Undercurrent
de Tetsuya Toyoda
Kodansha, 2005 - Kana, 2008
L'histoire :
"Kanae, toi, tu voudrais toujours tout faire toute seule, hein? "
Tsuki No Yu est un petit établissement de bains publics, que Kanae a hérité de ses parents, et qu'elle gère avec son mari Satoru. Mais celui-ci a mystérieusement disparu lors d'un voyage professionnel, voilà deux mois. Kanae, environ trente ans, se retrouve seule. Ce matin, elle décide tout de même de rouvrir l'établissement, et dans le quartier, clients, voisins et amis viennent aux nouvelles. Est-il revenu? Non? Mais pourquoi? Et comment Kanae va-t-elle faire, maintenant?
D'abord, l'urgence, c'est de trouver une solution pour gérer les bains. Kanae, même aidée par sa tante, a besoin d'embaucher un salarié. Un certain Hori, venu d'on se sait où, mais recommandé par le syndicat des Bains, est engagé. Sans domicile, il emménage temporairement chez Kanae.
Puis, une amie de Kanae lui propose de recourir aux services d'un détective, Monsieur Yamakazi, pour rechercher Satoru. Jour après jour, confrontée à l'abandon, aux conditions difficiles de son travail, à la présence troublante de Hori et aux compte-rendus du détective, Kanae fait le point sur elle-même, sur sa relation avec son mari, et voit remonter à la surface d'anciens souvenirs douloureux qu'elle croyait enfouis. Et se pose la question : "Connaître quelqu'un, qu'est-ce que cela signifie?"
Ce que j'en pense :
Ce qui m'a attiré l'oeil, c'est d'abord cette couverture en aquarelle, aussi belle qu'énigmatique : une jeune femme immobile, les yeux fermés, sous une eau bleue. En apnée? Noyée? Ensuite, c'est le nom de collection "Made In Kana", où sont édités pas mal de mangas d'auteurs que j'ai appréciés ces derniers temps (notamment Solanin, d'Inio Asano, Le Pays des Cerisiers, de Fumito Kuno, et Journal d'une Disparition, de Hideo Azuma).
Je n'ai pas été déçu. Undercurrent (titre que l'on pourrait traduire par : Sous la surface) est un one-shot intéressant à plus d'un titre : c'est à la fois :
- le portrait d'une femme, Kanae, touchante et vraie, lorsque sa vie prend un tournant inattendu ;
- deux mystères entrelacés, celui de la disparition et de la recherche du mari, mais aussi celui, enfoui, du passé de Kanae ;
- une galerie de personnages hauts en couleurs, souvent drôles, comme le détective débraillé mais perspicace, ou encore le vieux voisin, plus ou moins ex-yakuza, à la personnalité extravertie ;
- enfin, une chronique réaliste de la vie quotidienne autour d'un établissement de bains publics, ses clients, ses petites histoires, ses problèmes.
Le fait d'avoir situé l'intrigue dans un établissement de bains, au-delà de l'atmosphère authentiquement japonaise qui en découle, est propice à la métaphore, dont l'auteur ne se prive pas : métaphore du bain rituel, que Kanae prend à plusieurs reprises, pour se purifier l'âme, meurtrie par l'angoisse, et le corps, fatigué par le labeur ; métaphore du repli sur soi, et de la tentation du suicide ; métaphore de la noyade, enfin, qui renvoie aux souvenirs les plus refoulés de Kanae. Le bain permet également de mettre en scène la sensualité, en dévoilant la nudité des corps (en toute pudeur, le dessin de l'auteur étant suggestif mais jamais explicite).
Undercurrent est donc un très joli roman graphique, dont je ne vous dévoilerai pas plus les tenants et les aboutissants : la résolution des mystères n'étant pas, de toutes façons, l'intérêt principal de la lecture. L'auteur, Tetsuya Toyoda, ex-salaryman tard venu à la carrière de mangaka, démontre maturité et sensibilité dans la narration, mais aussi maîtrise dans le dessin, à la fois très réaliste et très clair. Certaines planches, notamment celle des souvenirs, sont de toute beauté, avec le recours ponctuel à l'aquarelle et au lavis. Sitôt le livre refermé, l'histoire ne semble pas vouloir s'arrêter, continuant sur les différentes voies qu'il laisse à notre imagination.
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