L'État du Canada en 2010 (1)

Publié le 27 décembre 2010 par Espritvagabond
«Dans la perspective wébérienne, le capitalisme gravite autour d'un vide des valeurs (ultimes). Aussi souligne-t-il son caractère d'autant plus dramatique: il est un choix moral (une éthique) avant d'être un système économique».
- Laurent McFalls, Construire le politique.--
Introduction.
Voici la suite de mes réflexions sur l'année 2010 qui se termine bientôt. Après ma rétrospective personnelle, un résumé de l’actualité de mon monde personnel pour l'année, publié en deux parties, je me penche sur la situation de mon pays, le Canada.
J’aborderai la situation canadienne actuelle en 5 volets; Droits et libertés, démocratie, législatif et gouvernance, environnement et relations internationales. Notez que plusieurs dossiers interviennent dans deux volets ou plus; j'ai voulu éviter les redites autant que possible et j'ai tenté d'inclure ces éléments là où ils me semblaient pertinents. Les liens externes mènent vers des sites d'information pour donner au lecteur un peu de contexte. Il y a beaucoup d'autres sources d'information sur ces divers sujets, je vous invite à en googler les mots clés pour approfondir chaque sujet au besoin. Dans les cas où les articles sources ne sont pas disponibles gratuitement sur internet, je cite dans le texte les passages les plus marquants des articles consultés pour étayer mon point de vue. Pour des raisons de longueur et lisibilité, je scinde également ce billet en deux parties. Les photos accompagnant le texte ont été prises par l'auteur, en 2009 et 2010 et sont seulement publiées pour agrémenter la présentation de l'article.
Droits et libertés.
Nous nous en doutions dès le début de l’année, mais 2010 allait confirmer nos craintes. Le dossier des prisonniers afghans démontre assez clairement que notre gouvernement nous a menti, et a tenté de camoufler les faits le plus longtemps possible quant à sa connaissance des cas de torture en Afghanistan alors qu’il continuait à autoriser les transferts de prisonniers. Il aura fallu près de deux ans pour avoir quelques informations plus précises à ce sujet - l’obligation du gouvernement de répondre en chambre étant relégué aux oubliettes en début d’année par une prorogation du parlement. Pendant que ce dossier avançait à pas de tortue à Ottawa, je m'intéressais au cas des compagnies minières canadiennes, dont j'avais des échos particulièrement inquiétants au Guatemala. Cette affaire, et sa récente et triste conclusion en terme de procédure parlementaire au Canada, montre également que le respect des droits humains n'est définitivement pas une priorité pour le gouvernement actuel. En parallèle, on constate également que ceux qui comme moi, énoncent leur opinion contre ces grandes corporations protégées par le gouvernement actuel font l'objet de poursuites bâillons permettant ainsi de limiter la liberté d'expression à ceux qui en ont les moyens. Ces poursuites, dans certains cas, se manifestent même avant la publication des ouvrages concernés!
Si l'affaire Omar Kadhr a permis de constater à quel point le gouvernement canadien actuel refusait de prendre en charge un de ses citoyens accusé à l'étranger, certains y ont vu un comportement normal puisqu'il a avoué son crime. Par contre, le traitement qui lui a été réservé pendant sa longue détention à Guantanamo est beaucoup plus inquiétant. Et ce n'est qu'un cas... Alors qu'auparavant, le Canada obtenait le transfert de la quasi totalité de ses ressortissants détenus à l'étranger, ce taux a baissé à moins du tiers en 2009-2010. Pire encore, le ministre actuel a le droit absolu d'accepter ou refuser un transfert; c'est donc maintenant une question d'idéologie du ministre. Mais on parle encore de gens qui sont coupables, non? De méchants criminels... Pas nécessairement; en ce sens, le Canada vous abandonne de manière assez égalitaire, que vous soyez "coupable" ou victime, comme l'a démontré l'absence de coopération de l'ambassade canadienne au Mexique dans un cas bien précis cette année. On ne s'étonne pas vraiment de cet abandon de ses citoyens par le Canada, de la part d'un premier ministre qui, dès 2006, qualifiait de "mesurées" les frappes d'Israël au sud-Liban, alors que ces frappes tuaient au passage huit citoyens canadiens! On comprend bien que ses intérêts politiques se trouvent au sud du 49e parallèle, plus souvent que dans son propre pays.
