Franz Christoph Janneck (Graz, 1703-Vienne, 1761),
Une conversation musicale, sans date.
Huile sur cuivre, 35,5 x 47,3 cm, Bayreuth, Staatsgalerie.
Depuis un peu plus d’un an, le label Supraphon a lancé une collection destinée à documenter la musique entendue à Prague au XVIIIe siècle, initiative courageuse qui nous a valu quelques belles parutions (voir ici et là) malheureusement passées assez inaperçues en France. Deux nouveaux titres viennent de paraître, dont l’un consacré à un quasi-inconnu, František Jiránek, qui, outre son indéniable intérêt documentaire, permet de retrouver l’excellent ensemble Collegium Marianum.
De Prague à Dresde, en passant par Venise, le parcours de František Jiránek illustre assez bien la fascination qu’exerçait l’Italie dans l’Europe de l’Est, tous domaines artistiques confondus. On en sait rien de la formation de celui qui, né le 24 juillet 1698 à Lomnice nad Popelkou, se trouvait au service du comte Wenzel Morzin (1675-1737), dédicataire du célèbre Opus 8 de Vivaldi, dès le début des années 1720. Sans doute Jiránek avait-il montré de solides dispositions musicales pour que son maître non seulement le remarque, mais surtout l’envoie parfaire ses connaissances à Venise deux ans durant, de 1724 à septembre 1726, très probablement auprès de Vivaldi, avant de le réintégrer au sein de l’orchestre qu’il entretenait à Prague. Le jeune compositeur s’installa et fonda une famille dans la cité, où il demeura jusqu’à la mort de son patron, en 1737. Il entra alors au service, à Dresde, du très puissant comte Heinrich von Brühl (1700-1763), un homme dont les qualités politiques étaient aussi douteuses que son amour pour les arts touchait à l’exaltation. Mécène dispendieux, il possédait une énorme collection de tableaux ainsi qu’une des plus vastes bibliothèques privées de toute l’Europe centrale. Le fait que Jiránek, engagé en qualité de violoniste, ait été un des musiciens les mieux payés de l’orchestre du comte laisse songer que sa réputation devait être importante à l’époque. Il survécut 15 ans à ce second patron et, après avoir été mis à la retraite en 1763, Jiránek mourut à Dresde en 1778.
Le Collegium Marianum (photo ci-dessous), dirigé par la flûtiste Jana Semerádová, aborde ces partitions avec beaucoup de
naturel et une finesse qui rend parfaitement justice à des pièces qu’une approche univoque aurait pu faire sombrer rapidement dans l’ennui. L’ensemble a su s’adjoindre, pour les deux concertos
pour basson, les services de Sergio Azzolini dont la sonorité charnue et la musicalité sont très appréciées des amateurs de musique baroque. Le choix de tempos allants sans être précipités, une
constante bienvenue de cet enregistrement, lui permet de laisser s’exprimer la verve mais aussi la poésie qu’il sait faire naître de son instrument. A la flûte traversière, Jana Semerádová fait
montre des qualités de rondeur et de vivacité qu’on lui connaît, délivrant un jeu pétillant, très fluide et lumineux, qui sait se faire intime et touchant dans l’Adagio du Concerto
pour flûte, chanté comme un rêve.
À celles et ceux qui souhaitent sortir des sentiers battus et découvrir un très intéressant compositeur du XVIIIe siècle, je conseille donc ce disque Jiránek du Collegium Marianum, plein de raffinement et de sensibilité. Souhaitons à Supraphon de poursuivre avec autant de bonheur, dans les mois à venir, sa politique de défrichage des partitions qui faisaient les beaux jours de Prague à la fin de l’époque baroque.
Sergio Azzolini, basson
Marina Katarzhnova, violon
Collegium Marianum
Jana Semerádová, flûte traversière & direction
1 CD [durée totale : 66’50”] Supraphon SU 4039-2. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Sinfonia en ré majeur :
[I] Allegro
2. Concerto en sol majeur pour flûte, cordes & basse continue :
[II] Adagio
3. Concerto en fa majeur pour basson, cordes & basse continue :
[II] Adagio
4. Concerto en ré mineur pour violon, cordes & basse continue :
[III] Allegro
Illustrations complémentaires :
Johann Alexander Thiele (Erfurt, 1685-Dresde, 1752), Vue de Dresde depuis les Lössnitzhöhen, 1751. Huile sur toile, 103 x 156 cm, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister.
La photographie du Collegium Marianum est tirée du site internet de l’ensemble.