Si le nom de Gundam est désormais bien connu chez nous, c’est déjà moins le cas pour l’œuvre originale qu’il désigne depuis maintenant plus de 30 ans. Adulée par les uns, conspuée par les autres, cette série certes fondatrice mais qui accuse néanmoins son âge, tant au niveau de l’animation que des procédés narratifs, connut pendant un temps un destin incertain avant de trouver la gloire…
Pourtant, on ne peut prétendre que Gundam se résume à une œuvre culte parmi d’autres car elle fonda un genre entièrement nouveau de l’animation japonaise, celui qu’on appelle « mecha réaliste » – et bien que ce réalisme-là concerne en fin de compte beaucoup plus les aspects psychologiques, pour les personnages, et sociaux, pour les univers où se déroule l’action du récit, que les éléments techniques proprement dit. Jusqu’à Gundam en effet, les séries de robots géants se situaient toutes dans la lignée de Mazinger Z en s’articulant autour d’une machine unique et invincible pilotée par un héros sans peur et sans reproche qui triomphait toujours des armées du mal – et que celles-ci viennent d’une autre planète, d’un monde souterrain, d’une dimension parallèle ou de n’importe où ailleurs…
Parfois épaulé par divers compagnons de route dont les maladresses et autres pitreries ne servait qu’à mettre en valeur le véritable héros central de l’histoire, ce dernier ainsi couplé à une machine fabuleuse qui faisait de lui un surhomme incarnait au final une autre facette du genre super-héros – c’est-à-dire un thème rendu stérile par son incapacité à produire des univers où l’émergence de surhommes provoque des bouleversements sociaux. Genre mort-né par excellence, ces « Super Robots » ne faisaient en fin de compte que se répéter, et en dépit de variations ponctuelles sur des détails insignifiants – telle que le lieu de provenance des ennemis de l’humanité, ou bien le caractère des principaux protagonistes, ou encore d’autres détails tout autant secondaire – ils demeuraient en quelque sorte superposables sur le plan des idées. Bref, une fois qu’on en avait vu un, on les avait tous vus (1).
Mobile Suit Gundam changea la donne. En réduisant les robots géants à de simples machines produites en série à l’instar de n’importe quels véhicules dans une société industrielle, et le conflit où s’illustraient ces engins de combat à une guerre comme une autre mais qui déchainait néanmoins des passions bien humaines, Gundam proposait un nouveau modèle de récit dans la culture anime / manga ; un paradigme qui s’installa dans les années suivantes et qui perdure encore jusqu’à nos jours, en produisant des œuvres dont beaucoup devinrent majeures : Dougram, Xabungle, Macross, Votoms, L-Gaim, Mospeada, Layzner, Megazone 23, Gunbuster, Bubblegum Crisis, Patlabor, Gasaraki, Flag,… Et bien d’autres, qui chacune à leur manière montrait des influences possibles d’innovations technologiques sur les sociétés où se déroulait le récit – ce qui reste une définition acceptable de la science-fiction.
Rien pourtant ne laissait présager une telle descendance, qui quoi qu’on en dise reste synonyme d’un certain succès auprès des professionnels japonais de l’animation – autrement ils n’auraient jamais cherché à émuler Gundam à travers leurs propres œuvres. Car l’audience bouda la série lors de sa première diffusion à la télévision nippone au printemps 1979, et elle faillit bien s’arrêter au 39e épisode au lieu de totaliser les 52 prévus au départ… Malgré tout, la production parvint à négocier quatre épisodes supplémentaires pour donner au moins un semblant de conclusion au récit, étendant ainsi le total aux 43 épisodes qu’on connait aujourd’hui. Mais les choses n’en restèrent pas là non plus…
Alors que les artistes et les scénaristes du studio Sunrise qui avait donné vie à Gundam se penchaient sur d’autres projets, les produits dérivés de la série – les habituels jouets, maquettes, jeux sur tous supports et autres « goodies » – se mirent à connaître des ventes phénoménales. Surtout les maquettes d’ailleurs, qui de plus séduisaient un public d’une tranche d’âge bien supérieure à la moyenne, et il ne fallut pas longtemps à Bandai pour réclamer de quoi perpétuer ces ventes hors du commun. Voilà comment une adaptation pour le cinéma, en trois films, se vit produite à partir des séquences de la série TV, dont le premier opus arriva sur les grands écrans japonais à la mi-mars 1981. Et le succès – immense – se trouva au rendez-vous cette fois, de sorte que si ce premier film se contentait de mettre bout à bout les épisodes les plus cruciaux du premier tiers de l’intrigue, le second proposait au moins 30% de séquences nouvelles, et le troisième environ 70% ; mais le scénario se vit aussi retravaillé, pour combler enfin les blancs de la série TV originale tronquée dont bien des concepts s’étaient vus omis.
