- Laurent McFalls, Construire le politique.--
Ce billet constitue la seconde partie de mon survol sur l'État du Canada en 2010. J'invite donc le lecteur à d'abord consulter les notes en introduction et la première partie. Les photos accompagnant le texte ont été prises par l'auteur, en 2009 et 2010 et sont uniquement publiées pour agrémenter la présentation de l'article.
Avant de jeter un oeil sur la performance de notre pays en terme d'environnement et de relations internationales - et pour faire le lien avec le volet précédent de mon survol concernant l'appareil législatif et la gouvernance - voici un petit intermède sur la situation actuelle au parlement canadien.
Notez que bien que très critique de notre gouvernement actuel, je ne suis pas dupe des accusations portées par une opposition qui n'a pas le courage de ses opinions. Là où certains partis comme le Bloc Québécois ou le NPD adoptent (la plupart du temps) une position en chambre, lors d'un vote, qui soit cohérente avec leurs déclarations, on ne peut pas en dire autant du PLC, qui dénonce à grands cris mais s'oppose peu, une fois venu le temps de voter. Cette couardise permet d'ailleurs au gouvernement Harper de se comporter, virtuellement, en gouvernement majoritaire, sans aucune crainte d'être défait. Nous sommes donc coincé dans une situation où notre gouvernement minoritaire fait fi de l'opposition majoritaire, alors qu'il ne représente que 22,1 % des canadiens (37,6 % des canadiens ont votés Conservateurs, avec un taux de participation aux élections de 58,8 %. Données tirées du site d'Élections Canada).
L'ensemble des deux années de ce gouvernement minoritaire montre bien à quel point notre parlement actuel ne fonctionne pas. La cause principale de cette impasse vient évidemment de l'attitude des Conservateurs, qui imposent leurs points de vue malgré leur situation minoritaire. L'opposition, quant à elle - dont les Libéraux sont la portion la plus importante - se montre complice par couardise, en craignant d'aller aux urnes et refusant par entêtement d'envisager une coalition.
Un élément amusant, quand on s'intéresse à cet état de fait, nous provient du Royaume Uni. En effet, l'an dernier, devant la possibilité de se retrouver sans majorité absolue après une élection générale (possibilité qui s'est justement concrétisée en 2010), les anglais ont fait l'étude de ce qui se passait dans leurs anciennes colonies ayant adopté le même système parlementaire. Le titre du chapitre de leur étude sur la situation canadienne est révélateur: "Canada’s Dysfunctional Minority Parliament" (Robert Hazell et Akash Paun, Making minority government work, London: Institute for government, 2009). Suite à cette étude et aux résultats de l'élection de 2010, un gouvernement de coalition a rapidement été formé au Royaume Uni (1).
Environnement.
J'ai mentionné à deux reprises le rejet par le gouvernement de notre obligation en matière de réduction de gaz à effet de serre ainsi que sa complicité avec les compagnies minières canadiennes qui bafouent ouvertement l'environnement dans d'autres pays. Côté environnement, le dossier le plus patent qui démontre où se situent les intérêts des Conservateurs est définitivement celui des sables bitumineux. Nous apprenions récemment à quel point le gouvernement Harper défend les intérêts de cette industrie polluante, en ayant une politique étrangère de sabotage des efforts d'autres pays en matière environnementale, rien de moins. Ce rapport consternant, qui mentionne que "le Canada ne fait plus qu’exporter du pétrole sale; nous exportons également des politiques sales" donne froid dans le dos et permet de comprendre à quel point notre gouvernement agit de manière insidieuse et secrète, tout en camouflant ses agissements à la population et en utilisant les organes publics tels le Ministère des affaires étrangères pour défendre sa base politique conservatrice en totale opposition avec l'opinion des canadiens sur les questions environnementales.
L'année allait se terminer par quelques catastrophes climatiques dans l'est du Canada. Au cours de l'avant-midi du 16 décembre, on mentionnait lors d'une conférence de presse à Gaspé (Diffusée en direct à RDI, 11h45 AM), que cette catastrophe était due aux changements climatiques et au manque flagrant de prévention du Canada dans ce domaine.
