A côté coule une rivière. Aujourd’hui, la Cure n’est plus qu’un terrain de jeu pour les amateurs de kayak, de canoë et de pêche à la truite. Comme jadis les sorcières, on l’a exorcisé en noyant ses folies dans les profonds des lacs-réservoirs du Crescent et de Chaumeçon. Ses crues sont écrêtées, son étiage régulé et ses pièges signalés par des panneaux apposés, à intervalles plus ou moins réguliers, par EDF ou les municipalités riveraines.Ses nymphes, naïades et ondines se sont évanouies et la seule fée qui fréquente encore ses rives est la fée Électricité.
Disparus aussi ceux qui vivaient de la rivière. Aucune meunière ne jette plus son bonnet par-dessus les moulins en ruine. Les laveuses ont laissé leurs garde-genoux et leurs battoirs partir au fil de l’eau ou des vide-greniers. Et les princes de la rivière, les maîtres du courant et des tourbillons, les forts en gueules, en trognes et en muscles, les flotteurs de Clamecy ou de Corbigny qui menaient du Morvan à Paris les trains de moulée s’en sont allés, eux aussi, au pays des neiges d’antan et des dames du temps jadis. Les amas de bûches ne bouchent plus les biefs des écluses et on a définitivement remisé le bateau du commerce qui, à la fin de chaque saison de flottage, descendait la rivière pour repêcher les rondins noyés.
Voilà de quoi, j’espère, accompagner vos premiers pas qui se feront en montant. Votre voiture est garée sur le petit espace qui précède le vieux pont de Cure qui va de l’ancienne Abbaye au vieux moulin (Carte IGN 2722 – TOP 25, 47°25’ de latitude nord et 3°48’ de longitude Est). Suffit, pour commencer, après avoir traversé la Cure, de suivre les balises rouges et blanches du GR 13. Elles vous conduisent en direction de la Roche à un chemin qui part vers la gauche et dont l’entrée est marquée par une croix. Vous le prendrez plus tard. Pour l’instant traversez la route et grimpez le court raidillon qui mène à la statue de Notre Dame de Lumière. L’œuvre se discute et, dans mes moments de mauvaise humeur, il m’arrive de penser qu’il n’y a pas que l’enfer à être pavé de bonnes intentions. Mais ne jugeons point si nous ne voulons pas être jugés et contentons nous de nous asseoir au pied de la Bonne Mère qui a dû pardonner aux commanditaires et au sculpteur, en faveur du paysage qu’elle a devant les yeux. A vos pieds la rivière et les villages jumeaux de Domecy et de Cure. A droite le Morvan et, en face de vous, l’horizon des collines qui, de Tannay à Donzy courent vers la Loire.
Un dernier regard, avant de rejoindre le GR et la balade commence vraiment.
Mais le plus souvent, ici, comme sur le reste du parcours, on est seul et, par temps de canicule, le lac est une invitation permanente à une baignade d’autant plus tentante qu’elle est interdite. Le reste de l’année c’est une autre affaire. L’eau dormante, enfermée comme ici au fond de quelque chose qui ressemble à une gorge, a toujours je ne sais quoi d’obscur et de menaçant. Heureusement, quelques centaines de mètres avant le barrage, vous trouverez un buisson de houx. Ignoré des merles et des étourneaux pilleurs de jardins et de lisières, il offre au passant ou à la passante de quoi faire assez de bouquets pour décorer toute une gentilhommière morvandelle.
Après le barrage, la Cure redevient le torrent assagi dont on suit le cours sans trop se soucier de savoir où l’on met les pieds. Parfois, une escadre de kayakistes débutants procure au randonneur l’attrayant et comique spectacle du, petit, malheur d’autrui. Contempler, ne serait-ce qu’une dizaine de minutes l’enchevêtrement d’embarcations, de pagaies et de casques causé par un baliveau, jeté au travers du courant par un orage récent, suffit à dérider le plus renfrogné des grincheux.
Tout se paie cependant et, épreuve récurrente des randonnées morvandelles, il vous faut franchir à gué le Gablot. En temps ordinaire, moyennant un peu d’attention, quelques pierres et un solide bâton, il n’est pas difficile de traverser ce modeste ruisseau. Pourtant si, les jours précédents votre passage, il est tombé des pluies un peu fortes, le risque d’un bain de pied surprise n’est pas à exclure. Mais vous avez le sens de l’équilibre, l’œil vif et la jambe encore leste, cette difficulté n’en est donc pas une, tout juste cette petite pointe de piquant sans laquelle la meilleure des sucreries n’est que douceur fadasse.
Un court raidillon amène le randonneur sur la départementale 353 qu’il suivra pendant deux kilomètres jusqu’à atteindre Précy le Moult. Auparavant, s’il révère l’art des fortifications et la mémoire des honnêtes gens, il se sera recueilli devant la maison de famille de Vauban dont une plaque célèbre le souvenir. Quant aux amateurs de curiosité géologique, ils pourront aller contempler la roche percée d’où Pierre Pertuis tire son nom. C’est une affaire d’un peu plus d’une demi-heure.
