Max | De Carthage à la déchetterie d'Amou

Publié le 29 décembre 2010 par Aragon

Ma grand'tante m'avait dit un jour dans les années soixante que ce tapis qu'elle tenait d'une vieille amie de Tunis, avait été fabriqué dans le faubourg des tisserands de Carthage bien avant 1900...

Ce tapis, des gens s'y sont peut-être aimés dessus, il me plaît à le penser... En tout cas, les pantoufles de ma grand'mère l'ont foulé, un chien y a pissé copieusement, puis dégobillé, il y a bien longtemps, j'y ai fait avec mon frère des empilages étonnants de cubes-châteaux  forts dans les années cinquante, j'y ai dormi, l'ai considéré très sérieusement comme un tapis volant quand j'étais môme et il a décollé, je l'affirme, il a été mon territoire, frontière inexpugnable, impossible à franchir par les adultes,  adulte j'y ai, à nouveau, fait de vraies siestes, indispensables à une bonne santé physique et mentale, j'y ai lu et écrit en position  couchée, mon chat à présent, hélas, le laboure abondamment de ses griffes-rasoirs, il a été battu au grand soleil d'été pour le vider de ses miasmes-poussières, aspiré un milliard de fois, il a été mis au rebut dans un grenier pendant des décennies, il est dans mon salon, il a sûrement encore en lui - c'est scientifiquement prouvable - quelques traces grains de  sable, pollens, incrusté dans ses fibres par le vent du désert  shehili,  il a pris la mer avec ma grand'tante pour arriver en France après la guerre...

Il a servi, on s'est servi de lui, je devrais, raisonnablement l'emmener d'ici peu dans la bouche gourmande d'une benne qui l'attend à la déchetterie d'Amou car l'on me dit qu'il ne ressemble plus à rien, qu'il a fini de vivre mon tapis. Je ne peux m'y résoudre mais le ferai probablement. Ne pas s'attacher à un objet me dit-on encore. Impermanence. Le vent l'emportera...