Dans un dossier bien spécifique, celui du droit à l'eau, nous aurons également fait piètre figure, comme pays, lorsque, en juillet 2010, l'ONU a adopté une résolution à l'effet que l'accès à une eau de qualité était un droit humain. Le soir du 28 juillet, Radio-Canada nous informait que "La résolution, présentée par la Bolivie, a été adoptée par 122 voix pour, 0 voix contre et 41 abstentions. Le Canada et les États-Unis font partie des pays qui se sont abstenus." Alors que le simple citoyen peut se demander pourquoi le Canada a agit de la sorte, une ancienne conseillère de l'assemblée générale de l'ONU sur les questions liées à l'eau (la canadienne Maude Barlow) mentionnait que "Selon elle, cette décision répond à la volonté du gouvernement conservateur de Stephen Harper d'avoir le droit de commercialiser l'eau. " (Citée par Radio-Canada, le 28 juillet 2010).
Démocratie.
La démocratie au pays a pris un coup dur depuis l'entrée au parlement du gouvernement Harper. La base même de la démocratie repose sur l'information dont dispose l'électorat. Or, jamais nous n'avons vu un gouvernement contrôler autant l'information disponible que le gouvernement conservateur actuel (le lien mène vers le texte d'un collectif d'auteurs dénonçant cet état de fait très inquiétant). Cette attitude est en elle-même un dénie de la démocratie (même texte, lien différent, au cas où).
L'année 2010 aura permis de constater que cet élément clé des politiques du gouvernement Harper commence à être décrié plus largement par l'ensemble des observateurs. On pouvait lire, en octobre dernier, dans un éditorial du Toronto Star que "In our increasingly webbed world, information confers more power than ever on a federal government tempted to use and abuse that power. That's why it is critical that the government share important information with the public in the spirit of Canada's Access to Information Act rather than try to hide it. That's why it is also essential that the government protect privacy by safeguarding, not exploiting, confidential information as mandated by privacy laws. On both counts, the Conservative government in Ottawa has utterly failed the Canadian people as a steward of the information it controls." ("Ottawa abusing the public trust", 12 octobre 2010). Allant dans le même sens, James Travers affirme quant à lui que "Prime Minister Stephen Harper's priority is manipulating the message." (in "PM's obsessive information control is his defining political trait", The Hill Times, 24 mai 2010).
À part les nombreux cas de camouflage d'information, qui se sont répétés encore cette année (les dernières révélations à cet effet étant encore toutes fraîches), j'ai déjà cité ci-haut les cas de poursuites bâillons qu'on refuse, au niveau fédéral, d'interdire par une loi. Mais le gouvernement va encore plus loin, en tentant d'imposer sa vision et son idéologie à plusieurs organismes qui devraient être indépendants, tels Droits et Démocratie, dont le parti conservateur a carrément pris le pouvoir et détourné l'idéologie en nommant plusieurs administrateurs partisans et causant une crise qui trouvait récemment une conclusion aussi évidente que révoltante et triste; le gouvernement a simplement imposé sa vision à l'organisme, a menti, et a tenté de camoufler ses agissements par la suite. Plusieurs ONG déploraient également en 2010 les menaces dont elles ont été victimes quand elles se prononcent dans des dossiers aussi cruciaux que les changements climatiques ou le conflit israélo-palestinien, au risque de perdre leurs subventions de l'ACDI (une autre instance fédérale supposément indépendante).
Il est intéressant de constater que plusieurs intervenants extérieurs à la sphère journalistique habituelle s'intéressent maintenant à la technique Harper pour contrôler et changer en profondeur les institutions canadiennes pour les rendre à l'image de son idéologie. C'est le cas du philosophe et universitaire Christian Nadeau, par exemple, qui n'hésite pas à déclarer que «Comme bon nombre de gens vivant au Canada, j'ai honte du gouvernement actuel» dans un livre publié cette année. (Contre Harper, édition du Boréal, 2010).
Avant même d'entreprendre l'année 2010, le gouvernement conservateur allait également bafouer les règles élémentaires du parlementarisme canadien en demandant une seconde prorogation du parlement en autant d'année. Si, pour les canadiens, cette procédure semble ne fournir qu'une période de vacances aux députés, c'est qu'ils ignorent que ce faisant, tous les projets de lois mis sur la table pour discussion sont sabordés et tous les comités parlementaires dissous; une approche fort pratique pour un gouvernement qui refuse de faire face à la réalité: qu'il est minoritaire et devrait donc considérer l'opinion de l'opposition, qui en bloc, représente une majorité de canadiens. Le fait que cette prorogation soit accordée par une gouverneure générale non élue ne redore pas le lustre démocratique de son utilisation inutile et strictement partisane. Une pareille prorogation, l'an dernier, avait permis de jeter aux poubelles un projet de loi encadrant les activités des minières canadiennes à l'étranger qui avait été adopté par une majorité de députés élus.
