Ne pas baisser la garde
Note publiée le 6 février 2010
Comme moi, vous n’étiez peut-être pas présent à la Biennale internationale du spectacle de Nantes le 21 janvier dernier.
Vous avez manqué plénières, tables rondes, ateliers, discussions de couloirs, amicales retrouvailles et banquet entre professionnels avisés.
Qu’à cela ne tienne. Une mienne connaissance, fort aimable au demeurant, a bien voulu me communiquer le discours d’ouverture du sénateur Ivan Renar qui, bien entendu, fait écho aux inquiétudes évoquées dans ma précédente note.
Bonne lecture.
Comment ne pas s'interroger à la fois en tant que citoyen et en tant qu'élu face à un projet de réforme des collectivités qui se révèle être une véritable re-centralisation et une régression de la démocratie? C'est 30 ans de décentralisation qui sont balayés. La réforme est complexe et scindée en pas moins de sept projets de loi dont l'examen a déjà démarré avec la loi de finance 2010 et sera étalé jusque cet été. Le gouvernement en fait un véritable puzzle.
Si Sarkozy s'est récemment engagé à ce que les collectivités locales conservent leurs prérogatives en matière de culture, ne baissons pas la garde :
- la mobilisation du monde culturel, des élus et de l'opinion publique reste indispensable,
- impossible de revenir sur cette clause de compétence générale sauf à anéantir tout le paysage culturel français patiemment construit ces dernières décennies.
- la complémentarité des co-financements a démontré toute sa pertinence en terme de gage d'autonomie et de liberté des projets culturels et artistiques.
- la culture n'est pas une compétence comme une autre. Comme pour les droits de l'homme, elle est de la responsabilité de tous et chacun. C'est le partage même de cette responsabilité qui a permis le succès de la décentralisation culturelle et la vitalité impressionnante de la vie culturelle de notre pays.
Si le Président de la République a annoncé le dégel du budget de la culture et le maintien de la clause de compétence dans le domaine culturel, les problèmes subsistent avec la diminution des moyens humains et financiers et la redéfinition de la fiscalité locale avec pour conséquence une triple régression :
- régression financière avec la suppression de la taxe professionnelle, le désengagement de l'État, et le transfert de charges budgétivores (RSA),
- régression institutionnelle qui organise une re-centralisation,
- régression démocratique du fait du nouveau mode de scrutin.
Les marges de manœuvres des collectivités territoriales qui jonglent avec des budgets de plus en plus contraints sont réduites : on leur retire le droit et aussi les moyens de s'administrer librement. A quoi va servir la clause de compétence générale dans le domaine culturel, si les collectivités n'ont plus les moyens de financer leurs politiques?
Les arbitrages sont d'autant plus difficiles en cette période de crise financière, économique et sociale et c'est trop souvent le budget de la culture qu'on sacrifie.
Alors que l'on vient de fêter ses 50 ans, le Ministère de la culture est fragilisé. Après la refonte de l'intermittence qui précarise les artistes, maintenant la RGPP s'attaque aux établissements nationaux, avec la volonté de supprimer 1 fonctionnaire sur 2 partant à la retraite. On instaure la gratuité pour les jeunes dans les musées, mais les conditions d'accueil, d'accompagnement et de médiation sont rognées, voire supprimées.
« On pousse à de bien maigres économies pour de bien grands dégâts,!» comme le disait Victor Hugo.
La culture n’est ni un luxe, ni un superflu, elle est de première nécessité. Elle est aussi nécessaire à l’homme que le travail, la nourriture, le logement, la santé. C'est pourquoi elle est une dimension capitale de l’intervention publique à tous les niveaux. Elle est un droit essentiel car elle apporte les outils critiques indispensables à la construction de la citoyenneté et au libre arbitre. Elle est un élément déterminant pour humaniser la mondialisation qui uniformise l'imaginaire, abolit les singularités, standardise la pensée.
Le partage des connaissances, l'éducation, l'investissement dans la matière grise n'ont jamais été aussi maltraités; les intellectuels, les artistes, les professionnels de la culture, les intermittents autant méprisés.
Reconnaître le rôle de la culture dans la société reste bien un combat! A ceux qui déclarent qu’il y a trop de théâtres, d'orchestres, de musées, etc,... pour trop peu de public, je réponds : imagine t-on quelqu’un trouvant qu’il y a trop de suffrage universel parce qu’il y aurait trop d’abstentions?
Et comment s’étonner de la persistance des inégalités culturelles quand les inégalités sociales et économiques ne font que s’accentuer? Le non partage de l’art, c’est comme une bombe «anti-personnelle», ça fait des mutilations terribles !
Et si les collectivités locales se sont fortement impliquées dans la vie culturelle, elles n’en réclament pour autant pas moins d’État. En tant que parlementaire, je le constate : si l’état hésite, on voit vite les collectivités bégayer. Les soustractions d’en haut encouragent les soustractions d’en bas. Il y a besoin d'un État assurant la solidarité, garant du maintien d’un développement culturel équilibré sur l’ensemble du territoire national.
L’art et la culture se portent donc bien à condition qu’on les sauve !
Appuyons nous résolument sur le rapport de Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, qui montre avec sa commission, combien la seule prise en compte du Produit intérieur brut, de la productivité, le culte de l'argent, du chiffre et de la performance n'ont pas beaucoup de sens pour évaluer la richesse et le bien-être d'un pays. Par contre les services publics, le niveau d'éducation, les critères sociaux et environnementaux, la culture et le lien social qu'elle génère, constituent de véritables richesses, essentielles à la qualité de la vie et du vivre ensemble! Voilà qui donne des perspectives même si ce rapport risque bien d'être abandonné à la critique rongeuse des souris.
Ce serait si simple de remplacer le B de PIB par un B comme Bonheur, un bonheur qui reste bien une idée neuve!
Conclusion
Si certains experts et comptables arrogants et glacés nous parlent toujours du coût de la culture, on ne répétera jamais assez que ce n’est pas la culture qui coûte cher mais bien l’absence de culture.
Miser sur la culture, c'est miser sur l'homme, ses potentialités, sur l'Intelligence agissante.
Je repense à PASCAL, « l’homme est fait pour penser, c’est toute sa dignité ». Et l’Intelligence est la première ressource de notre pays qui l'oublie peut-être trop souvent.
Vous, les professionnels qui intervenez de façon remarquable dans le champ de la musique, du théâtre, de la danse ou des arts plastiques, vous savez bien que l'art et la culture sont des armes de construction massive!
Le mot « désespoir » n'est pas politique et le mot « respect » n'a pas à connaître la pénurie.
En attendant, merci à vous de faire entendre pendant trois jours le murmure culturel dans le vacarme marchand!
Ivan Renar
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