On peut évidemment se douter qu'avec son dossier environnemental seul, notre pays aura rapidement chuté en terme d'importance et reconnaissance internationale. Un ensemble d'autres dossiers aide également à comprendre à quel point cette chute est vertigineuse. De la poursuite de la réduction de notre représentation à l'international par la fermeture d'ambassades en Afrique, en passant par le refus d'intégrer l'avortement aux programmes de soutien en santé aux pays du sud (et intégrant la contraception du bout des lèvres), on semble toujours se distinguer pas notre fermeture d'esprit et nos politiques réactionnaires, même sur des dossiers qui semblaient réglés depuis des années au Canada et qui font consensus dans la population au pays.
Un élément révélateur de la mentalité conservatrice en ce qui concerne la diplomatie et les affaires étrangères en général est la composition du comité du cabinet chargé des affaires étrangères. En effet, ce comité est présidé par le Ministre de la Défense, et son vice-président est le Ministre de la Justice. Heureusement, le Ministre des Affaires étrangères apparaît en tant que membre, mais au même titre que le Ministre de la Sécurité publique! (Informations tirées du site du parlement du Canada).
À ce sujet, je me demande depuis quand notre pays est devenu l'ombre militaires des États-Unis, alors que sous les Conservateurs, le budget de la défense nationale atteint "environ le cinquième des dépenses de programmes directes totales du gouvernement".(Budget de 2010, Ministère des Finances). Le budget du Ministère de la Défense à lui seul représente 4 fois celui du Ministère des Affaires étrangères et du commerce international et celui de l'ACDI réunis. Le plan "Le Canada d'abord", lancé en 2008 par le gouvernement conservateur, prévoyait alors que les Forces canadiennes allaient permettre "d’assumer un rôle de leader à l’étranger". (Site du Premier Ministre du Canada, 12 mai 2008). On voit bien sous quel angle le gouvernement Harper voit les relations internationales; celui de l'armée.
Son appui inconditionnel à Israël est aussi une autre preuve de la prépondérance de l'idéologie et de l'alignement sur la politique américaine du gouvernement Harper. En juin 2010, alors que tout le monde condamnait l'attaque d'Israël contre un convoi humanitaire, notre premier ministre déplorait du bout des lèvres la situation, sans élever la voix contre l'état hébreu. L'affaire Droits et démocratie, relatée en première partie du présent article, est aussi révélatrice de cet alignement.
Pour faire le lien avec mon monde, l'année avait déjà commencé par ce que je considère un dossier révélateur des orientations du gouvernement du Canada, avec des réactions étonnantes pendant et après le putsch au Honduras où je passais justement une semaine, en janvier. Un professeur et un étudiant au doctorat en science politique à UBC remarquent assez justement que "The reluctance to impose sanctions was mainly due to the Harper government’s refusal to jeopardize Canadian business interests in Honduras. Asked by a journalist whether Canadian policy was driven by business interests, Kent [NDHM: Peter Kent, Ministre d'état aux affaires étrangères] replied that “Canadians should be proud” of such multinational firms as apparel manufacturer Gildan Activewear and mining firm Goldcorp." ("A Diplomatic Theater of the Absurd: Canada, the OAS, and the Honduran Coup.", par Maxwell Cameron et Jason Tockman, dans NACLA Report on the Americas May-June 2010). En ce qui me concerne, je vois mal comment nous pourrions être fiers des agissements de Goldcorp à l'étranger.
Toujours dans mon monde, alors que les choses allaient relativement bien depuis des années avec Cuba, le gouvernement Harper poursuit sa politique de refroidissement des relations. Mentionné dès l'an dernier par divers auteurs, les politiques de Harper sur Cuba sont simples; s'aligner de plus en plus sur celles du gouvernement américain; notamment les politiques adoptées sous George W. Bush. (Voir à ce sujet "Stephen Harper's Cuba policy: From autonomy to americanization?" de J.M.Kirk et P. McKenna, dans La Politique étrangère du Canada, vol 15 no.1). Pourtant, selon un des câbles diplomatiques américains publiés grâce à Wikileaks en fin d'année, on apprenait que les américains considèrent que le Canada n'en fait pas encore assez pour dénoncer Cuba. (Il n'y a pourtant qu'à jeter un oeil sur notre dossier de droits humains, en première partie du présent article, pour comprendre que le Canada n'a pas de leçon à donner aux autres pays actuellement).