Le reste est inscrit dans l’histoire, et Gundam compte maintenant – depuis plus d’une génération – parmi les franchises les plus prolifiques et les plus vigoureuses de l’animation japonaise, déclinées sur tous les supports et tous les médias, pour toutes les audiences, avec un succès tant public (2) que critique (3) qui dans les tendances générales ne s’est jamais démenti. Preuve en est ce sondage national mené au Japon par TV Asahi en septembre 2005, sur des échantillons de tous les âges, qui désigne Mobile Suit Gundam comme la production la plus populaire de l’industrie locale de l’animation.
Mais on peut aussi évoquer l’attraction Gundam The Ride: A Baoa Qu, ouverte en juillet 2000 au parc d’attraction de Fuji-Q Highland, qui reproduisait jusqu’en janvier 2007 la bataille d’A Baoa Qu sous la forme d’un train fantôme où les participants prenaient place à l’intérieur d’une reproduction d’une navette d’évacuation sur le point de quitter le navire Suruga ; ou bien cette exposition à la Fondation Cartier pour l’art contemporain sur la culture japonaise d’après-guerre, en octobre 2002, où se trouvaient présentées six maquettes de mechas de type Zaku choisies par Takashi Murakami ; ou encore l’International Gundam Society, cette conférence tenue en août 2008 et pendant laquelle des universitaires de plusieurs domaines examinèrent la faisabilité de nombreux éléments techniques et sociaux abordés dans Mobile Suit Gundam (4). Mais aussi, dans le domaine public, ces timbres émis par la Poste japonaise en octobre 2000 ; ou bien cet équipement de combat pour soldat actuellement en cours de développement par les Forces japonaises d’auto-défense (JSDF) et annoncé en novembre 2007, qui a pour nom de code « Gundam » ; ou encore cette statue de bronze de trois mètres de haut installée devant la station de tram Kamiigusa de Tokyo de fin mars à début avril 2008 (5). Sans oublier cette autre statue – mais à l’échelle un, donc en taille réelle – du RX-78-2, érigée sur l’île artificielle d’Odaiba en juillet 2009 après des mois de travail et d’assemblage. Et j’en oublie, comme la création du magazine Newtype, dont le titre même est un hommage évident à Gundam, ou la récente ouverture du Gundam Café dans le quartier d’Akihabara de Tokyo.
Tout ceci afin de bien faire comprendre combien Gundam est un véritable phénomène de société au Japon, dont il n’existe aucun équivalent en occident dans aucun domaine culturel et qui explique, au moins en partie, pourquoi nous devions tôt ou tard voir cette franchise sortir de l’archipel…
Et malgré cette « offensive marketing » et la somme d’informations à disposition du public, y compris le plus averti, il existe une version de l’histoire originale qui reste très peu connue, même par les plus grands fans. Une version qui vit le jour durant la première diffusion de la série TV sous la plume du créateur de Gundam lui-même, Yoshiyuki Tomino, sous la forme d’une série de trois romans dont l’univers, l’intrigue et les personnages qu’ils présentent constituent une facette assez inattendue sous bien des aspects : beaucoup plus compacte mais pourtant beaucoup plus élaborée et informative sur de nombreux points que le matériau télévisé de départ, cette courte série de romans représente la vision originale qu’avait Tomino de Gundam – c’est-à-dire ce que Gundam aurait dû être si son créateur avait eu les mains libres.
C’est de cette vision originale dont il est question ici.
Suite du dossier : Un Mot sur l’auteur (à venir)
(1) ce jugement pour le moins lapidaire et tout autant expéditif ne vaut que sur le plan des idées pures, et non sur d’autres plans tels que les qualités artistiques, les relations entre les personnages, la réalisation des scènes de combat, la complexité des scénarios, etc.
(2) en 2008, Gundam restait la franchise la plus lucrative de Bandai, loin devant les Power Rangers ou Dragon Ball, en rapportant 450 millions de dollars sur toute l’année (source : ANN).
(3) entre autres distinctions, plusieurs productions appartenant à la licence obtinrent l’Anime Grand Prix depuis la création de cette série de prix en 1979.
(4) voir une liste de ces thèmes dans cet article sur Anime News Network.
(5) les photos de l’évènement sur Gundam.info.
Sommaire :
1. Introduction (le présent billet)
2. Un mot sur l’auteur (à venir)
3. L’univers de Gundam (à venir)
4. L’innovation (à venir)
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore sur la seconde guerre mondiale (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)