Le Tribunal des conflits vient de rendre, ce 13 décembre 2010, une décision relative à la procédure qui oppose, devant le Tribunal de commerce de Paris, les sociétés Green Yellow à la société EDF, en charge de l'obligation d'achat d'électricité solaire. Une décision importante dont la portée pratique est cependant et nécessairement limitée (Je remercie vivement Me Raphaël Lopez de m'avoir alerté et communiqué cette décision).
Vous pouvez télécharger cette décision ici.
Cette décision intéressera surtout les juristes qui suivent attentivement les évolutions, nombreuses, du droit de l'énergie solaire. Sa portée est bien entendu limitée en ce qu'elle est d'abord relative à la compétence du Tribunal de commerce de Paris pour connaître d'une assignation délivrée avant l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.
Depuis l'intervention de cette loi, les contrats d'achat d'électricité solaire sont désormais de droit administratif.
- Surtout, par cette décision, le Tribunal des conflits n'a bien entendu pas statué sur une question de droit importante qui est, non celle de savoir qui du tribunal de commerce ou du tribunal administratif est compétent mais : à quelle date est formé le contrat d'achat d'électricité et est sécurisé le tarif d'achat ?
Cette décision comporte cependant une portée d'ordre politique, dés l'instant où le Tribunal des conflits a entendu formuler une critique assez vive du procédé auquel a eu recours le Gouvernement, au moment de l'élaboration de la loi du 12 juillet 2010 - et de son article 88 - de manière à tenter de faire échec à l'action des sociétés Green Yellow.
Il convient tout d'abord de rappeler que ces sociétés avaient saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une assignation délivrée à l'encontre de la socété EDF et tendant à ce qu'il soit jugé :
- d'une part, que les contrats d'achat d'électricité solaire sont formés à la date de réception, par EDF, de la demande de contrat.
- d'autre part, que les tarifs applicables aux demandes présentées par ces sociétés sont ceux fixés par l'arrêté du 10 juillet 2006.
A la suite de la saisine du Tribunal de commerce, la société EDF a contesté la compétence de ce dernier pour connaître de ce litige au motif principal que le contrat d'achat d'électricité est de droit administratif et relève donc de la compétence du Juge administratif. Le Tribunal des conflits a donc été saisi de la question de savoir :
- d'une part, si le contrat d'achat d'électricité solaire est de droit administratif ou privé.
- d''autre part et par conséquent, si le Tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître des demandes présentées par les sociétés Green Yellow,
On se souvient que, lors des débats préalables au vote de la loi du 12 juillet 2010 portant Engagement national pour l'environnement, le Gouvernement avait présenté et obtenu le vote d'un amendement destiné, d'une part à préciser que les contrats d'achat sont de droit administratif, d'autre part qu'ils sont formés qu'à compter de leur signature :
« Les contrats régis par le présent article sont des contrats administratifs qui ne sont conclus et qui n'engagent les parties qu'à compter de leur signature. Le présent alinéa a un caractère interprétatif. »
C'est bien entendu cette deuxième règle, celle sur laquelle le Tribunal des conflits n'était pas appelé à statuer qui est la plus lourde de conséquences. Aux termes de la loi du 12 juillet 2010, les contrats d'achat ne sont pas formés à compter de la réception par EDF de la demande de contrat d'achat mais à compter de la signature par EDF et le producteur d'électricité. La date à laquelle le tarif d'achat est définitivement sécurisé est donc repoussée dans le temps, ce qui est susceptible de fragiliser d'autant les investissements réalisés.
La nature juridique du contrat d'achat d'électricité solaire. Le Tribunal des conflits juge ici que le contrat d'achat d'électricité conclu entre EDF et un producteur autonome d'électricité solaire est de droit privé dés l'instant où il est conclu entre deux personnes de droit privé dont aucune n'agit pour le compte d'une personne publique.
La compétence du Tribunal de commerce de Paris. Dés l'instant où le Tribunal des conflits qualifie de droit privé ces contrats, il lui appartenait, avant de reconnaître la compétence du Tribunal de commerce de Paris, de statuer sur la portée des dispositions de la loi du 12 juillet 2010.
Le Tribunal des conflits juge ici que les dispositions de cette loi qualifiant lesdits contrats d'achat de droit privé violent l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme en ce qu'elles correspondent à une "ingérence" du pouvoir législatif dans l'administration de la justice. Partant, le Tribunal des conflits annule - en partie - la portée rétroactive de la loi du 12 juillet 2010 en écartant son application au jugement d'un litige noué antérieurement à son entrée en vigueur.
La portée de la décision. Au delà de la question de la compétence du Tribunal de commerce de Paris, il sera bien sûr intéressant d'étudier la portée du raisonnement du Tribunal des conflits, rédigé en termes assez "définitifs", pour les contentieux postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 2010. Il sera également intéressant d'étudier la portée de la précision selon laquelle, il n'était pas nécessaire pour le Tribunal des conflits de "surseoir à statuer en considération d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée devant le Conseil d'Etat relative à l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010".
Sur la formation du contrat d'achat d'électricité. Pour les professionnels, la question principale demeure cependant entière : celle de savoir de savoir à quelle date est formé le contrat d'achat et, plus encore, la date à laquelle le tarif d'achat est définitivement sécurisé.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 2010, le contrat d'achat d'électricité est formé, non à la date de réception de la demande de contrat d'achat par EDF mais à la date de signature dudit contrat par les parties : EDF et producteur.
Certes, le Tribunal des conflits rappelle à bon droit que la société EDF est "tenue de conclure" un contrat d'achat dés lors qu'elle est régulièrement saisie d'une demande. Toutefois, cette obligation de conclure un contrat ne préjuge pas à elle seule du tarif qui sera retenu au sein de ce contrat. Or, c'est bien cette sécurisation du tarif qui est recherchée par les producteurs.
Voilà la question essentielle qu'il reviendra au Tribunal de commerce de Paris de trancher à la suite de l'assignation des sociétés Green Yellow, lesquelles demandent le bénéfice des tarifs fixés par l'arrêté du 10 juillet 2006 : à suivre donc.