Cet article légèrement remanié a été initialement publié sur Oldies Rising.
Le football américain n’est pas un sport très prisé en Europe. Jugé lent, complexe et violent, sa saveur subtile mêlant tactique, exploit véloce, vista et dramaturgie souvent stupéfiante échappe
à la plupart des Européens, à l’exception toutefois des Allemands et des Autrichiens et, dans une moindre mesure, des Néerlandais et des Suisses.
Explications de base : le foot US est un sport de gagne-terrain, dont le but ultime est de marquer plus de points que l’adversaire, soit par un coup de pied (field goal, 3 points) ou un essai (touchdown, 6 points). Pour cela l’équipe attaquante a 4 tentatives pour franchir une distance de 10 yards (environ 9 mètres). Si elle y parvient elle reçoit à nouveau 4 tentatives pour continuer à avancer, si elle échoue elle rend la balle à l’adversaire. En défense, il faut soit plaquer le porteur du ballon, soit tenter d’intercepter ou de dévier les passes lancées par la vedette n°1 de ce sport, le quarterback. Les tactiques nombreuses sont regroupées dans un cahier de jeu (playbook) que le coach choisit et transmet par une oreillette aux joueurs. Le chronomètre cesse de tourner lorsque la passe est manquée ou lorsque le porteur du ballon sort du terrain. En tout, un match réel dure 4 fois 12 minutes. Je me permets de renvoyer ici à une petite vidéo didactique que j’avais réalisée il y a 4 ans : http://www.dailymotion.com/relevance/search/posuto/video/x13r4w_le-football-americain_shortfilms
Transposé sur jeu vidéo, ce sport qui, pour parodier le guide vert Michelin, « mérite un détour », voire même « vaut le voyage » a un nom : John Madden. Ce solide
octogénaire, ancien joueur, entraîneur et commentateur TV a donné (vendu plutôt…) son nom, son image et sa voix à une série de jeux édités par EA Sports depuis le début des années 1990.
Hormis la Dreamcast, la série des Madden a connu depuis toutes les consoles de salon. Sans jamais d’ailleurs fournir de version française localisée, ce qui aurait sans aucun doute favorisé la découverte de ce sport au pays du soccer… Mais passons. La version testée ici est celle de 1994, sortie sur Megadrive et intitulée « Madden NFL 95 ». Elle est la première tentative de populariser Madden en dehors des Etats-Unis.
On sait faire dans le spectacle comme si vous y étiez, chez EA Sports. Une introduction mettant en scène le maître Madden
vous plonge de suite dans la chaude ambiance d’une soirée américaine, une vraie soirée de football. Mais le reste accumule les déceptions. Les joueurs, hélas, se ressemblent tous. On ne distingue
même pas les Blancs des Afro-Américains. Ils sont tous marron clair. Dans le jeu ils possèdent bien leurs nom et caractéristiques propres, mais visuellement rien ne distinguera un quarterback de
2 m et 90 kg d’un défenseur d’ 1 m 75 et 145 kg ! Quant à lire leur numéro, n’y songez même pas. Le décor est d’un monotone désespérant. Pas même un logo au centre du terrain, que le vert
chlorophylle de la pelouse rythmé par les bandes blanches tous les 10 yards. Autre déception, il est impossible d’éditer quoi que ce soit, ni les maillots, ni les équipements, ni les stades.
Présentes dans la version 94, les équipes mythiques de l’histoire de la NFL ont même disparu ! Plus question de jouer vintage !
Jouer à Madden NFL 94 présuppose une connaissance minimale des tactiques de jeu. En effet, au début de chaque action, vous devrez choisir entre passer le ballon vers l’avant, transmettre la balle au coureur afin qu’il progresse le plus loin possible en évitant les placages adverses, ou enfin faire appel à l’équipe spéciale chargée de donner les coups de pieds de renvoi ou de score. Ces tactiques apparaissent à l’écran sous forme de croix, ronds et flèches symbolisant les joueurs et les mouvements qu’ils feront afin de se démarquer ou de bloquer l’adversaire. On regrette qu’un mode de choix automatique ne figure pas ici. Il fera son apparition beaucoup plus tard, sur les consoles de Sony. Déjà que ce sport rebute pas mal de joueurs, si en plus il faut se farcir des heures d’études de tableau noir pour réussir une action, les bras et la manette s’effondrent !
