Comme souvent dans les romans de Roth, le héros est assez porté sur « la chose » et cette fois encore, David Kepesh un autre double ou alias du romancier, va devoir endurer le tourment du désir. Très vite le jeune étudiant Kepesh va découvrir qu’il est « un libertin parmi les érudits, un érudit parmi les libertins ». Parti pour Londres afin de préparer sa licence de lettres, l’étudiant va rencontrer deux Suédoises, Bettan et surtout Birgitta, comme on les fantasmait dans les années soixante-dix, jeunes, belles et dépourvues de complexes, prêtes à toutes les expériences prônées par la toute nouvelle liberté sexuelle qui submergeait l’occident. Inutile de vous dire que notre Kepesh ne se fera pas prier pour participer à une fête qui dépasse ses espérances « peut-être n’ai-je jamais, jusqu’ici, connu de fille de mon âge pour laquelle ce genre d’excès n’aurait été considéré que comme un outrage. »
Quelques années plus tard tandis qu’il achève sa dernière année de littérature comparée, David Kepesh rencontre Helen. Helen Baird est une aventurière très classe, intrépide, partie vivre sur un coup de tête, à HongKong avec un homme ayant le double de son âge, elle connu le luxe et les séjour en Asie du sud-est, « la bonne vie coloniale ». Face à cette femme aussi belle que mystérieuse, David décide d’épouser Helen « quand le poids de l’expérience requis pour atteindre la décision monumentale de l’abandonner à jamais se révèle si monstrueux, si bouleversant que la vie sans elle me paraît inimaginable ». Le mariage va être éprouvant, leurs relations houleuses et conflictuelles se détériorer et finalement ils divorcent.
Une autre femme va entrer dans la vie de Kepesh devenu jeune professeur de littérature d’une trentaine d’années, Claire Ovington. Après les excès de sexe avec les nordiques, les relations tourmentées avec Helen, Claire semble le bout de la (qué)-quête de notre héros. Elle est jeune, belle et par-dessus tout pas compliquée. Terminées les séances de psychanalyse, la vie de David Kepesh va-t-elle enfin trouver la stabilité et la sérénité qui lui font tant défaut ? Parfois lui reviennent en mémoire les fantômes des Suédoises, même Helen depuis remariée vient lui rendre une ultime visite avec son mari. David pourra-t-il trouver la paix de l’âme auprès de Claire qui lui est toute dévouée. Rien n’est moins sûr, « impossible de le dire, pas ce soir, mais dans un an ma passion sera morte. Elle a déjà commencé de mourir… »
Philip Roth autopsie les états d’âme de David Kepesh et reconnaissons-le, ce Kepesh est pénible, jamais satisfait toujours à la recherche d’autre chose, cramponné à un idéal de désir qui n’existe pas – du moins sur la durée – ce qui bien évidemment le tourmente au plus haut point. Plusieurs fois j’ai failli abandonner le bouquin, exaspéré, mais le style de l’écrivain est là et de très belles scènes sauvent le roman, quand il évoque ses parents, le décès de sa mère, son père âgé qui vient lui rendre visite, ou encore des digressions passionnantes sur Kafka quand il se rend à Prague pour un court voyage d’étude.
« Faire comprendre à ces gens que ce qu’ils sont, d’où ils viennent, ce qu’ils portent est intéressant. En un certain sens, capital. Voilà la vraie compassion. Et je t’en prie, pas d’étalage d’ironie. Ton problème, c’est que tu les effarouches avec ta merveilleuse prédilection pour la complexité des choses. D’après mon expérience, la femme de la rue, la femme ordinaire, n’apprécie pas l’ironie. En fait, c’est l’ironie qui la braque. Elle veut qu’on lui soit attentif ; elle veut être appréciée. Elle n’a sûrement aucune envie de faire assaut d’esprit avec toi. Réserve donc toute cette subtilité pour tes articles de critique ; quand tu sors dans la rue, pratique l’ouverture – les rues, voilà à quoi ça sert. »