« Ô sexe ! Ô joie ! Au diable, les hypocrisies sermonneuses et les pudeurs imbéciles. Le sexe, c’est la vie ! Sinon pourquoi Dieu l’aurait-il inventé ? Pour nous regarder pécher ? Faites l’amour et non la guerre, fredonnaient les joyeux camés en Europe dans les années soixante. Eux, ils l’avaient déjà compris. C’étaient des visionnaires, dans leur genre », pp. 2333 et 234.
Drôles de propos pour ce donneur de leçons qu’est Nelson – le narrateur - qui affirme à qui veut bien l’entendre que son amour pour la belle et inaccessible Josiane est détaché de ces viles pensées. La demoiselle fatale ne laisse personne et surtout pas les hommes du campus universitaire indifférents. Mais cette déesse est bien trop fière pour accepter le baiser du premier venu. Les plus téméraires qui s’y frotteraient de trop près risqueraient en outre de se faire durement rosser par les hommes de mains de ce maudit père fortuné, ancien ministre véreux, qui n’accepte aucunement que le premier minable cancrelat s’octroie des droits sur sa précieuse progéniture. Autant dire que Nelson devra batailler ferme pour la mettre dans son lit ! Dans ces conditions, ses doux poèmes qui parsèment le roman apparaissent comme des armes de séduction bien dérisoires :
« JosianeVecteur luminescent de ma nuit
Guide-moi à travers le ruisseau fougueux de tes épigastres
Au firmament vermeil et saccadé de ton cœur
Douces ténèbres ensoleillées
Veillez sur nos corps et nos esprits
Libres et victorieux des fatalités
S’accumulant à l’horizon », p. 134.
Ce côté fleur bleue n’empêche pas ce joli cœur de Nelson de batailler ferme avec de jolis petits postérieurs de donzelles décidément bien trop excitants ! Que voulez-vous, « les sentiments ne s’installent durablement que lorsque que le physique s’en mêle », p. 203. Avec de telstableaux croustillants, il est difficile au lecteur de ne pas réprimer des sourires d’autant plus que les chroniques amoureuses sont servies par un vocabulaire vernaculaire des plus explicites qu’un glossaire en fin de roman permet de comprendre. Toutefois, impossible de ne pas être interloqué par la condition bien fragile des jeunes femmes sous ses latitudes, cantonnées qu’elles sont à des objets sexuels, jouets de ses messieurs. D’ailleurs pour certaines gamines issues de familles pauvres, point de salut dans le financement de leurs études sans se prêter à la prostitution : être le énième « bureau » d’un fonctionnaire peut compenser une bourse défaillante. Et que dire de mettre la main sur un blanc !
« Je savais bien que je n’aurais pas dû venir. Ainsi, je ne serais pas tombé sur une collégienne qui essayait de jouer la pute pour la première fois de sa vie, sans doute pour faire vivre ses frères et sœurs et payer ses fournitures scolaires. Elle aurait entendu dire par une copine de classe qu’il était facile de tomber sur des fonctionnaires ou des expatriés friqués et se faire ainsi de l’argent. Il devait y en avoir plein comme elle, ici dans ce night-club, et d’autres milliers dans ce pays. Elle plongeait dans le vice par nécessité et s’y installerait pour longtemps jusqu’à se convaincre que c’était l’ultime façon de s’en sortir », pp. 319 et 320.
Et qu’en est-il du troisième larron, Malcom, qui partage la chambrée, me demanderiez-vous ? Aussi obsédé que ses compères ? Pas du tout ! De telles pérégrinations sexuelles ne sont pour lui, l’intellectuel en maîtrise de droit, que gamineries stupides éloignant la jeunesse des sujets essentiels à tout africain se respectant, le panafricanisme, le marxisme et… la haine des Libanais ! Malcom est à lui tout seul l’incarnation de cette partie de la population, minoritaire bien heureusement, qui abhorre cette communauté bien implantée dans l’économie du pays. Les raisons d’une telle horreur ? Chez lui, mystère. Mais cette haine devient de plus en plus suspecte à Nelson dès lors que sont commis des attentats meurtriers à l’encontre des Libanais ; des attaques revendiquées par un mystérieux groupuscule nationaliste, le Calice noir, et commises à des moments où Malcom est étrangement absent et inaccessible sur son portable. Qui plus est, comment se fait-il que celui-ci abandonne ses cours, lui qui travaillait avec tant d’assiduité ? Jérome Nouhouaï insiste ici sur une composante malheureuse de la société béninoise, le racisme ; haine raciale qui ne frappe pas seulement les libanais appelés communément yovos clou (blancs de seconde catégorie), mais aussi les Chinois, les gens du Nord, sans oublier bien sûr les Ibos : « Heureusement que Dieu nous a envoyé les Ibos dans le pays que nous pouvons accuser à loisir et aussi souvent que nous voulons ! », p. 75.
Avec un style simple servi par des phrases courtes et dans un cadre souvent distrayant, l’écrivain pointe du doigt fort habilement une société béninoise malade de ses ressentiments porteurs d’avilissements ; la pauvreté se faisant ici amplificateur de ces vils états. Le piment des plus beaux jours n’est donc pas, loin sans faut, une historiette légère mais un roman social grave qu’il est bon à tous de lire afin de mieux apprécier une Afrique contemporaine malade de ses démons identitaires.