On voit bien que Madden NFL est une série destinée à un public connaisseur, autrement dit d’abord nord-américain. Il semble se moquer comme d’une guigne du reste de la planète, et en tout cas n’esquisse pas un geste amical en sa direction. Quel dommage. A supposer maintenant que, à l’instar de votre serviteur, vous maîtrisiez la compréhension de ce sport, comment juger son gameplay ? Le manque de boutons sur le paddle megadrivesque oblige à ne choisir qu’entre trois cibles pour le quarterback : A, B ou C, chacun étant un receveur. Le catch de la balle se fait automatiquement. En attaque, le jeu est assez fun et l’on arrive à progresser correctement. En revanche la défense est un exercice plus délicat. Car il manque un élément de gameplay apparu trois ans plus tard avec la PS1 : le mode « Vibration ». Réussir un gros placage sur le porteur du ballon est une jouissance délectable lorsqu’elle est soulignée, surlignée même par le vrombissement rageur d’adrénaline au creux de vos paumes. Ici, l’effet ressenti est bien quelconque. L’avantage du jeu de défense réside néanmoins dans sa simplicité. On arrête la progression de l’équipe adverse en interceptant la balle lancée ou en plaquant le porteur du ballon. Et puis, on dit souvent qu’un match de football américain ne se gagne pas en attaque mais en défense. Si l’on en juge par les dix derniers vainqueurs du Superbowl, l’adage est vrai !
Côté sons, c’est sûr, ça a méchamment vieilli. C’est du gros Old School qui gratte et bave, rythmé par de l’orgue Bontempi. Mais si l’on oublie le réalisme, quel plaisir de retrouver cette inénarrable sensation ! Vous savez, ces sons, banalisés aujourd’hui par la techno et autres musiques de recyclage, qu’on ne pouvait savourer qu’au creux douillet de nos consoles d’antan… Quant aux bruits d’ambiance, ils sont assez bons, dans la mesure du possible…
Les modes de jeu sont pauvres. Vous pourrez disputer des matchs exhibition, vous pourrez disputer les 16 matchs de la saison régulière puis, en cas de succès, les matchs de playoffs qui vous
mèneront au Graal suprême, la victoire en Superbowl. Vous pourrez également choisir de disputer directement les phases finales (playoffs donc). Mais il manque encore ce qu’EA Sports ajoutera dans
les versions suivantes, à savoir, essentiellement, la panoplie de mini-jeux, les cartes Madden à débloquer (pour le fun et pour utiliser des codes triches) et le mode franchise pour suivre une
équipe sur des années. Et la customisation des joueurs, équipes et stades. Du coup, on s’ennuie assez vite.
Au final, on ne pourra guère conseiller ce jeu aux néophytes, tant il sème des obstacles entre lui et le joueur non aguerri. Pas sûr donc que ce dernier y trouve un quelconque intérêt. Et pourtant, il faut être honnête et dire que pour l’époque, ce jeu était le meilleur de sa catégorie. J’ajouterai un dernier mot en forme de paradoxe : si cet opus a tant vieilli, c’est que la série, au fil des années, s’est améliorée sans cesse pour atteindre les sommets de l’excellence. Madden, saga bientôt vieille de 20 ans, a su s’inscrire dans la durée sans sombrer dans l’autoparodie ou la médiocrité. Un exploit rarissime à saluer.
Madden NFL '95
Éditeur Electronic Arts
Développeur Electronic Arts
Nombre de joueurs 1-2
Date de sortie 1994
Existe sur Megadrive (version testée), Super Nintendo, Game boy, Game gear