À sa qualité de brave femme, la mère Suzanne joignait une grande indépendance de caractère. En plein été, quand les punaises pullulaient, que c'en était une désolation, la mère Suzanne tirait son lit dehors et couchait dans la rue. Oui, dans la rue. Tout le village venait la voir. Elle recevait les visites, sans gêne. À la fin, agacée, elle se tournait sur le ventre et ronflait comme chez elle.
Elle poussait la générosité jusqu'à ne rien garder pour elle.
Deux fois par jour, aux mêmes heures, on la voyait errer avec une chaise, sur la route, par le village, hésitante. Quand elle avait trouvé un bon endroit avec un peu d'ombre, elle s'asseyait et tricotait d'un air innocent, très occupée, cinq bonnes minutes. On ne s'expliquait son intention qu'après, quand elle se levait et emportait sa chaise, qui était une chaise percée.
- Moi, je n'ai pas de champ à fumer, disait-elle ; comme ça me servirait pas, je le distribue entre les voisins, également pour ne pas faire de jaloux.
Jules Renard : Les cloportes