Nicolaï Erdman (1902-1970) a écrit cette pièce en 1928. Elle sera presque aussitôt interdite et il faudra attendre 1982 pour qu’elle soit jouée en Union Soviétique. Le théâtre n’a pas uniquement valeur historique. Si on décide de jouer une pièce aujourd’hui, c’est qu’elle a des résonances avec aujourd’hui. Ainsi, la Compagnie Bouche à Bouche, qui affirme une ligne insolente, propose une mise en scène qui montre une certaine actualité du propos de l’auteur.
La « masse populaire » est signifiée par un costume uniforme recouvert d’une sorte de drap qui permettra de découper l’espace pour montrer la chambre, la maison, la rue. Les déplacements se font à petits pas, empêchés par ce costume qui donne aux mouvements un aspect mécanique, non libre. A juste titre, me semble-t-il, cette mise en scène insiste sur la manipulation dont peut être victime celui ou celle qui se marginalise (ou est marginalisé). Le personnage principal, chômeur dont la femme pense qu’il va se suicider, est ainsi sollicité par l’église, l’intelligentsia, les femmes qui, tous, lui demandent de se suicider au nom de leur cause, parce qu’eux-mêmes n’en ont pas le courage. Et, lorsque le « suicidé » refuse de mourir, tous l’accusent de lâcheté !
C’est la société qui est ici montrée du doigt, pas seulement un régime politique. Et le parti-pris de la Compagnie Bouche à Bouche est assez clair à ce propos.
Le spectacle lui-même souffre de certaines longueurs et, peut-être un peu d’incohérences occasionnelles (je ne comprends pas, par exemple, pourquoi le peuple se met à chanter « Viens poupoule »…) mais j’ai beaucoup apprécié l’approche originale et totalement assumée par chaque membre de ce groupe amateur, intergénérationnel, intégrant cinq musiciens, et révélant un bel engagement de la Compagnie dans la vie sociale.
J’ai vu ce spectacle dans une salle du 14e arrondissement de Paris.