissements collectifs. Dès lors, le concept
même de niche fiscale n'est-il pas, pour l'essentiel, étranger à la conception
républicaine de la fiscalité ? Étranger aussi, parce qu'opaque et
injuste ? En République, l'impôt c'est la justice, la solidarité, la
clarté, la transparence.
Est-ce encore la République, quand on a, de fait, dans nos villes, des écoles
de riches et des écoles de pauvres ?
Est-ce la République, quand 150 000 jeunes sortent tous les ans sans
qualification, malgré l'engagement, le dévouement et la compétence des acteurs
de la formation : enseignants, chambres consulaires, professions, régions,
Education Nationale ? Qui ne voit pas qu'il y a là un problème de pilotage
global de la qualification de tous les Français ? Oui, je crois que si
nous regardons tranquillement, toutes sensibilités confondues, les grands
sujets qui sont devant nous aujourd'hui, si on les évalue au regard de la
devise de la République, alors je pense que nous aurons à procéder à bien des
remises en cause... Les mutations rapides exigent des ajustements extrêmement
rapides. C'est normal qu'il y ait des dysfonctionnements. Ce qui n'est pas
normal, c'est de nous habituer à ne plus regarder assez notre société à l'aune
du pacte républicain. Ce qui n'est pas normal, c'est de nous habituer à ne plus
placer systématiquement la République au cœur de toute chose. La République
doit redevenir une question politique, une idée neuve. Elle doit redevenir le
filtre à travers lequel nous regardons tous les grands enjeux. La République,
c'est le mérite, c'est l'excellence, c'est l'effort. C'est l'espoir de s'en
sortir, de s'émanciper de sa condition sociale comme de ses origines. La
République, c'est une conquête, un combat de l'homme sur les forces qui le
minent.
Nous nous posons beaucoup de questions sur la France et sur la République. Mais
nous ne sommes pas seuls dans une forme de désarroi. Regardez nos voisins
européens. On nous vantait, il y a encore peu, le multiculturalisme à
l'allemande. La chancelière a annoncé, il y a quelques semaines, la fin du
Multikulti. La Belgique se cherche. Et nos amis Anglais s'inquiètent que la loi
commune s'efface progressivement devant la loi particulière des communautés.
Tous se posent la question du modèle d'intégration et de citoyenneté.
Et si c'était notre vieux modèle républicain qui était, pour nous,
l'avenir ? Renan l'écrivait à sa façon : « Il faut parfois se
résoudre à paraître démodé pour avoir raison de son temps. »
Il ne s'agit pas de revenir en arrière, ni même d'affirmer que le modèle
français est meilleur qu'un autre. Il s'agit simplement de faire face aux défis
qui se présentent à nous et de nous montrer à la hauteur des hommes qui nous
ont précédés. À la hauteur de Ferry, de Clemenceau, de Gambetta, qui ont eu
l'audace d'instituer la République dans des circonstances aussi difficiles que
celles qui sont les nôtres aujourd'hui. À la hauteur de Jean Moulin, du général
de Gaulle et du Conseil national de la Résistance, qui, aux pires heures de
notre histoire, fondèrent sur des bases nouvelles et dans des circonstances
inédites une République plus fraternelle et plus sociale.
La République est une chose fragile. On l'a vu souvent disparaître et renaître
au cours de notre histoire : 1848, 1875, 1905, 1945, 1958 sont autant de
dates où il a fallu la rebâtir de fond en comble. Oui, la République est une
chose fragile. Le cours naturel du monde nous incline à l'individualisme, au
repli sur nous-mêmes et sur nos communautés. Oubliez la République : vous
aurez gagné des tribus, vous aurez perdu des citoyens ! La République
demande à chacun d'entre nous de se surpasser. Elle nous demande de mettre de
côté nos origines, nos appartenances. Elle réclame des efforts. Elle ne paie
que le mérite. Pour qu'elle vive aujourd'hui, il faut toujours plus s'appuyer
sur des femmes et des hommes qui, comme vous, dans tous les secteurs de la
société, sont résolus à la faire vivre et à en porter les valeurs. Pour qu'elle
vive aujourd'hui, il nous faut conduire une œuvre immense de renouvellement et
de refondation.
Mesdames et Messieurs,
J'ai longtemps rêvé ce moment. Et je l'ai aussi redouté. Et, ce soir, je suis
profondément ému. Emu de vous voir, de voir chacun d'entre vous. Emu par les
lettres, les appels téléphoniques que j'ai reçus de ceux qui souhaitaient être
parmi nous : le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, le
recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, Jean-Pierre Raffarin et plus
de mille personnes qui n'ont pas pu trouver de place à ce dîner.