Malgré tout, notre pays a posé sa candidature pour un siège au Conseil de Sécurité de l'ONU en 2010... et a, heureusement, été défait par l'Allemagne et le Portugal. Quand je dis "heureusement", c'est que pour ma part, je ne voulais pas qu'un pays dirigé par des gens d'extrême droite, ayant menti à la population, manipulé l'information et camouflé des faits dans des dossiers importants, soit un des décideurs d'un comité restreint qui traite de sécurité mondiale. Cette défaite du Canada m'a, personnellement, soulagé, et m'a rassuré quant au bon sens de certains observateurs étrangers. Si les canadiens n'ont pas compris ce qu'est maintenant le Canada dans le monde, au moins, le reste de la communauté internationale l'aura compris! On a noté qu'il s'agissait du premier revers du Canada à cette instance, certainement la plus puissante de l'ONU.
Plusieurs observateurs, dont un étudiant de l'ÉNAP, dans cet excellent survol analytique - avaient bien compris que les chances du Canada étaient minces, compte tenu de ses piètres performances en terme de droits humains et de démocratie, en plus de sa négligence envers les grands dossiers internationaux.
En conclusion de la performance internationale de notre pays, l'année se termine sur les révélations de Wikileaks et la publication dans divers médias de câbles diplomatiques américains. En réaction à ces révélations, l'ex conseiller de Stephen Harper mentionne simplement à la CBC que le président Obama "should put out a contract and maybe use a drone or something." Il ajoute même : "I think Assange should be assassinated, actually," pour conclure ensuite qu'il "wouldn't be unhappy" dans le cas où Assange "disappeared.". Il a eu beau dire regretter cette "blague" plus tard, il est difficile de ne pas voir là le genre de commentaire que l'on mentionne couramment en privé et que l'on laisse échapper en public par inadvertance. Cette opinion, qui correspond à peu près à celle de deux ex-candidats républicains à la Maison Blanche, est inquiétante, pour dire le moins. Difficile de ne pas y voir là la mentalité dominante qui gravite autour de notre premier ministre depuis son ascension au pouvoir et qui se consolide rapidement avec les années qui passent. Et nous parlons ici d'un appel à l'assassinat de quelqu'un qui n'a fait sortir que des informations véridiques.
Pendant l'année, alors qu'une prise de position ou une décision gouvernementale est portée à notre attention, on peut se montrer en désaccord, manifester, éprouver un malaise devant une position de notre pays sur la scène internationale ou nationale, mais rarement on ne fait l'effort de faire un survol de l'ensemble de ces positions sur une année complète pour juger de la position globale de notre gouvernement et notre pays.
En cette fin d'année 2010, c'est l'effort que j'ai décidé de mettre, pour justifier mes critiques et mes propres prises de position contre le gouvernement actuel, et contre le Canada qu'il représente.
Je n'ai aucune ambition journalistique ou d'expertise en politique; je suis un simple citoyen canadien qui ne se reconnaît plus dans le Canada tel qu'il apparaît aujourd'hui.
Le Canada, en 2010, n'est pas le pays où j'ai grandi, n'est pas le pays qui représente mes valeurs et les valeurs que je tente de défendre dans ma vie ici comme quand je me trouve à l'étranger. Je voulais donc exprimer cette prise de position contre mon propre pays et je devais l'étayer par un survol des dossiers qui me sont apparus importants et par des informations et opinions externes venant appuyer mes propos et les expliquer de manière détaillée.
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(1) Merci à Suzie Nadeau, qui a soulevé ce fait dans son travail de recherche "Le gouvernement minoritaire dans le parlementarisme canadien" en novembre 2010.