Bonnes fêtes à tous les suiveurs de mes Tribulations...
Depuis que je me suis plongée dans les sciences sociales, le phénomène des fêtes m'intrigue beaucoup. Tant d'énergie et d'argent dépensés en si peu de temps !! Cette foule aux abords des grands magasins ! Sans compter toutes les manifestations dans les médias : shootings modes, catalogues thématiques, merchandising qui vire au spectacle populaire... Le grand potlatch de Noël est un pilier du commerce et de l 'industrie chez nous. Car que serait Noël sans les courses de Noël, les festins partagés et surtout l'échange de cadeaux ??
Le potlatch est une cérémonie basée sur le don pratiquée par de nombreux peuples aux quatres coins du monde. Le terme est issu du chinook ("le don") mais ce sont chez les Iroquois et les peuples de la côte Pacifique que le phénomène a été particulièrement bien documenté. Ce fut un objet phare des ethnographes, et c'est un sujet fondateur de l'anthropologie, gràce en particulier à Marcel Mauss. Guy Debord s'en est également inspiré pour élaborer sa théorie du spectacle.
Lors d'un potlatch on chante, on danse, et on célèbre l'abondance par des échanges d'aliments ou d'objets de valeur. Tout cela reflète et renforce les hiérarchies sociales. Ce ne sont pas les familles les plus riches qui règnent sur le clan mais celles qui donnent le plus !! Cependant les cultures du don ne sont pas fondées sur la générosité absolue des individus, mais plutôt sur la réciprocité. Chacun donne des produits ou services librement, gratuitement mais cet acte est inscrit dans un système. Dans le fond, il est intéressé : on retire de ce don du prestige social, une réputation, du pouvoir, ou l'on attend de recevoir quelque chose d'utile pour soi et les siens en retour. On considère souvent ces systèmes comme archaïques, en comparaison avec nos systèmes où l'argent joue le rôle de média dans les échanges. En réalité les économies du don étaient complexes et raffinées, et comportaient des dimensions religieuses, éthiques et esthétiques.
Il existe encore des cultures du don, souvent coexistantes avec une économie du troc ou de marché, bien qu'elles aient du mal à fonctionner dans le contexte de la mondialisation actuelle. On peut dire qu'elles persistent à l'échelle locale voire familiale. Les "potlucks" aux Etats-Unis sont des repas en commun où chacun apporte quelque chose. Et il vous arrive de rendre service ou de donner des choses à vos proches, sans attendre de retour immédiat, non ? Ces habitudes entretiennent les liens de façon symbolique, et l'objet offert rappelle la présence à l'autre dans sa vie quotidienne, un peu à la façon des autels des ancêtres.
Les célébrations de Noël et de la nouvelle année en sont l'exemple flagrant. Comment définissez-vous les limites de votre famille ? Ce sont ceux à qui vous faites des cadeaux et avec qui vous partagez le repas de Noël. Parfois, on invite de nouveaux venus, dans un rituel d'intégration. C'est aussi le moment de manifester notre solidarité envers les plus fragiles : on prend le temps de discuter avec les ancêtres, on chouchoute les enfants, qui sont l'avenir de notre famille... Celui qui n'apporte pas de cadeau, ou qui a "oublié" certains membres de la famille est mal vu. Celui qui apporte un cadeau de moindre valeur aussi. C'est comme s'il s'excluait lui-même du cercle. Chacun veut participer, apportant du champagne, des chocolats... Et on célèbre cette sur-abondance, on se rassure tous ensemble face à la précarité. Les danses indigènes avec leurs masques et leur cris vous semblent barbares ? Que dirait un Iroquois en vous observant devant votre sapin de Noël couvert de breloques dorées, hurlant à minuit et déchirant des papiers de couleurs ?
Il existe aussi de nos jours des mini-économies de dons, par exemple le don de sang ou d'organe, et les dons caritatifs et solidaires. Dans certains pays qui ont connu des difficultés économiques très graves, des économies de don ou de troc sont réapparues. Surtout, l'ère Internet est marquée par de nouveaux systèmes d'échange similaires aux cultures du don, à l'instar des les logiciels libres et du peer-to-peer. Certains penseurs de l'Internet et des courants anarchistes militent même pour un retour à une économie de don, où la propriété serait abolie !! Il est évident que la propriété intellectuelle est fortement mise à mal par le web, et qu'il est nécessaire de la repenser. Les sociétés primitives, qui survivent toujours sous la surface, pourraient être une source d'inspiration intéressante...