Emu comme je l'ai été à Valenciennes, il y a plus de vingt ans, lorsque j'ai
compris, tout d'un coup, que je n'avais pas conquis une ville, mais qu'une
population désespérée m'avait ouvert son coeur et m'avait dit : « On
te fait confiance ! »
J'ai compris que le prix de l'honneur et le prix de la confiance étaient de
tout quitter, de tout laisser derrière moi, pour Valenciennes. Quitter mes
attaches, mon confort personnel, la prospérité professionnelle que j'avais mis
quinze ans à bâtir. Sur la table de jeu, c'était moi la mise – seule façon
d'honorer complètement la confiance que les Valenciennois m'avaient accordée.
Je n'ai jamais regretté. Ça ne m'a jamais pesé, bien au contraire. Je suis
aujourd'hui plus fort de l'honneur d'avoir servi.
Le Valenciennois était alors touché par le plus grand drame social et
économique d'Europe : 40 000 licenciements. Aucune famille n'était
épargnée. 26 % de chômage avait tout ravagé, jusqu'à l'espoir de s'en sortir,
jusqu'à l'espoir de pouvoir donner un jour un avenir à ses enfants. Ce gâchis
humain, économique, social, moral, ce gâchis terrible m'était insupportable. Je
n'avais aucune solution toute faite, aucune compétence particulière. Je n'avais
qu'un moteur : honorer cette confiance. Je n'avais qu'une
conviction : la fatalité n'existe pas.
Une solution était possible : elle appartenait aux 350 000 Valenciennois.
Forcément, une solution était devant nous si nous bousculions les façons de
penser et d'agir, si nous dépassions les clivages et fédérions toutes les
énergies.
J'ai douté. J'ai douté des mois, des années peut-être. Car le chemin du
redressement est toujours un chemin difficile.
J'ai compris que l'élu du peuple n'était pas un décideur isolé, mais le tiers
de confiance entre les entrepreneurs, les employés, les syndicats, les
commerçants, les artisans, les agriculteurs, les fonctionnaires de toutes les
fonctions publiques, les propriétaires, les universitaires, les étudiants, les
associations, toutes les associations : bref, toute la société ! Je
me souviens du jour où ce sont les agriculteurs qui sont venus épauler
l'industrie, en nous offrant leurs plus belles terres, des milliers d'hectares,
pour implanter des usines, car elles étaient au bord du canal, reliées au
ferroviaire et longées par l'autoroute. Et cela, ça s'appelle la fraternité, ça
s'appelle la République.
L'élu du peuple, c'est celui qui unit et qui fédère, celui qui rassemble. Celui qui, dans le travail, ne regarde plus les appartenances partisanes, et agit, avec chacun et chacune en confiance, dans le respect de la différence.
Vous le savez : je porte les quartiers de France dans mon coeur. Nos
quartiers, je les connais tous. Ou presque. Je les ai arpentés. Je les ai
ressentis. Je les aime. Pour moi, ce sont des visages en attente de République.
Le Neuhof, la Duchère, Vaux-en-Velin, le Chemin-Vert à Boulogne, le
Haut-du-Lièvre à Nancy, le quartier Wilson et le quartier Kennedy ! Des
bâtiments délabrés voire explosés, des conditions de vie indignes, des
situations inextricables où chacun se renvoyait la faute : les Villes, les
offices HLM, les bailleurs sociaux, les Conseils généraux, l'État.
Et, pourtant, ce sont 500 bouts de la République, cinq millions de nos
compatriotes ! L'inaction et le fatalisme menaçaient de faire voler en
éclats notre République ! Puisque c'était inacceptable, on ne pouvait pas
l'accepter !
Alors, nous nous sommes mis tous ensemble autour de chacun des quartiers :
les villes, les régions les départements, les syndicats qui gèrent le 1 %, les
associations, les offices et les SA d'HLM (17 parfois dans le même quartier),
les maires de gauche comme de droite. Et nous avons mené une véritable
révolution urbaine, en ouvrant des avenues, cassant des barres, améliorant
l'habitat, créant des crèches, des écoles et des services. Nous avions rompu
avec la fatalité et les conservatismes de tous ordres. Évidemment, beaucoup
reste à faire, mais la rénovation urbaine continue dans un consensus le plus
total ! Mais il faudra faire plus, beaucoup plus. Nous en reparlerons, car
c'est un enjeu républicain crucial. Y a-t-il une méthode ? Oui, peut-être.
Certains le disent. C'est la même méthode que nous avons utilisée pour le plan
de cohésion sociale et pour le Grenelle de l'Environnement. Au fond, le
Grenelle, qu'est-ce d'autre que la réunion de tous les industriels, de tous les
syndicats, des collectivités territoriales, de la société civile, de l'État, du
Parlement, pour faire une mutation en profondeur, pacifique, de notre société
?