Sinon, cette prorogation aura donné le temps au parti conservateur de nommer des sénateurs supplémentaires, ce qu'il a aussi continué à faire en cours d'année, montant à 37 les nominations partisanes - soit plus du tiers du Sénat! - en deux ans et leur assurant une majorité absolue en chambre haute. Une récente analyse de ses nominations montre qu'il s'agit évidemment de proches du premier ministre et du parti conservateur; anciens chefs de campagne, anciens candidats défaits, ancien président du parti, tout y passe. Ces sénateurs non élus ont d'ailleurs rejeté un projet de loi adopté par une majorité de députés élus, et ce, sans même l'étudier. Ce projet de loi s'attardait à nos obligations en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. Évidemment, notre gouvernement conservateur était contre. Enfin, pour conclure cette section en revenant sur le contrôle de l'information et l'ingérence, une question facile: Quelle meilleure manière de manipuler l'opinion ou de prétendre prendre les bonnes décisions que lorsque l'information est floue? Réponse: Qu'elle ne soit tout simplement pas disponible. Aucune autre raison ne peut être invoquée pour comprendre l'entêtement imbécile du gouvernement conservateur à éliminer une source importante de statistique sur notre propre pays dans le cadre des recensements.
Appareil législatif et gouvernance.
Comme j'ai déjà mentionné l'ingérence du gouvernement là où il n'a pas d'affaires, sa mainmise sur le parlement via le dopage du sénat non élu, et le contrôle de l'information, exercé via diverses politiques douteuses, reste à savoir à quoi sert cette attitude au gouvernement Harper. Quelles sont les lois phares de ce gouvernement? En terme de budget, on notera que malgré un discours sur la nécessité de contrôler les dépenses et le déficit, notre gouvernement n'a pas hésité à dépenser un milliard de dollars pour l'organisation des sommets du G8 et du G20 à Toronto, incluant 2 millions de dollars pour un centre des médias, comprenant un lac artificiel. Le gouvernement Harper n'a pas non plus hésité à acheter sans appel d'offres des avions F-35 à un coût "estimé" de 16 milliards, mais dont on ignore la facture finale. Étonnant pour un gouvernement dont le discours tente toujours d'être celui, prudent, du bon père de famille, qui ne parle que d'économie et de gestion responsable.
En fait, c'est l'ensemble du dossier législatif du gouvernement canadien, en 2010, qui est anémique. Si on exclut les projets de lois "administratifs" (de crédits, incluant le budget), aucun grand dossier n'a été réglé par notre gouvernement, qui a passé son temps à jouer à cache-cache dans les dossiers des prisonniers Afghans et dans celui du témoignage des adjoints des ministres devant les commissions parlementaires. Pire, avec la prorogation du parlement, les députés et sénateurs canadiens ont passé le plus clair de leur année à refaire le travail effectué en 2009. En plus, avec leur désorganisation volontaire, les Conservateurs détournent l'usage du parlement, profitent de certaines procédures pour passer des ajustements qui ne sont pas discutés proprement en chambre, et passent le reste de leur temps à se servir de projets de loi à moitié bidons afin de promouvoir leur idéologie et leur orientation. Par exemple, si les Conservateurs ont surtout réussi à rejeter le projet de loi devant réglementer l'activité des compagnies minières et rejeté le projet de loi sur nos obligations en manière de réduction de gaz à effet de serre, ils n'ont pas hésité à ramener inutilement sur le tapis le débat sur le registre des armes à feu, à retarder une réglementation sur le contrôle de ces armes ou encore à s'entêter contre tous dans leur projet de loi bancal sur les droits d'auteur.
Enfin, dans l'exercice de ses fonctions de législateur, le gouvernement Harper a mis le focus sur des projets de loi et d'ordre et ne semble parler que de criminalité, alors que la criminalité n'est pas un problème majeur au pays. Les Conservateurs utilisent systématiquement des procédés démagogues, simplistes et réducteurs pour justifier leurs projets et accuser les députés d'opposition qui refusent de lui donner carte blanche. D'ailleurs, certains journalistes n'hésitent même plus à parler de malhonnêteté intellectuelle. J'utilise la même expression quand j'entends Stephen Harper mentionner à tout vent qu'il représente les canadiens, alors que moins du quart de la population a voté pour son parti aux dernières élections générales! (1).
Dans un article publié en décembre, le journaliste et auteur Lawrence Martin (qui a publié en octobre de cette année "Harperland: The Politics of Control"), va jusqu'à dire que l'année 2010 "has seen him carry out some of the most cynical political acts since the Roman emperor Caligula appointed his horse Counsel. No matter. The dogs bark, the Harper caravan moves on." ("The Harper Transformation", sur iPolitics, 9 décembre 2010).
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Sur ce, je vous invite à lire la suite de ce survol, publiée dans la seconde partie de ce billet sur l'État du Canada en 2010.
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(1) À ce sujet, voir les données citées dans la seconde partie de cet article.