La petite route qui vous a amené jusqu’ici se transforme en rue. Elle débouche à deux pas d’un pont aussi étroit que bossu qu’il convient de traverser en prenant garde aux aléas de la circulation automobile. C’est la troisième et dernière fois de la journée qu’on passe la Cure. On peut donc s’accouder quelques instants au parapet pour regarder l’eau fuir comme le temps. Une échelle des crues, le bief d’un moulin désaffecté et les tourelles qui flanquent une ou deux vieilles bâtisses constituent des curiosités annexe à ne pas négliger.
Sitôt après le pont il faut tourner à gauche. Auparavant, les amateurs de pique-nique roboratif auront poussé la porte de la boucherie charcuterie qui fait le coin pour se munir de saucisson, de pâté de campagne et d’un morceau de petit-salé qui fait merveille accompagné d’un Coulanges juste frais. Pain, fromage et fruits se trouveront à Vézelay où conduit un diverticule du GR 13 qui suit, au travers des lieux-dits Créchot et Merlutte. le chemin de Saint Christophe. Quand, pour finir, on débouche sur la route, on n’a plus que quelques dizaines de mètres à faire pour entrer dans Vézelay. Là, au lieu de suivre la masse des visiteurs qui montent à la Madeleine par la rue Saint Etienne, prenez plutôt, sur la droite. La promenade qui longe ce qui reste des remparts, vous réserve quelques belles surprises. Vous rejoindrez la Basilique par un chemin où poussent la rose trémière, la gaillarde et la chapelle orthodoxe et qu’ignoreront toujours ceux qui n’imaginent même pas qu’on puisse suivre un autre itinéraire que celui qu’indiquent leurs guides verts, bleus ou arc-en-ciel.
Il faut un peu plus de trois heures pour parcourir cette première étape. Donc, si vous êtes partis entre 8h00 et 9h00 du matin, vous savez ce qui vous reste à faire en sortant de la basilique. Une fois requinqué suivez, pour amorcer le chemin du retour, la direction de l’Auberge de Jeunesse. A une centaine de mètres sur la gauche, des balises jaunes indiquent un chemin qui monte doucement jusqu’aux abords de l’enclos d’un ancien ermitage. N’hésitez pas à vous retourner souvent. La vue en vaut la peine. En arrivant à la hauteur de l’Auberge de Jeunesse, laissez-vous tenter par la petite route bordée de murets de pierres qui descend vers l’Etang. Au creux du vallon, l’étang est toujours là, alimenté par les sources de Grande Fontaine et de Demi-Vin. A la hauteur de la bonde, le ruisseau des Grands Jardins s’en échappe par le bief de l’ancien moulin. Vous l’avez aperçu, deux petits kilomètres en aval, lorsque, quittant Saint Père, vous avez entamé la montée de Saint Christophe. La route contourne le hameau en remontant vers le bois de Châtenay par lequel on coupe en prenant un bon chemin qui s’enfonce, à droite, dans les taillis. Il passe au-dessus de la Maladrerie et conduit à un carrefour où se croisent les routes de Foissy et de Fontenay. En face, plein Sud, une piste forestière coupe le semblant de lacet de la route qu’elle rejoint pour vous mener au col qui sépare les Monts Lignon et Bottrey (334 m chacun) au lieu dit La croix de la Madeleine. Juste avant de changer de versant la Madeleine vous adressera un dernier signe. Aussitôt après, engagez vous sur la droite, sur la voie qui, à travers champs, mène à la Croix Galmard.
Après la Croix Galmard, la petite route sur la droite conduit à Soeuvres qu’on traverse, toujours en gardant la direction du Sud, en passant devant son curieux et rafraîchissant lavoir, installé sous les piliers d’une forte bâtisse. A la sortie du bourg on prend sur la droite puis, très vite sur la gauche le chemin qui mène à l’humble montagne des Abrèges (265 m). De là, nouvelle vue, plus rapprochée, sur Bazoches. Il y en aura d’autres et il n’est pas exclu qu’à l’aide de jumelles suffisamment fortes et précises on puisse distinguer deux personnages qui se promènent le long de la route qui suit la lisière des Usages. L’un est un peu plus transparent que l’autre. C’est, Louis Sébastien Leprestre revenu sur cette terre à seule fin de convaincre les puissants du jour d’examiner, enfin, son livre de la « Dîme Royale ». L’autre est plus consistant. Il a les cheveux argentés (**) coiffés en arrière, l’œil vif derrière ses lunettes et le sourire narquois. Un chat le suit ou le précède, c’est selon. On voit bien qu’il peine à expliquer à feu Monsieur le Maréchal qu’il n’est pas plus facile aujourd’hui qu’hier, qu’on soit sujet ou citoyen, d’interpeller directement les maîtres de nos destinées qu’ils résident à Versailles ou à l’Elysée.
Chambolle
(*) Ça c’est histoire de placer un anglicisme
(**) J’avais écrit grisonnants mais argentés convient mieux à l’ambiance générale.
(à suivre)