De ces expériences et – au final, c'est le sens du Dîner de la République –,
j'ai la très profonde et violente certitude qu'il y a ceux qui croient qu'on
peut changer les choses et ceux qui n'y croient pas.
Il y a ceux qui croient que l'homme peut s'élever dans sa condition et ceux qui
n'y croient pas. Il y a, au fond, les conservateurs et les progressistes.
Entendons-nous bien : les conservateurs et les progressistes, c'est une
fracture qui traverse les lignes politiques et serpente au sein même des partis
et des camps. Ce n'est pas la traditionnelle opposition entre la gauche et la
droite.
Les progressistes sont optimistes. Les conservateurs sont viscéralement
pessimistes et fatalistes. Peut-être qu'au fond le monde tel qu'il est, les
situations telles qu'elles sont, tout ça leur convient bien. S'ils ne veulent
rien changer, c'est qu'ils ne croient pas que l'action publique puisse
améliorer le sort individuel et collectif. Les conservateurs ne croient pas que
la politique soit capable de changer le cours des choses. Ils ne croient pas
que l'homme puisse être maître de son destin.
Le problème, c'est que le monde, lui, n'attend pas. Le monde change. Il évolue.
Il bouge. Il se métamorphose. Il n'est jamais pareil à lui-même. Il vit. Et
cela, que le monde bouge, change, s'anime de mille mouvements et de mille vies,
les conservateurs ne le comprennent pas. Ils ne le comprendront jamais.
Comment ne pas bouger, radicalement, lorsque tout bouge aussi vite ? Oui,
les conservateurs ont l'air raisonnable, sérieux, bien coiffé. Mais en réalité,
ce sont eux qui ne sont pas raisonnables. Ce sont eux qui ne sont pas
professionnels. Car un professionnel s'adapte toujours au progrès et au
mouvement.
Ils se sont trompés en 1875. Ils se sont trompés avant la dernière guerre,
croyant que la motorisation de l'armée était une idée farfelue. Pourquoi penser
le mouvement ? Pourquoi penser le changement ? Notre histoire nous
raconte une opposition continuelle entre les partisans du progrès et les
tenants du conservatisme. Je crois en une société en mouvements, respectueuse
de ses traditions. Je crois au progrès de l'homme et de la société. Je crois
qu'il faut renouer avec l'espoir. Il faut redonner de l'enthousiasme à la
République, à l'exemple des grands républicains : Gambetta, Clemenceau,
Mendès, de Gaulle.
L'adaptation aux grandes mutations et aux nouvelles donnes est notre défi.
Je ne me résous pas au risque du déclassement de la République, de l'égalité
des chances, de l'ascenseur social, de cette fraternité républicaine sans
laquelle la Nation française n'existerait pas. Les mutations exceptionnelles,
par leur forme comme par leur ampleur, sont telles qu'il n'y aura pas de
redressement français et républicain, sans la mobilisation de chacune des
forces vives de notre pays.
Ce que j'appelle la République, autre nom de la force du possible, du progrès,
de la révolution du bon sens, nécessite du temps et de la durée. Du temps, j'en
avais besoin. C'est pour cette raison que, sans drame aucun, sans amertume
aucune, j'ai fait le choix de renoncer à occuper de nouvelles responsabilités
ministérielles. J'ai hésité quelques semaines à retourner exclusivement au
confort de la vie professionnelle. Mais je ne m'y suis pas résolu. Comme il y a
vingt ans. Parce que je me suis retourné sur les années passées. J'ai regardé
ce que j'avais fait. Tout ne me satisfait pas. Loin s'en faut. Mais je sais
maintenant qu'il est possible, avec de l'exigence, de la rigueur, de la
volonté, de la fraternité, du respect de l'autre, de fédérer les forces vives
de la nation sur les sujets vitaux pour la République.
Je ne revendique rien pour moi. J'ai simplement décidé, une nouvelle fois, de
m'engager dans le combat républicain, pour le progrès, la justice, l'égalité,
la fraternité. J'ai retrouvé mon indépendance, ma liberté de pensée et de
parole. Je les utiliserai pleinement. Je veux travailler à rassembler, sur des
projets, tous les républicains, tous les progressistes, tous ceux qui croient
que nous sommes capables de changer.
J'ai tenu ce soir à vous parler librement, heureux que vous ayez répondu à
cette simple invitation. Dîner de la République ? Une invitation
improbable !
Si, comme moi, vous pensez qu'il faut faire de la République une idée neuve,
alors parlons-en et agissons !
Nous avons la République en commun. Une République fraternelle, une République humaine. Notre belle et grande République.
J-L BORLOO Discours du Dîner de la République Paris, 9 décembre 2010